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Tueur isolé ou massacre terroriste à Charleston : ce qui se cache derrière les mots qu’on emploie
©Reuters

Terroriste?

La tuerie de Charleston dans laquelle un jeune blanc d'une vingtaine d'année a abattu neuf membres d'une église évangéliste noire fait poser la question d'un terrorisme nouveau. Et pourtant, le mot même de "terroriste" n'est pas celui qui a fait la Une des journaux, les médias lui préférant les termes de "loup solitaire" ou "tueur isolé".

Daphné Pugliesi

Daphné Pugliesi

Me Daphné Pugliesi est avocat à Neuilly sur Seine. Elle  est compétente en droit pénal, en droit du travail et en responsabilité médicale. 

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Atlantico : Le tueur de Charleston se revendique d'une mouvance politique. Dès lors quelle est la différence entre ce tueur et un terroriste islamiste ?

Daphné Pugliesi : le premier acte terroriste qualifié comme tel date de 1791! Il n'y a donc pas de terrorisme islamique qui serait plus proche de la définition que d'autres. On définit cette notion comme un acte commis dans un but de troubler l’ordre public. Le but premier est bien de troubler. Cela implique des victimes non identifiées dont l'éliminination n'est pas motivée par des raisons personnelles, et qui appartiennent à une communauté : pour les islamistes, c'est la commuauté des mécréants, musulmans ou non. Dans le cas de Charleston, c'est un blanc qui attaque la communauté noire, donc on est bien dans un acte terroriste. La différence c’est qu'il commet un acte isolé et qu'il n’appartient pas à un groupe politique clair et défini, alors que les islamistes se revendiquent d’un groupe.

Cependant notre législation définit un acte terroriste soit comme collectif soit individuel. Le fait donc qu'il soit seul n'enlève rien de l'acte terroriste, la législation, en France, est assez claire là-dessus.

Pourquoi privilégie-t-on la dénomination de tueur isolé dans ce type de cas ? Et que révèle cette difficulté à utiliser le terme de "terroriste" lorsqu'il s'agit d'un blanc ? 

Les journalistes sont prudents. On est dans une société où il y a un réel amalgame entre islamisme et terrorisme. Dans cette configuration où un blanc va s'attaquer à la communauté noire, on sent un réel malaise. Et pourtant, le but de cette attaque était bien de semer la terreur au sein de la population, et comme tout acte terroriste, le tueur s'en est pris à une communauté différente de la sienne. Mais parce qu'il n'appartient pas à un groupe, parce qu'il semble être un loup solitaire et peu entouré, on préfère le qualifier de tueur isolé. De plus, on a connu un réel tournant dans la définition du terrorisme depuis les attentats du 11 septembre 2001 : terrorisme et islamisme n'ont fait plus qu'un, et cet acte est tellement fondateur de la société dans laquelle nous vivons qu'il est très difficile de revenir au sens propre du terrorisme.

Et pourtant, à force de faire l'amalgame, et d'associer terrorisme et islamisme, de dénoncer la terreur imposée par des musulmans, on risque de voir les cas inverses se multiplier : la réaction et l'envie de vengeance est inhérente à l'homme. Dès lors on risque de voir apparaître des actes terroristes non liés à un engagement politique, à une revendication, mais sur la base du simple racisme, du rejet d'une communauté autre. La différence alors entre le crime raciste et l'acte terroriste tient au statut de la victime : alors que le crime raciste vise une personne en particulier, à partir d'un élément déclencheur, l'acte terroriste cible des victimes au hasard. Dans le cas de Charleston, il s'agissait de paroissiens d'une église certe symbolique, mais les paroissiens n'étaient pas visés eux, personnellement. Le but était donc de viser une communauté dans son ensemble, en visant en lieu particulier mais dont les victimes auraient pu être autres. Le but premier de cette tuerie était donc bien de perturber l'ordre public. Il n'y a pour moi aucune différence entre cette tuerie et la tuerie de Koulibaly qui entre dans un restaurant casher -symbolique- et tue les personnes présentes ce jour là indiféremment. Effectivement, le fait que les journalistes dans un cas parlent très facilement d'acte terroriste et dans l'autre non montre cette difficuluté qu'on a à dissocier terrorisme et islam.

La condamnation du tueur de Charleston, et probablement sa condamnation à mort, est une partie de son geste qu'il connaissait. La dimension kamikaze fait presque toujours partie de l'acte terroriste: pourquoi ces tueurs acceptent-ils de donner leur vie pour commettre un crime?

Le côté kamikaze permet aussi de donner plus de force à son action, donner plus de profondeur à sa croyance avec cette notion d'aboutissement. Si on veut sauver sa peau, alors il est surtout plus difficile de réaliser son acte. Pour commettre l'acte terroriste, on doit comprendre l'enjeu et accepter que cela signifie sa propre fin.  Dans le cas du terrosime islamiste, c'est un peu ambigu: donner sa vie sert la cause du parti, mais cela implique également une récompense dans l'au-delà. Dès lors, l'acte terroriste est aussi un moyen de s'assurer une bonne "mort". Enfin, s'ériger en martyr d'une cause peut aussi donner du poids à la cause et élever la personne qui commet l'acte terroriste, donc peut être aussi de lui donner une visibilité, une importance qu'il n'avait pas auparavant.

Comment se limite la notion de terrorisme, en termes juridiques et idéologiques ?https://ssl.gstatic.com/ui/v1/icons/mail/images/cleardot.gif

Juridiquement, elle est déterminé par l'article 421-1 et dans la législation française, toute infraction prévue doit l’être strictement. L'acte terrorisme est vraiment une intimidation par un individu ou un collectif avec le but de troubler l’orde public. La législation européenne colle au texte français. Aux Etats-Unis, il y a une définition propre, ainsi que dans chaque pays. S'il n'ya pas d'unité internationale, ni d'égalisation des sanctions, on observe en revanche qu'il y a un vrai travail pour le transfert des terroristes, pour faciliter leur mise en procès. Dans les affaires de terrorisme, les transferts sont beaucoup plus simples que dans tous les autres cas.

Dans l'idéologie, on voit surtout qu'il y a une peur de plus en plus importante, et cette peur vient du risque terroriste en constante augmentation: il y a des juges supplémentaires pour l'anti-terrorisme en France, une multiplication des enquêteur qui révèle une réelle prise de conscience politique de ce risque. Nous ne sommes plus au temps des grandes guerres napoléoniennes, mais bien dans l'ère de la violence et de la terreur qui cherche à tuer et terroriser, pour des intérêts liés à la communauté et non plus à la société.

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