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Uber et cie : l’économie des petits boulots est-elle déjà zombie ?
©PAU BARRENA / AFP

Ubérisation, vraiment ?

L’économie des travailleurs indépendants (Chauffeurs VTC, free-lance, livreurs autoentrepreneurs…) est caractérisée par la flexibilité, par des contrats courts ou par des statuts d'auto-employeurs. Aux Etats-Unis, le taux des travailleurs autoentrepreneurs est de 10,1% en 2017 sur le total des travailleurs contre 10,7% en 2005 et 9,9% en 1995. Les chiffres ne sont donc pas très spectaculaires...

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico ; La situation en France est-elle similaire ou y a-t-il une réelle augmentation de ce modèle économique alternatif ? Peut-on vraiment parler d'une « uberisation » de la société ?

Michel Ruimy : Au plan microéconomique, le marché du travail en France, comme dans beaucoup de pays de l’OCDE, est caractérisé d’une part, par une bipolarisation c’est-à-dire que les emplois intermédiaires disparaissent, l’emploi se concentrant aux deux extrêmes : emplois très qualifiés à revenu élevé, emplois peu qualifiés à revenu faible et d’autre part, par un développement de l’emploi non-salarié (autoentrepreneurs), qui correspond surtout à une flexibilisation très forte du marché du travail et non à des créations d’entreprises voire aux startups des nouvelles technologies.

Par ailleurs, avec un peu moins de 600 000 entreprises, 2017 a été la quatrième année consécutive de hausse du nombre d’entreprises créées En 15 ans, le nombre de créations d’entreprise a été multiplié par 2. Pour autant, l’idée que cette dynamique entrepreneuriale serait l’amorce de la « start-up nation » tant espérée par Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle est à moduler. Car, dans le même temps, l’ex-statut d’autoentrepreneur ne retrouve pas les performances des premières années de son existence : alors qu’en 2009 et 2010, plus de 300 000 autoentreprises étaient créées par an, il y en eu, malgré un léger rebond, environ 240 000 en 2017. On voit donc que ce statut n’appartient pas encore au paysage économique français. 

La baisse de cet engouement peut s’expliquer par le fait que les autoentrepreneurs ont les inconvénients des patrons mais aussi, ceux des salariés. Ce qui intéresse les entreprises dans ce statut, c’est une flexibilité de l’emploi et le contournement de la plupart des dispositions du code du travail (durée légale du travail, heures supplémentaires, congés payés, formation…). Ainsi, être autoentrepreneur aujourd’hui, c’est faire face à une situation particulièrement précaire. 

Si cette évolution est détestable : ouverture des inégalités, déclassement des jeunes qualifiés, flexibilité non contrôlée de certains segments du marché du travail…, elle correspond aux tendances spontanées de l’économie : désindustrialisation, développement des services à la personne, développement des plateformes collaboratives (livreurs à vélo, échange d’appartements, chauffeurs à la demande, covoiturage…) qui ont chamboulé notre vie quotidienne et nos relations sociales. 

Certains conflits, comme celui entre les taxis et UberPop il y a quelques mois, a mis en lumière la difficile adaptation de certains secteurs face à l’économie du partage. En ce sens, « l’ubérisation de la société » est une expression péjorative puisque derrière le côté utopique de l’économie de partage guette un nivellement par le bas. 

Face aux premières critiques, quelles conclusions peut-on en tirer sur la sécurité de l’emploi et les limites induites par un tel modèle ?

Au départ, l’économie collaborative s’est développée autour d’un discours alternatif. Certains, comme Jérémy Rifkin, voyaient en elle une possibilité d’éclipser le capitalisme. Elle était germée dans des milieux militants, qui revendiquaient une éthique de réciprocité, une valorisation du lien social voire une démonétisation des relations économiques. Force est de constater qu’à mesure qu’elle prend de l’ampleur, l’économie collaborative change de visage.

En effet, du côté de la demande, le premier motif invoqué d’une participation à l’économie collaborative est le facteur économique. Les personnes veulent trouver de nouvelles sources de revenus. Quand la situation économique ne permet plus de vivre comme avant, c’est parfois la seule manière de gérer la contrainte. Mais cette explication ne suffit pas. On remarque aussi que l’économie collaborative répond à un besoin de prendre sa vie en main. Il existe également une demande de sens, une valeur symbolique au geste collaboratif. Et puis d’un autre côté, l’offre s’est considérablement développée ces dernières années. 

Cette mutation pose question car cette ubérisation de l’économie, qui repose sur des stratégies commerciales traditionnelles : une optimisation fiscale et un dumping social, recouvre l’idée d’un capitalisme sans capital. Ainsi, les voitures n’appartiennent pas à Uber, Le Bon Coin ne possède pas les produits qui sont vendus sur le site, AirBnB a des millions de clients mais un capital investi ridicule… C’est le sommet du capitalisme : gagner de l’argent sans investir de capital ! 

Dans ce contexte, le travail connaît une forme de régression. Le salariat avait mis des décennies à être régulé. Or, l’économie collaborative est une manière de faire travailler des individus sans nécessairement les rémunérer à hauteur du service qu’ils rendent. Nous assistons ainsi, depuis une dizaine d’années, à une dégradation dans beaucoup de pays des conditions de vie des salariés. 

C’est pourquoi, alors que les recours portés par l’URSSAF se multiplient, que les professionnels de l’hôtellerie et de l’immobilier se mobilisent contre la concurrence jugée déloyale d’AirBnB, un cadre réglementaire commence à se structurer autour de l’économie collaborative. De plus, une instruction de l’administration fiscale, publiée en 2016, indique précisément les activités soumises à une obligation de déclaration des revenus et celles qui ne le sont pas. Depuis fin 2016, la ville de Paris collecte une taxe d’un peu moins de 1 euro par nuit et par voyageur auprès d’AirBnB. Par ailleurs, des arrêtés pris par plusieurs villes françaises manifestent la volonté des pouvoirs publics de reprendre la main pour que cette nouvelle économie ne se transforme pas en économie de prédation.

Chauffeurs VTC, free-lance, livreurs autoentrepreneurs… Ce sont des métiers dont la flexibilité apparente cache la difficulté d’augmenter ses revenus. 

Quels sont les risques encourus par l’entreprise en généralisant ce genre de contrats ? Ces jobs connaissent un fort taux de turn-over, n’est-ce pas un coût pour l’entreprise finalement ?

Dans le contexte actuel de capitalisme financier, le plus grand reproche adressé à l’ubérisation est la suppression de nombreux emplois. Par exemple, dans une certaine mesure, Airbnb fournit les mêmes prestations qu’Accor mais ce dernier emploie 300 fois plus de personnes ! C’est là tout l’objet d’une telle entreprise. Le fait d’avoir peu de coûts fixes permet de facilement lancer son entreprise dans l’économie collaborative. La faillite effraie moins les investisseurs du fait d’un faible investissement de départ. On voit donc bien que les risques sont majoritairement portés par les prestataires. 

D’autant que si on peut se féliciter que les gens se prennent en main, qu’ils ne soient plus passifs, on assiste, dans le même temps, à un détournement de la relation salariale car certaines entreprises incitent leurs salariés à devenir autoentrepreneurs. À terme, on peut craindre que de plus en plus de personnes accumulent des petits métiers pour gagner leur vie : un peu de salariat, un peu de temps partiel, un peu de collaboratif, un peu de chômage...

Par ailleurs, nous assistons à un transfert d’emplois. Les postes créés sont relativement peu qualifiés : distribution, logistique, services à la personne, sécurité… Ceci se fait au détriment de l’emploi industriel qui continue à disparaître. L’évolution technologique et celle de la structure des emplois ne font pas apparaître du chômage : elle transforme des emplois en d’autres moins productifs, moins bien payés. 

En définitive, je pense que nous ne pouvons demander aux salariés plus d’efforts sans compensations intelligentes. Ceci ne passe pas nécessairement par une meilleure rémunération mais par un vrai système de formation professionnelle, par une participation à l’intéressement… 

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