Drame de Tourcoing : symbole de ces jeux dangereux entre enfants qui tuent dès la maternelle<!-- --> | Atlantico.fr
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Quatre enfants ont été grièvement brûlés lundi soir à Tourcoing, suite à un jeu qui semble avoir mal tourné.
Quatre enfants ont été grièvement brûlés lundi soir à Tourcoing, suite à un jeu qui semble avoir mal tourné.
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Mortel

Ce lundi, un enfant est décédé à Tourcoing, suite à un jeu qui a mal tourné. Jeux du foulard, sauts devant les trains : les comportements dangereux chez les pré-ados sont de plus en plus fréquents. Les parents peinent à comprendre.

Hélène Romano

Hélène Romano

Hélène Romano est docteur en psychopathologie, psychothérapeute et psychologue clinicienne. Elle a publié en mai 2012 L'enfant et les jeux dangereux.

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Atlantico : Quatre enfants ont été grièvement brûlés lundi soir à Tourcoing, suite à un jeu qui semble avoir mal tourné. L'un d'eux est décédé suite à ses blessures. Ce genre d'événement est-il fréquent ?

Hélène Romano : Leur fréquence est difficile à évaluer, car ces accidents ne sont pas référencés. Mais je travaille dans un Samu, et cela fait partie des interventions régulières. Très souvent, il n'y a pas de conséquences graves, donc ça passe. Mais parfois, il y a des accidents dramatiques.

Les gros accidents, ceux qu'on appelle les « jeux de mort », ce sont des enfants qui traversent les rails du métro ou du train, qui provoquent malheureusement de plus en plus de décès. Il y a aussi les sauts de grande hauteur, comme de ponts... En terme d'accidentologie, c'est fréquent, et comme on essaye d'y être plus attentif, on a l'impression qu'ils sont de plus en plus nombreux.

Ces accidents liés à des jeux dangereux sont-ils de même nature que le "jeu du foulard" ? Dans le drame de Tourcoing, il semblerait que les enfants souhaitaient construire une fusée...

Il faut voir ce qu'ils peuvent en dire, pour savoir si c'était de la même nature.

Il existe trois catégories de jeux dangereux :

- les jeux d'asphyxie, comme le jeu du foulard
- les jeux de mort, et celui de Tourcoing peut en faire partie, d'après les éléments dont on dispose
- les jeux d'agression, où les enfants se frappent dessus violemment sans motif et en viennent à se tuer.

On parle de jeu dangereux quand les enfants les pratiquent sans raison, sans trop savoir pourquoi ils le font. Si c'était dans le cadre d'une expérience, élaborée, réfléchie, ce n'est plus un jeu dangereux.

Qu'est-ce qui pousse les enfants à pratiquer ces jeux ?

Il y a trois profil de « joueurs » :

- ceux qui ne se rendent pas compte du danger. C'est le fameux « t'es pas cap' ; si tu ne le fais pas, tu ne feras plus partie du groupe ». Ils le font sans avoir conscience de la gravité de leur acte ;
- il y a une partie d'enfants suicidaires. Ils savent parfaitement qu'ils risquent de mourir, et c'est pour cela qu'ils le font, même si bien souvent à la dernière minute ils desserrent le lien pour ne pas mourir asphyxiés, par exemple ;
- et une catégorie plus problématique au niveau de la psychopathologie : des enfants meneurs qui vont le faire pour mettre en danger les autres.

Sur le groupe de quatre, à Tourcoing, il est possible que nous ayons différents profils, avec par exemple un enfant qui n'avait pas trop envie de se mettre à l’écart du groupe et qui a été poussé par un meneur à se mettre en danger.

Est-ce un phénomène récent ?

Non, ce n'est pas nouveau : on retrouve des jeux d'asphyxie dans des écrits du XVIIIe siècle. Par contre, c'est mieux repéré aujourd'hui, et mieux compris comme un symptôme. Ce n'est pas du tout un jeu – qui doit construire la relation – c'est une pathologie du lien.

Très souvent, les enfants qui pratiquent ces jeux sont dans des relations assez insécurisantes avec les adultes. Il n'y a pas d'adulte pour leur poser un cadre, pour les sécuriser, ce qui fait qu'ils vont se mettre en danger ou ne pas oser s'exclure du groupe et donc devenir des proies faciles pour d'autres. C'est peut-être pour cela qu'on en a a priori plus de nos jours, puisque nos sociétés sont assez instables et peu sécurisantes. On a donc des enfants et adolescents qui se mettent en danger, et cela commence très tôt : on a eu les premiers jeux dangereux référencés en maternelle cette année.

Vers quel âge cela s'arrête-t-il ?

Les études que nous essayons de faire montrent que ça commence vraiment au primaire – pour certains en maternelle – ça s'amplifie au collège, puis ça se calme au lycée.

Peut-être les lycéens sont-ils plus conscients du danger, ou peut-être disposent-ils de plus de ressources et de plus d'aide pour faire face aux difficultés du quotidien. Ils acquièrent peut-être aussi une maturité.

Par « plus de ressources » pour faire face aux difficultés, vous voulez parler de drogue et d'alcool ?

Le binge-drinking, le fait de se saouler à outrance, est souvent repéré chez des ados qui pratiquaient auparavant les jeux dangereux, il y a donc certainement un lien entre les deux. Les pratiques à risque et l'utilisation de stupéfiants aussi, mais l'alcoolisation excessive est vraiment liée à des pratiques précédentes de jeux dangereux chez les ados hospitalisés, donc les cas les plus dangereux. Cela correspond plus à des jeunes assez déprimés, désespérés, et qui essayent d'exister.

Quelle est la responsabilité des parents ? A Tourcoing, on peut par exemple s'étonner que des jeunes de 10-11 ans aient joué avec un bidon de produits inflammables.

C'est la police qui dira s'il y a eu un manque de surveillance. Ce qu'on peut dire en général, c'est que ces pratiques dangereuses sont souvent faites en cachette. On peut évidemment toujours affirmer qu'il y a un défaut de surveillance. Mais au-delà de ça, il faut comprendre que les parents et enseignants ne peuvent pas être collés 24h sur 24h à leurs enfants.

Mais il y a une responsabilité globale des adultes, des parents, des professionnels, et il devrait y avoir une sensibilisation des politiques, car ces pratiques sont souvent banalisées. Dans les émissions où je suis intervenue, j'ai souvent entendu des auditeurs dire qu'ils ont signalé des faits graves et se sont vu répondre par le directeur de l'établissement que c'était « des jeux de gamins ». C'est pourtant un vrai symptôme, peut être le symptôme de notre société pour les ados et pré-ados d'aujourd'hui. C'est vraiment à prendre en considération.

Comment un parent doit-il réagir face à ces pratiques ?

Il faut qu'il se tourne vers quelqu'un de confiance : un médecin généraliste, un pédiatre, un médecin scolaire... La difficulté, c'est que le sujet est méconnu et les adultes ne comprennent pas que c'est un vrai symptôme. Or, il faut comprendre quel est le message derrière l'acte de l'enfant, sinon il recommencera.

Propos recueillis par Morgan Bourven

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