Un bilan dont il “n’y a pas à rougir” : radioscopie des performances économiques de la France depuis l’élection d’Emmanuel Macron<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Un bilan dont il “n’y a pas à rougir” : radioscopie des performances économiques de la France depuis l’élection d’Emmanuel Macron
©LUDOVIC MARIN / AFP

Reprise

Dans une entretien accordé à la presse régionale, Emmanuel Macron a rappelé que "le chômage est au plus bas depuis dix ans, le pouvoir d’achat n’a jamais augmenté de cette manière depuis douze ans, l’investissement productif repart, les emplois industriels sont recréés". Eclairage.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

Voir la bio »
UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

Voir la bio »

Atlantico : A quel point la baisse du chômage, « au plus bas depuis 10 ans » selon le Président, est-elle imputable au gouvernement ? Quelle part prennent dans ces résultats le contexte macroéconomique ou les mandats de ses prédécesseurs ?

Michel Ruimy : A fin 2018, au sens du Bureau international du travail, le nombre de personnes au chômage avait diminué pour atteindre son niveau de 2009 soit, selon l’INSEE, 8,8% de la population active française. Ce chiffre représente un reflux de 1,7 point par rapport au record de 10,5% établi en 2015.

Reste qu’il est difficile d’imputer la totalité de cette baisse à l’action d’Emmanuel Macron, en poste depuis deux ans. Il convient, en effet, de prendre en compte certaines mesures décidées par François Hollande, comme par exemple le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) ou bien encore le pacte de responsabilité et de solidarité, car celles-ci, qui n’ont pas profité à l’ancien Président, n’ont commencé à porter leurs fruits qu’à la fin de son quinquennat. Ainsi, cette baisse du chômage a couru sur les présidences de François Hollande (- 1,1 point en deux ans) et d’Emmanuel Macron (- 0,6 point en un an et demi).

Il n’en demeure pas moins que les chiffres de l’INSEE confirment que l’économie française croît à un rythme juste suffisant pour stabiliser le chômage. Qui plus est, des stimulants importants favorisant l’emploi ont été éteints ou leurs effets, en partie, passés : prime à l’embauche dans les PME, contrats aidés, CICE.

Le taux de chômage reste encore loin de l’objectif de 7 % que s’est fixé le président pour la fin de son mandat, en 2022. Pour se rapprocher de cet objectif, le gouvernement peut compter sur le ralentissement attendu de la population active. Il peut aussi - même s’il démentira tout camouflage statistique - profiter de l’entrée massive des chômeurs en formation avec son plan de 15 milliards. Mais surtout, il faudra que l’économie continue de tourner à un rythme suffisant.

Jean-Paul Betbeze : D’abord, nous sommes là en plein commentaire politique, à quelques jours des élections : impossible donc au responsable politique du pays de dire qu’il rougit de ce qu’il a fait depuis son élection ! Ensuite, les décisions d’emploi se mûrissent dans la durée, en fonction de l’ambiance du moment, de la fiscalité, des lois sociales et, plus fondamentalement de la situation économique prévue. Donc l’emploi est toujours lissé, tributaire en début de mandat présidentiel de l’héritage du prédécesseur et plus encore du fort regain de l’économie à l’époque en zone euro, un regain qui a d’ailleurs surpris tout le monde !

En outre, les lois récentes ont certainement eu un effet positif sur l’emploi, pas seulement les lois facilitant la mobilité ou l’apprentissage, mais, au moins autant, les baisses d’impôt et les simplifications en cours et annoncées, notamment pour les PME. Ajoutons que les hausses de revenu, liées aux « gilets jaunes », devraient soutenir la demande et l’emploi dans les mois qui viennent, sans être pour autant imputables au Président Macron, bien sûr ! Ce sont les entreprises qui paieront.

Enfin et surtout, l’emploi dépendra de la stabilité réglementaire et fiscale des dernières décisions. Ainsi, la remise en cause du barème des indemnités de licenciement par les Prudhommes est un vrai souci, comme la fin de l’ISF, qui serait liée à une « évaluation ». Embaucher est une décision de longue durée, qui s’inscrit dans une ambiance qui doit être le plus durablement propice possible. Le chômage de longue durée baisse, l’emploi à temps partiel baisse, le sous-emploi diminue : il faut donc continuer à permettre aux entreprises d’aller dans ce sens. Moins de fiscalité, plus de simplicité, pas autant de déficit public !

Qu’en est-il du pouvoir d’achat, qui « n’a jamais augmenté de cette manière depuis 12 ans » ?

Michel Ruimy : À son corps défendant, Emmanuel Macron a changé de parure en quelques mois. Il a troqué l’uniforme de « premier de cordée » ou d’étiquette de « président des riches » pour endosser le costume de « président du pouvoir d’achat ». Une expression qu’il mettait pourtant à distance il y a encore quelques mois.

Concernant le pouvoir d’achat, les 8,3 milliards d’euros de mesures d’urgence (sur un total de 10 milliards d’annonces) ont modifié la cartographie des gagnants et des perdants du début du quinquennat. On a désormais des gains de pouvoir d’achat plus importants (qu’avant la crise des « gilets jaunes ») pour une partie plus large de la population. Les grands gagnants sont les actifs à faible revenus, notamment autour du SMIC, les 20% les plus aisés (à l’exception des 1% très riches) sont toujours perdants, notamment les retraités.

Ces mesures, qui devraient tirer la croissance en 2019, n’ont pas consisté à déplacer des gains destinés à une catégorie de la population pour les réinjecter ailleurs. Le gouvernement a augmenté la dépense publique et on ne sait pas comment ces mesures seront financées à long terme. A court terme, le déficit budgétaire devrait se creuser.

Toutefois, force est de constater que la fiscalité n’est qu’un des éléments déclencheurs du mouvement des « gilets jaunes », qui repose largement sur des inégalités territoriales. De ce point de vue, le gouvernement ne peut pas tout régler par la redistribution (prestations sociales…). La contestation est plus large. On a beau dire aux Français que leur pouvoir d’achat augmente, ce n’est pas ce qu’ils ressentent. Les signaux qui leur sont envoyés n’y sont pas étrangers comme l’« injustice » qui consisterait à donner quelques euros pour ceux qui ont peu, et de grandes largesses pour ceux qui ont tout.

Jean-Paul Betbeze : Oui, si prend les données de l’Insee : le revenu, le revenu ajusté (avec les transferts sociaux) et le revenu ajusté par unité de consommation (en tenant compte de la taille du ménage) ont beaucoup monté fin 2018, respectivement +1,2%, +1% et +0,6%.

Mais, plus précisément et au-delà de cette embellie récente, la période 1999-2018 a été favorable à beaucoup, et la France a tenu dans cet ensemble, sans plus. L’Allemagne grimpe le plus, après la diète des « années Schröder ». La France a « atténué » autant que possible la récession et se trouve ainsi actuellement à 12% au-dessous du niveau de vie allemand, pratiquement comme en 1999. Le Royaume-Uni est plus en retrait, -18%. Et l’Espagne revient de loin, mais toujours à moins de 30% du revenu allemand. Le problème est la glissade italienne. Bref le revenu a tenu en France, bénéficiant aussi de l’embellie récente de la zone et de la montée des dettes publique et privée, mais la productivité est à la traine. La hausse pourra « mal » durer.

Que dire de l’investissement productif qui « repart » selon le Président ? Jusqu’à quel point cette reprise est importante ? Et est-elle à mettre au crédit du Président et de son gouvernement ?

Michel Ruimy : Emmanuel Macron a toujours plaidé pour une évolution de l’impôt de solidarité sur la fortune, estimant que cette taxe, dans sa forme actuelle, pénalisait l’investissement productif (investissement qui accroît la capacité de production). La liberté retrouvée, les fonds devraient pouvoir soutenir l’investissement.

Or, l’épargne des « plus fortunés » ne se dirige pas vers l’investissement productif puisqu’une grande part des fonds qui circule en Bourse vont sur le marché secondaire, celui de l’occasion. Ils ne profitent donc pas aux entreprises mais à d’autres épargnants. D’une certaine manière, ce n’est pas de l’investissement mais de la spéculation, et le gouvernement refuse de le voir.

Concernant les chiffres, la dernière enquête de l’INSEE sur ce thème montre que les chefs d’entreprise de l’industrie manufacturière ont stabilisé leurs investissements, en valeur, en 2018. Elle montre également que les industriels sont plus nombreux à anticiper une hausse (plutôt qu’une baisse) de leurs investissements au premier semestre 2019. La part des investissements visant à étendre la capacité de production pour les produits existants augmenterait d’un point, passant légèrement au-dessus de sa moyenne de longue période. Ceci est important car l’investissement dans l’industrie représente environ un quart de l’investissement productif en France.

Cependant, il conviendrait de modérer un peu cette vision. En effet, la prévision d’investissement pour l’ensemble de l’année pourrait être révisée au cours des prochains trimestres car, en moyenne, depuis 2003, la prévision que les entreprises émettent en janvier est supérieure de 3 points à réalisation constatée in fine, en juillet de l’année suivante.

Jean-Paul Betbeze : Oui, l’investissement des entreprises augmente de 3,9% selon l’Insee en 2018. Il était temps, en liaison avec l’amélioration de la conjoncture et des marges (un peu, enfin), liée à la baisse de la fiscalité.

Mais des travaux de la Banque de France ont montré que les entreprises en France maintenaient à peine la valeur réelle de leurs équipements, leurs investissements compensant l’usure telle que mesurée par l’amortissement. Mais on peut s’inquiéter aussi des investissements en recherche et en matériels et programmes informatiques, plus pour la formation des salariés, faibles. L’investissement qui fait et fera la différence est autant matériel qu’immatériel,  passant par la formation, autant dire, au risque de se répéter, par les marges !

Enfin, qu’en est-il des emplois industriels qui sont selon Emmanuel Macron « recréés » ?

Michel Ruimy : L’industrie en France employait, en 2018, un peu plus de 3 millions de personnes et comptait pour 12,5% du Produit intérieur brut. La même année, elle a créé 9 500 emplois nets. Un très bon chiffre, inespéré. Le secteur est redevenu créateur net d’emplois, pour la première fois depuis 2000, à partir du deuxième semestre 2017 (+1 200 postes au troisième trimestre, + 5 400 au quatrième trimestre) avec, cependant, un solde resté globalement négatif (1 200 destructions nettes d’emplois après 25 300 en 2016).

Ainsi, depuis un an et demi, l’emploi industriel progresse en France et l’industrie y crée plus d’usines qu’elle n’en ferme. Pourtant le secteur attire peu et peine à trouver des ouvriers qualifiés, malgré huit ans de politiques publiques d’autant que sur les quelque 200 000 emplois créés par le secteur en 2018, seuls 2 200 sont des emplois pérennes sur un an, selon les chiffres croisés de l’Insee et de la Dares (direction de la statistique du ministère de l’emploi).

On observe donc un frémissement et il ne faudrait pas en tirer une gloire trop vite. N’oublions pas que l’industrie n’est pas un secteur d’activité comme les autres. On lui reconnaît un rôle crucial dans l’économie, celui de lieu principal des innovations technologiques et des gains de productivité. De manière plus générale, elle demeure un des principaux moteurs de l’activité économique en termes de valeur ajoutée et d’emploi. Elle exerce un effet d’entraînement puissant sur l’ensemble des activités. Il convient donc de consolider les efforts engagés pour engager et construire une politique industrielle en limitant les délocalisations.

Jean-Paul Betbeze : Oui, mais très peu encore. On compte 3 148 000 emplois industriels (Insee toujours) fin 2018 contre 3 140 000 fin 2016, soit 8 000 de plus. En même temps, les emplois en intérim sont passés de 305 000 à 302 000, soit – 3 000. Au total, + 5 000. Il est donc vrai que la baisse des effectifs industriels a cessé depuis le troisième trimestre 2016, ce qui est positif, notamment dans le dans le contexte actuel de ralentissement économique par la guerre des tarifs douaniers, qui pèse surtout sur l’industrie. Mais on voit à quel point tout ceci est fragile et ne pourra se solidifier que par une politique de simplifications, de flexibilisation, de formation, et de remontée des marges !

Bref, c’est de bonne guerre qu’Emmanuel Macron peigne un table flatteur de l’économie, mais il est excessif de s’en attribuer la paternité : l’économie va un peu mieux partout, grâce aux entreprises surtout. Il reste donc, non pas à continuer mais à accélérer, avant que le temps ne se couvre plus.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !