Tensions sur les différents modèles d’intégration européens : le cas scandinave<!-- --> | Atlantico.fr
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En Suède, Stockholm et sa banlieue ont connu quatre nuits de violences la semaine dernière.
En Suède, Stockholm et sa banlieue ont connu quatre nuits de violences la semaine dernière.
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Loi des séries

Stockholm et sa banlieue ont connu la semaine dernière quatre nuits de violences. Les émeutes, d'abord confinées à Husby, un des quartiers pauvres de Stockholm, se sont étendues aux autres quartiers défavorisés et abritant une forte population d'immigrés.

François-Charles  Mougel

François-Charles Mougel

François- Charles Mougel  est professeur des Universités d'Histoire contemporaine à Sciences-po Bordeaux. Il est l'auteur de L'Europe du Nord contemporaine de 1900 à nos jours aux éditions Ellipses (2006) et de Histoire des relations internationales. De la fin du XVIIIème siècle à l'aube du IIIème Millénaire (2013).

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Atlantico : En Suède, Stockholm et sa banlieue ont connu quatre nuits de violences la semaine dernière. Les incendies de voitures, dégradations et jets de pierre, d'abord confinés à Husby, un des quartiers pauvres de Stockholm, se sont étendus aux autres quartiers pauvres et abritant la plus forte concentration d'immigrés. Une partie de la presse met en cause l’échec du modèle d’intégration suédois. Quelles sont les spécificités de ce modèle et plus largement du modèle scandinave ?

Charles-François Mougel : Les grands principes du modèle d'intégration suédois ont été posés dès les années 1930. La Suède est une société égalitaire et elle vise à offrir à ses participants l'ensemble des bénéfices du Welfare state à l'anglaise (plein emploi, le maximum de sécurité sociale et des facteurs de progrès). 

La question est de savoir si ce modèle est tenable dans une société où le système économique ne permet plus à l'Etat d'assurer à tous les bienfaits qu'il avait promis. On constate un problème de solvabilité de ce modèle et sur le plan politique, il donne lieu à un problème de crédibilité.

Les caractéristiques du modèle suédois se retrouvent en Norvège, au Danemark, en Finlande et dans une certaine mesure en Islande. Aujourd’hui, le modèle scandinave n'arrive plus à être à la hauteur des exigences qu'il avait lui-même posées.

La France et la Grande-Bretagne ont également connu des émeutes. La situation dans les pays scandinaves est-elle comparable ?

Les émeutes qui ont eu lieu en Suède la semaine dernière ont provoqué un réel choc. La société suédoise est une société relativement paisible, même s'il y a des tensions sous-jacentes. La violence n'est pas en Suède un moyen d'expression normal. En France, nous avons une tradition de la manifestation et la violence fait partie de notre culture. 

En Suède, ces émeutes apparaissent comme un événement qui brise le consensus. Ne s'agit-il pas du résultat d'une vision trop positive de l'humanité ? Les Suédois pensent en effet que l'humanité est perfectible et que la notion de progrès est profondément ancrée en chacun d'entre-nous. Ils ne s'attendaient pas du tout à ce que le consensus soit rompu par des personnes qu'ils pensaient pouvoir intégrer à leur modèle. 

La France n'a pas cette attitude. Nous sommes principalement confrontés à une immigration liée à notre passé colonial. Nous avons un sentiment de culpabilité alors que pour les Scandinaves, l'accueil d'un étranger relève d'une position éthique. Notre sentiment à nous relève davantage de la repentance. Les Suédois ont donc le sentiment que leur modèle est contesté alors qu'ils ne sont pas responsables des causes de ces émeutes (même si bien sûr l'immigration n'explique pas à elle seule ces émeutes, elle n'est qu'un des facteurs). 

Les violences urbaines sont également dues au caractère plus inégalitaire de la société suédoise ces dernières années. Il s'agit peut-être là aussi d'un effet d'une politique de trop grand accueil. Il y a entre 10 et 15% de la population suédoise qui est d'origine étrangère. Ce niveau est extrêmement élevé parmi les sociétés européennes. 

Ces pays ont longtemps été réputés pour leur politique sociale et leur pacifisme. Est-ce un mythe ou une réalité ?

Il s'agit effectivement d'une société paisible mais pas d'une société prête à accepter n'importe quoi. La Suède n'est pas un pays qui accepte les menaces extérieures et pendant longtemps, une grosse part de son PIB a été consacrée à la Défense. 

Sur le plan intérieur, la société suédoise estime que les violences sous-jacentes doivent être résolues par une politique de consensus. Tout le monde doit faire un effort pour participer au bien-être collectif. C'est une société dans laquelle chacun doit faire l'effort d'affirmer ses positions, et d'accepter les positions de l'autre. Mais depuis les années 1930, un certain nombre de phénomènes montrent qu'il existe des tensions aussi bien à l’extrême gauche qu'à l'extrême droite. 

La tuerie d'Utoya en Norvège peut-elle être considérée comme le premier symptôme d'une crise plus  profonde du modèle scandinave ?

Les sociétés scandinaves connaissent effectivement des tensions. Au Danemark par exemple, on voit bien que les partis extrémistes de droite ont récolté de nombreuses voix lors des élections de 2011. Les forces dites du "progrès", qui sont en fait des forces d'extrême droite, réalisent des scores importants en Norvège. Idem pour l'Islande. La Finlande connait peut-être moins de tensions de ce type en raison de sa tradition de coalitions dites "arc-en-ciel".

Mais toutes les sociétés du Welfare state doivent être établies sur des compromis actifs et non pas passifs. Le modèle scandinave qui est solide montre bien que la démocratie, aussi bien au sens politique que socio-économique, se construit et n'est pas un acquis. Pendant longtemps, on identifiait peu de perdants au système suédois, maintenant ce n'est plus le cas et c'est le sens de ces manifestations. Les manifestants ont le sentiment de ne pas être considérés comme des égaux dans un système où la barre est très haute. On constate donc un phénomène de fracture potentielle, ce qui montre que rien n'est acquis et qu'il faut faire le maximum pour que cela fonctionne. 

Au début des années 1990, le pays a fait face, en même temps, à une grave crise économique et à l’afflux massif d’immigrés fuyant les guerres en ex-Yougoslavie et en Somalie. Les problèmes d’intégration en Suède sont-ils uniquement d’ordre sociaux ou également culturels ?

La politique d'immigration a toujours été voulue par les Suédois parce que cela correspond à leur éthique humanitaire, comme la plupart des pays scandinaves. Les pays nordiques consacrent d'ailleurs près de 1% de leur PIB à l'aide au développement, ce qui est considérable. 

L'accueil de ses étrangers, souvent persécutés dans leurs pays d'origines, correspond à une tradition d'accueil et de partage. Il y a, en Suède, des gens d'ex-Yougoslavie, du Proche Orient et des immigrés venant d'Asie. Mais dans une société qui a connu des difficultés économiques, le coût de l'intégration est important. D'autant plus que pour offrir à ces populations n'ayant pas forcément les codes d'une société très avancée les moyens de leur installation ou encore de leur éducation représente un coût important. 

A partir du moment où les Suédois ont commencé à connaitre des phénomènes de chômage et de crise du logement, ils ont reporté cela sur l'immigration.C'est une phénomène de bouc-émissaire où l'immigration devient un point de focalisation des difficultés du système suédois. 

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