Un G20 pour rien ? Ces facteurs qui entravent la coopération internationale à l’heure où la planète n’en a jamais eu autant besoin<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Premier ministre indien Narendra Modi serre la main du président américain Joe Biden avant le sommet des dirigeants du G20 à New Delhi le 9 septembre 2023.
Le Premier ministre indien Narendra Modi serre la main du président américain Joe Biden avant le sommet des dirigeants du G20 à New Delhi le 9 septembre 2023.
©Evan Vucci / POOL / AFP

Planète en panne

Le sommet du G20 a débuté à New Delhi en présence d’une trentaine de chefs d’Etats et d’organisations internationales. Les membres du G20 vont essayer de s’entendre sur les questions cruciales du financement de la dette des pays en développement, de la transition climatique et de la guerre en Ukraine.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Le Groupe des vingt se rassemble à New Delhi ce samedi 9 et dimanche 10 septembre dans un contexte international particulièrement tendu et complexe. Pourquoi le besoin de coopération est-il maximal (au regard notamment du risque de stagnation voire de récession économique pour la première fois aussi bien en Occident qu’en Chineainsi qu'avec les risques géopolitiques et liés à l’effondrement climatique) ?

Cyrille Bret : Les relations internationales sont prises dans un paradoxe aigu. Les défis sont mondialisés mais les outils de coopération locale, régionale ou encore mondiaux sont grippés. Les principaux pays du G20 (Inde, Chine, Mexique, Nigeria, etc.) affrontent des difficultés transfrontalières par essence : les conséquences dramatiques du changement climatique au premier rang. Ce phénomène suscite des catastrophes naturelles, change la répartition des sols cultivables, pousse donc des populations entières à migrer au sein des Etats et en dehors, etc. Mais d’autres défis sont transfrontaliers et internationalisés comme la sécurité des flux de personnes, d’énergie, de marchandise en mer, dans les airs et sur terr. Enfin, tous ces Etats ont en commun de connaître un défi démographique et donc une difficulté à intégrer leurs jeunes populations - diplômée ou non - dans la société. En somme, les coopérations sont nécessaires pour résoudre ces difficultés mais les forums internationaux, G20 bien sûr, mais aussi G7, BRICS, Mercosur, etc. sont pris dans des divisions et des blocages dus à la résurgence des politiques de puissance. Le paradoxe du G20 est le paradoxe de l’époque : jamais il n’a été aussi nécessaire mais jamais il n’a aussi mal fonctionné.

Pourquoi le besoin de coopération est-il maximal sur les enjeux économiques notamment ?

Michel Ruimy : L’économie mondiale est confrontée à de nombreux risques et incertitudes qui pèsent sur les perspectives. Sans viser l’exhaustivité, les pays doivent faire face aujourd’hui à une période prolongée de faible croissance voire de récession alors que l’économie chinoise ralentit, à de fortes tensions inflationnistes sous l’effet de la hausse des prix de l’énergie, des matières premières… qui réduisent le pouvoir d’achat des ménages, aux durcissements des politiques monétaires et aux impacts de la remontée des taux d’intérêt directeurs sur les systèmes économiques, au risque financier en lien avec la hausse de l’endettement public et privé, qui peut fragiliser la solvabilité des agents économiques et/ou provoquer des chocs sur les marchés, aux impacts de l’incertitude climatique liée aux effets du réchauffement global, qui peut avoir des conséquences néfastes sur l’environnement, l’agriculture ou la biodiversité, aux tensions géopolitiques… Tout ceci avec une divergence entre les régions du monde, avec une reprise plus forte dans les pays avancés, qui bénéficient des plans de relance ou de la vaccination, que dans les pays émergents ou en développement, qui font face à des difficultés sanitaires, financières ou sociales.

On le voit et on le constate : les principales économies mondiales, qui viennent de clore un épisode pandémique de 3 ans, ont contracté un autre virus : celui de l’inflation, qui menace de les renvoyer au tapis. Le malade est faible, mais il survit avec son cortège de défis importants pour la stabilité et la coopération internationales qui restent, à ce jour, sans réponse.

Les décideurs politiques font donc face à des choix difficiles et doivent trouver des compromis pour guider leurs économies. Les risques d’erreurs stratégiques sont importants et peuvent causer davantage de tort sur le plan socioéconomique.

Dans ce contexte, le G20, qui représente environ 85% du PIB mondial et près de 60% de la population mondiale, vise à favoriser la concertation internationale. Il a donc un rôle important à jouer pour tenter de coordonner les politiques économiques et répondre aux défis qui touchent bon nombre de pays. Mais, seule une prise de conscience collective de vouloir s’en sortir collectivement - et non de manière individuelle - peut faciliter la résolution de ces problèmes, qui nécessitent une vigilance et une adaptation constantes de la part des acteurs économiques.

Quels sont les facteurs qui permettent de prédire un échec à priori du G20 ?

Cyrille Bret : Faisons la part entre le structurel et le conjoncturel. A chaque réunion d’un forum au niveau le plus haut (G7, G20, BRICS, OCS, etc.) il est de bon ton de souligner l’absence de résultats concrets. Toutefois c’est la régularité de ces rencontrées et les événements annexes (comme les réunions ministérielles préparatoires ou les forums de la société civile) qui réalisent discrètement des avancées limitées, locales ou sectorielles. Et, pour l’édition 2023, l’annonce de la non-participation de chefs d’Etats comme Xi Jinping, est un gage d’inefficacité car la vertu première de ces sommets est de favoriser les contacts et les discussions, officielles et informelles.

Toutefois, le G20 a structurellement des failles qui menacent son efficacité depuis sa création en 1999. Son intérêt est ce qui fait sa faiblesse : il réunit 20 puissances d’horizon politiques, économiques, culturels hétérogènes. A la différence des « non-alignés » de la conférence de Bandung, en 1955, ces Etats ne sont plus cimentés par la lutte anti-coloniale et le refus de l’alignement sur l’un des deux protagonistes de la Guerre Froide. Pour que le G20 fonctionne, des efforts de traductions, d’échanges, d’homogénéisation sont nécessaires sur le long terme. Or le G20 est un groupe dépourvu de base administrative (à la différence de l’ONU et de ses organisations affiliées) qui permettrait la continuité du dialogue. En outre, le G20 est actuellement l’otage d’une rivalité majeure pour le leadership : l’Inde de Narendra Modi essaie de contester le rôle de porte-parole du Sud global que revendique la Chine. En l’absence de leaders de premier plan et de volonté de convergence, le sommet du G20 2023 risque de n’être qu’une vitrine sans contenu.

Michel Ruimy : Prenons, par exemple, la question climatique. D’un côté, nous avons la Russie avec des émissions carbones absolument vertigineuses du fait d’affrontements militaires et de l’autre, la Chine qui, dans des perspectives de développement et de croissance économique, est devenue depuis quelques années le premier émetteur contemporain de carbone... Alors que les présidents russe et chinois ne se rendent pas au sommet, que peut-on espérer de ce sommet ? Ces absences complexifient encore plus l’équation et n’envoient pas un bon signal dans la mesure où il est déjà très compliqué de s’accorder sur des mesures communes lorsque tout le monde est présent.

De plus, plusieurs dirigeants africains ont appelé à une réforme du système financier international pour l’adapter aux exigences de la lutte contre le réchauffement climatique, en remettant sur la table l’idée d’un allègement de la dette des pays du Sud. De leur côté, les pays développés, principaux pollueurs de la planète, n’ont pas encore tenu leur promesse de fournir aux pays pauvres 100 milliards USD par an de financement pour le climat.

On le voit la prise en charge, aujourd’hui, de la question climatique à l’échelle mondiale est en mauvaise voie et les objectifs fixés auparavant risquent de ne pas être tenus.

Par ailleurs, le G20 est aujourd’hui le seul espace où se rencontrent, à la fois, pays du Sud et pays développés. Mais, il est de plus en plus concurrencé par des blocs régionaux, notamment les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) qui a récemment annoncé l’arrivée dès janvier prochain de 6 nouveaux membres, dont l’Iran et l’Arabie saoudite, et qui cherche à contrebalancer l’influence occidentale. Cette situation inquiète les Etats-Unis qui voudront peser face à la Chine et à l’extension des BRICS

Ceci peut nous faire douter de la réelle volonté de nos dirigeants à relever les défis actuels. Nous sommes face à une instance dysfonctionnelle.

Quels sont les facteurs de ressentiment des pays du Sud / Occident ?

Cyrille Bret : Là encore distinguons le conjoncturel et le structurel. La conjoncture actuelle est marquée par le souvenir du COVID 19 et les conséquences du changements climatiques. Les pays du sud continuent à blâmer les Etats du nord pour leur égoïsme en matière de vaccination ; ils reprochent également aux économies avancées d’avoir ruiner le climat durant les 19ème et 20ème siècles et de vouloir maintenant brider le développement du Sud en imposant des règles énergétiques contraignantes. Plus structurellement, ce que les pays du sud incriminent, par-delà le souvenir de la domination coloniale, c’est la politique des « doubles standards » : pour eux, l’Occident exige du Sud le respect de règles qu’il ne respecte pas lui-même. Les opérations militaires occidentales à l’étranger, les prêches sur les valeurs universelles de l’Occident, la mise en avant de la question LGBTQ+, etc. tous ces thèmes ne passent pas dans le sud. Vus de notre point de vue, ils sont parfaitement légitimes. Mais vus du Sud, ils relèvent de la mauvaise foi. Voilà le tragique de la situation actuelle : la désoccidentalisation du monde résulte d’un ressentiment contre la politique des « doubles standards » de l’Europe et de l’Amérique du Nord, que cette critique soit justifiée ou non.

Comment les principaux pays du G20 pourraient surmonter ces difficultés ? Quelles sont les solutions géopolitiques et diplomatiques ? L’Inde pourrait-elle jouer un rôle fort en ce sens ?

Cyrille Bret : L’Union indienne a un statut et une place particulière dans le G20. Malgré les réformes institutionnelles illibérales du Premier ministre Modi, elle reste attachée à la forme démocratique des institutions, sans endosser un rôle de prophète de la démocratie comme les Etats-Unis. Elle peut donc s’adresser à tous les Etats du Sud sans complexe. En outre, la projection de sa puissance à l’échelon régional est minimale : elle ne peut être taxée d’impérialisme comme la Chine. Enfin et surtout, elle est frappée de plein fouet par les défis mondiaux mentionnés plus haut : changement climatique, intégration des jeunes dans les sociétés, inégalités, migrations, etc. Aux avant-postes des défis internationaux, l’Inde a la capacité à parler à tous, au Sud comme au Nord.

Cyrille Bret dirige le site eurasiaprospective.net

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