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Un président positif, des poids lourds de la majorité tous cas contacts : derrière le dîner à l’Elysée violant le couvre-feu, le naufrage du management des élites françaises
©ludovic MARIN / POOL / AFP

#FêtesSauvagesGate

Selon Le Point, un dîner s’est tenu mercredi en plein couvre-feu à l’Elysée avec des ténors de la majorité alors que le Conseil des ministres fonctionne principalement par visioconférence, d'après Le Figaro. Quel bilan tirer des méthodes de management d'Emmanuel Macron ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico.fr : Emmanuel Macron est déclaré positif au Covid-19. Selon les informations du Point, un dîner s’est tenu mercredi en plein couvre-feu à l’Elysée en compagnie des proches du président et des ténors de la majorité. « C'est ce qu'on appelle un cluster », confiait l’un des participants. Pourtant, Gérald Darmanin avait promis d'être « particulièrement sévère » avec les soirées sauvages quand Richard Ferrand (présent au dîner) avait déclaré en octobre que « si on est malade c'est qu'on n'aura pas fait aussi attention que nécessaire ». Les élites sont-elles rattrapées par leurs contradictions ?

Arnaud Benedetti : La culture française des élites, et cela ne date pas d’Emmanuel Macron loin de là, est une culture d’ancien régime. La tolérance de la société est proportionnelle à l’état du pays. Lorsque celui ci a une représentation optimiste de l’avenir, il absorbe cette disposition. Quand il s’inquiète, lorsque la fracturation et le déclassement s’installent, alors mécaniquement il peut se cabrer. C’est là une sorte de physique sociale bien compréhensible. Emmanuel Macron n’est pas responsable de sa contamination, sa fonction l’expose plus que la moyenne à ce risque. Force est de constater que la chaîne entre le résultat du test et la communication Élyséenne a été courte. Il y a indéniablement transparence sans la moindre entrave dans la manière dont le chef de l’Etat a communiqué. En même temps, il ne pouvait en être autrement. Le communiqué de presse de l’Elysée dans sa dimension nécessairement "factuelle" banalise l’événement en rappelant notamment que le chef de l’Etat s’isolera, conformément aux consignes en vigueur qui s’appliquent à tous les français. Voilà pour le plan serré de la com’. Mais "Le Point" en révélant le dîner interne de la majorité de la veille ramène un "hors champ" qui brouille en effet, pour qui veut voir, cette entreprise de banalisation. On ne peut exiger des français ce que l’on se s’applique à soi-même, d’autant plus que la réception ne relevait pas de la haute nécessité de l’Etat mais de l’ordre domestique de la majorité. Cependant , la controverse reste à ce stade de basse intensité.

Christophe Bouillaud : En tout cas, le petit cercle des dirigeants les plus proches d’Emmanuel Macron est rattrapé par leur humanité. Comme n’importe qui, ils peuvent être contaminés, et, comme pour n’importe qui, respecter en toute circonstance les règles de distanciation sociale, en particulier se passer de déjeuner ou de diner avec des proches, ne va de soi.  C’est en pratique très difficile, parce que cela va contre toute notre façon de nous comporter en tant qu’êtres humains. La commensalité, le partage d’un repas, fait en effet partie des fondamentaux anthropologiques dans tout groupe humain connu. C’est sûr que, du coup, tous les propos des mois et des semaines précédentes de la part de ces dirigeants mettant les Français devant leurs « responsabilités » dans la progression du virus n’en sonnent que plus étrangement, pour rester poli.

De fait, l’erreur de ce petit groupe est d’avoir voulu mettre de la convivialité dans leurs rapports. Ils auraient, à la même heure, fait une réunion de travail – ce qui bien sûr leur est autorisé de par leurs fonctions à toute heure du jour et de la nuit - , sans y joindre le plaisir d’un diner, ou même d’une simple collation, en gardant bien leurs masques et en tenant leur distance, il n’y aurait rien à redire.

En tout cas, le moins que l’on puisse dire, c’est que, si l’information est confirmée, cela ne donne pas un bon exemple – et c’est là un euphémisme de ma part.

Le Figaro rappelle que le Conseil des ministres fonctionne principalement par visioconférence, alors que le dîner de mercredi nous apprend que les leaders de la majorité ont le privilège des rencontres physiques avec le Président présent en personne. Qu’est-ce que cela dit des méthodes de management d'Emmanuel Macron ?

Arnaud Benedetti : Cela ne dit rien de la méthode Macron qui est aussi celle de ses prédécesseurs; ce qui modifie la donne c’est le contexte : un contexte sanitaire où les responsables de l’exécutif ne cessent d’infantiliser de manière intrusive la vie privée des français. L’imprudence, si imprudence il y a, c’est de s’être affranchie d’une contrainte qui est imposée à la société. Ceci est impensable dans les monarchies du Nord, mais notre démocratie qui, le temps d’un mandat, reproduit une forme d’absolutisme, se complaît dans cette forme d’ hubris du pouvoir. Lorsqu’il utilise la visioconférence pour un conseil des ministres, le Président n’ignore pas que ce rite , par essence officielle, a vocation à être visible et il use de cette visibilité comme un exercice attestant d’une pratique conforme aux préconisations qu’il adresse à ses concitoyens. C’est un exercice de communication, de certification de sa politique. Le dîner de la majorité , par-delà la polémique qui ne s’installera que de manière éphémère sans doute, génère inévitablement cette idée de "privilégiés" dont on sait qu’elle est excessivement corrosive dans l’imaginaire français. Sur le fond, cela solidifie ce sentiment d’une présidence hors sol. 

Christophe Bouillaud : Comme tous les Présidents de la République avant lui, Emmanuel Macron dispose d’un cercle de personnes qui lui sont proches et doit pouvoir discuter en tête à tête ou en cénacle restreint avec ces personnes. On ne peut pas imaginer gérer un pays avec des dizaines de personnes autour d’une table, ou du moins pas seulement. Il faut aussi que le dirigeant puisse se concerter avec ses conseillers ou ses alliés politiques.

Par contre, ce qui devient gênant dans cette affaire, c’est simplement que la situation sanitaire liée au Covid ne semble pas avoir été prise aussi au sérieux qu’elle aurait dû l’être, et que la concertation politique avec les plus proches passe au-dessus de la règle sanitaire qui voudrait que l’on ne mange ou boive plus ensemble pour éviter les contaminations.

Par ailleurs, cela vient sur un fond de distorsion de la pratique institutionnelle où le Président s’appuie de plus en plus sur d’autres structures que le Conseil des ministres pour discuter vraiment des décisions à prendre. Le rôle du Conseil de défense en particulier est de plus en plus critiqué. Cet épisode rappelle qu’Emmanuel Macron s’appuie sur un petit cercle – mais je le rappelle, comme tout Président avant lui.

Ce comportement quasi-monarchique montre-t-il l’incapacité d’Emmanuel Macron à être un bon leader qui donne du sens aux mesures (aussi fermes soient-elles) qu’il met en place et en créant un lien de confiance ?

Arnaud Benedetti : Il est imprudent, c’est un fait. La crise des gilets jaunes a pourtant démontré que l’épiderme social était éruptif. Il semble ignorer que le ressentiment constitue l’un des moteurs de l’histoire. Il est fondamentalement anti-moderne par son refus de la modestie dans l’expression du pouvoir. L’épisode du dîner est factuellement anecdotique, mais il est métaphoriquement révélateur d’un défaut de sens commun. Ceci alors que les  français sont confrontés à la contrainte du couvre-feu,que  les lieux de culture sont fermés ,que les restaurateurs et cafetiers ne peuvent ouvrir, que le premier ministre enjoint ses compatriotes à respecter une jauge de six convives à domicile et que le ministre de l’intérieur exige la plus grande sévérité pour les contrevenants... 

Christophe Bouillaud : Là, on peut dire qu’Emmanuel Macron a manqué de chance. Il a laissé organiser cette réunion de travail sous forme de dîner, et, en plus, il est testé positif le lendemain et il a des symptômes.

Visiblement, il n’arrive pas à comprendre que, pour être suivi dans les recommandations qu’on fait à la population,  il faut être soi-même totalement irréprochable dans le moindre de ses actes, il faut soi-même croire à la gravité de la situation, comme visiblement une Angela Merkel, qui il est vrai est plus âgée. On verra l’effet que cet épisode aura sur le niveau de confiance des Français, mais cela, à mon avis, ne va pas aider les gens à avoir confiance dans les gouvernants de l’heure.

Après, sur le lien avec la monarchie, il y aurait beaucoup à dire. Effectivement, certains monarques dans l’histoire de France imposaient à leurs sujets des règles qu’ils n’entendaient pas suivre eux-mêmes, et d’autres étaient cohérents avec ces dernières. Il y a eu aussi des changements au cours d’un même règne. Louis XIV a fini fort dévot, mais il n’a guère commencé ainsi.

De manière plus inquiétante, cet épisode, dont l’Europe entière et même le monde, vont entendre parler traduit le rapport distendu à la règle commune d’une part de nos élites dirigeantes. Des sociologues ont montré malheureusement que c’est à cela qu’on reconnait en pratique une élite en France : ce sont les gens qui pensent, à tort ou à raison, que les règles communes ne valent que pour les autres, uniquement pour le vulgaire.

Il faut bien dire, sur un plan plus général que cet épisode, que, si l’on compare notre situation avec certains pays du nord de l’Europe, il ne resterait plus grand monde au gouvernement si tous ceux qui ont enfreints une règle de probité au sens large, qu’elle soit formelle ou surtout informelle, avaient dû démissionner.  Je rappelle à ce propos que le Commissaire européen nommé par l’Irlande a dû démissionner de son poste à cause d’un non-respect des règles de confinement dans son pays.  Pour l’instant, en France, nous sommes dans l’ère de « J’assume », la version actuelle du déni total de ses responsabilités, fussent-elles simplement morales et pas pénales.

Emmanuel Macron n'est-il pas en train de faire ce qu'on appelle dans le milieu de l'entreprise du micro-management, à savoir vouloir tout contrôler et tout gérer soi-même ?

Arnaud Benedetti : Le moment Macron est symptomatique.  À mesure que l’Etat ne parvient  pas à maîtriser les événements, il s’enferme dans une politique de contrôle des comportements que la peur de l’épidémie permet de rendre "acceptable"... un temps . Cette obsession est " illibérale". Elle traduit une défiance du pouvoir pour la société, la volonté de micro-management est pourtant un aveu en creux d’un pouvoir bien plus faible et moins bien sûr qu’il ne veut paraître. 

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