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Un an après l’explosion du port de Beyrouth le Liban entre résilience et crise sans fin
©JOSEPH EID / AFP

Au levant

Politiquement, économiquement et socialement le pays du cèdre n'arrive toujours pas à sortir d'une crise sans fin. Point sur la situation.

Maya Khadra

Maya Khadra

Maya Khadra est membre exécutif et coordinatrice de projets du Forum académique chrétien de la citoyenneté dans le monde arabe (CAFCAW), lauréate du Prix du journalisme francophone en zones de conflits en 2013 et ancienne journaliste à L'Orient-Le Jour.

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Atlantico : Un an jour pour jour après, où en est l’enquête et qu’est ce qui l’empêche d’être menée à bien ?

Maya Khadra : Ce qui serait efficace et rendrait justice aux familles des victimes et au peuple libanais, c’est une enquête internationale. C’est la revendication que porte le bloc parlementaire du parti des Forces libanaises qui a soumis un projet de loi pour demander à la communauté internationale et au conseil de sécurité de l’ONU de faire pression et de mener une enquête internationale. La dernière enquête du FBI a révélé que seulement 2750 tonnes de nitrate d’ammonium ont explosé. Cela représente 20% du total de nitrate d’ammonium qui a été stocké dans l’entrepôt numéro 12 du port de Beyrouth. Cela montre que ce produit transite à travers le Liban. Ce sont les résultats de l’enquête du FBI et de certains journalistes, je l’ai d’ailleurs évoqué dans une enquête dans Valeurs Actuelles.  (https://www.valeursactuelles.com/clubvaleurs/monde/explosion-du-port-de-beyrouth-lenquete-qui-derange/ ). Ce nitrate d’ammonium est parvenu à Beyrouth sur le MV Rhosus, un bateau de commerce russe en très mauvais état qui a coulé au large de la côte libanaise en 2018 après avoir livré cette cargaison en 2013. C’est le grand réseau du Hezbollah qui a commandé ce nitrate d’ammonium pour le régime syrien (voir le livre Hezbollah Global  de Kaveh le Forgeron qui cartographie l’activité économique du Hezbollah) et l’a fait transiter par le port de Beyrouth. Donc l’explosion est vraiment liée à la situation globale au Moyen-Orient. Le régime syrien, sous embargo, ne pouvait pas acheter de matières explosives car elles étaient trop chères. Le nitrate d’ammonium a des qualités explosives et c’est grâce à cela que le régime syrien a pu fabriquer ses barils d’explosifs. Cette occupation du Hezbollah a coûté il y a un an la vie à plus de 200 personnes et fait des milliers de blessés, sans parler des enfants libanais traumatisés, de l’héritage architectural de Beyrouth qui a été endommagé, etc. La vérité est claire pour le peuple libanais mais elle devrait être consolidée par des enquêtes internationales doublées d’un soutien car l’explosion du port est l’une des pires explosions de l’histoire mondiale.

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Ensuite, l’enquête sur le plan de la justice libanaise ne pourrait pas aboutir et me semble inefficace. On ne peut pas croire que le régime acceptera de s’auto-incriminer. Le système judiciaire au Liban est corrompu et il est à la solde du Hezbollah et du camp présidentiel. La justice est vermoulue. Le juge d’instruction Bitar, qui fait un travail remarquable, a demandé la levée de l’immunité des personnes soupçonnées d’être impliquées dans ce scandale. Mais il y a un blocage au parlement. Une majorité de députés a voté contre à l’exception du bloc des Forces Libanaises. Toutefois ce refus de lever l’immunité prouve la paralysie et l’inefficacité de la justice libanaise qui est complice. Il y a des rapports internationaux qui révèle des vérités dangereuses mais si cela ne vient pas de l’ONU, ça n’a aucun sens. Un journaliste et ami à moi, Lokman Slim, a été assassiné dans le fief du Hezbollah au sud du Liban pour avoir révélé des faits incontestables sur l’explosion du port de Beyrouth. Je lui ai rendu hommage dans une tribune (https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/02/08/lokman-slim-pourfendait-la-pensee-unique-imposee-dans-la-communaute-chiite-au-liban-par-le-hezbollah_6069192_3232.html). Ce qu’on fait, nous journalistes, c’est un engagement pour la vérité, une question de vie ou de mort pour un pays qui est à sauver. 

A quel point le pays reste-t-il marqué par le drame ?

Je pense que le pays ne s’est pas encore réveillé de ce drame. On dit que le peuple libanais est résilient, qu’il oublie tout de suite. A mon sens, il s’agit plutôt d’un refoulement post-traumatique. C’est une plaie qui reste béante et qui fait mal. Mardi L’Orient le jour a relayéune enquête de l’UNICEF montrant qu’un enfant sur trois est toujours traumatisé par l’explosion du 4 août. Au Liban, il y a une consommation énorme d'antidépresseurs, en particulier à Beyrouth. Mais ce qui est impressionnant, à côté de ce tableau glauque, c’est qu’il y a eu un certain nombre d’initiatives, dont Ground Zero, qui a été lancée pour reconstruire les quartiers sinistrés de Beyrouth ou Nabad, de l’artiste et prof universitaire Pamela Chrabieh qui encourage les artistes à continuer de s’exprimer. Beyrouth est presque plus belle qu’avant, c’est une capitale qui vit malgré ses blessures. Le Liban ploie sous une crise sans précédent et les gens dansent sur les décombres, d’autres se suicident malheureusement. C’est un peuple qui rassemble tous les paradoxes les plus vertigineux ; c’est le moteur-même de l’inconscient collectif libanaise : garder son équilibre de funambule sur cette ligne fine entre la mort et la vie.

Quelle est la situation économique actuelle du Liban ? Quel poids portent les événements du 4 août ?

L’explosion du port a été un coup de grâce. Le pays traverse depuis fin 2019 une crise économique sans précédent. Cependant les familles libanaises tiennent grâce à l’argent de la diaspora libanaise à l’étranger. Les commerçants et les professionnels du tourisme désespère et sonnent depuis longtemps l’alarme. Mais après un mois passé au Liban, je ne peux que louer la dignité de ce peuple qui ne donne pas l’impression qu’il crève de faim. On attend une heure pour faire le plein d’essence, les factures dans les restaurants sont exorbitantes mais ça n’empêche pas le peuple libanais de vivre. Le pays est toujours vivant au grand dam de ceux qui voudraient le voir mourir. L’argent de la diaspora, la solidarité communautaire et le soutien des ONG est essentiel pour cela.

Quelles options pourraient permettre au Liban de sortir de la crise ?

Il faut changer toute la classe politique. Ce changement doit venir d’élections législatives anticipées. La rue est contre cette classe politique, elle devrait s’exprimer dans les urnes. Beaucoup de nouveaux partis émergent, des partis d’opposition ont gagné une base souverainiste. Je pense que le prochain défi est de renverser la majorité actuelle : le tandem Hezbollah – Aoun. Si ce tandem « mafia -milice » est renversé, les choses vont changer. Cela pourrait permettre d’insuffler de la vie dans nos institutions démocratiques éculées. Sans élections, le pays va se désagréger. Le Courant patriotique du général Aoun tourne autour de la personne du président en se nourrissant d’une dose de populisme. Le Hezbollah lui se nourrit de l’idéologie de la révolution islamique en Iran. Cela n’a donc rien de libanais. Il faut que tout ce qui est étranger au cœur libanais soit repoussé à travers les élections. Sans cela, la situation va pourrir, sur le plan sécuritaire, sur le plan économique, etc. Cette page est dure à tourner et la suivante sera longue à écrire, mais elle pourrait permettre au pays de sortir de la crise.

Les Libanais sont aux abois et trouvent que la communauté internationale ne s’intéresse pas suffisamment à eux et que le Liban n’intéresse personne malgré l’explosion, malgré les manquements aux droits de l’homme. Une grande mobilisation a lieu ce 4 août dans le port de Beyrouth. C’est le SOS du peuple libanais à la communauté internationale. 

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