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Tensions sur la France au sein de l'Eurogroupe : les fétichistes des règles budgétaires européennes finiront-ils par tuer l'Europe à force d'orthodoxie ordo-libérale ?
©Reuters

Syndicat de copropriété

Après les polémiques de ces derniers jours suite aux déclarations de Jean-Claude Juncker au sujet des délais accordés à la France en matière budgétaire "parce que c'est la France", la Commission européenne et l'Eurogroupe semblent avoir réaccordé leurs violons ce vendredi en rappelant la France à ses obligations après les protestations de Jeron Djisselbloem.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Dans une interview accordée au Figaro, le chef de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, s'en est pris à Jean-Claude Juncker qui fragiliserait, selon lui, la crédibilité de l'Union en faisant preuve de largesse à l'égard de la France. Faut-il y voir un conflit entre deux visions de la construction européenne, la première étant basée sur un cadre juridique strict, la seconde étant plus "pragmatique"? Ces deux visions sont-elles irréconciliables ?

Christophe Bouillaud : Pas nécessairement, mais il est certain que, dans le présent contexte, l’opposition est évidente. La vision juridique traduit l’idée très politique, en réalité, que l’Union européenne ne tient que par les règles institutionnelles que l’on s’est données en commun. En l’occurrence, depuis 2010, les Européens ont renforcé le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) en lui donnant un caractère nettement plus contraignant.  C’est ce que le Néerlandais J. Dijsselbloem essaye de faire respecter.

L’autre vision est celle, tout aussi politique, selon laquelle l’Union européenne doit avoir des dirigeants pro-européens à la tête de ses pays membres, et selon laquelle il ne faut pas trop braquer les opinions publiques contre l’Europe. 

De ces deux visions, laquelle est la plus légitime ? Laquelle est la plus souhaitable ? Sans contester l'utilité de toutes les réglementations européennes, n'est-il pas dangereux de limiter l'Union Européenne au rôle d'un immense syndicat de copropriété ? En quoi l'Union serait-elle victime de sa trop grande rigidité, ou de sa trop grande souplesse ?

L’Union européenne s’est voulue une communauté de droit, où tous les conflits politiques pouvaient être réglés par un arbitrage juridiquement encadré entre les intérêts en présence. Un immense syndicat de copropriété comme vous le dites. Le droit lui-même comporte en général une bonne dose de pragmatisme dans son application par les juges européens. Cependant, actuellement, la légitimité politique de l’Union européenne est tellement attaquée de toute part que la vision de Juncker, qui tient compte de la réalité politique des rapports de force dans chaque pays, parait la plus raisonnable. Est-il en effet nécessaire de montrer aux électeurs espagnols à quelques semaines d’une élection nationale pour le moins décisive que l’Espagne devrait faire encore plus d’austérité, alors que ces derniers n’en peuvent déjà plus depuis longtemps ? Est-il nécessaire de mettre en difficulté un gouvernement de gauche portugais qui essaye, non sans mal, de concilier appartenance à la zone euro et un semblant de justice sociale ?

Les propos de Dijsselbloem sont d’autant plus surprenants par leur absence de sens politique qu’ils viennent d’un politicien dont le parti, le PvDA, les socialistes néerlandais, se trouve au plus bas dans les sondages. Voilà donc un politicien "socialiste" qui semble vouloir tout faire pour démontrer que l’Union européenne se moque totalement des besoins sociaux des populations et ne sert que des règles budgétaires destinées à rassurer  les marchés financiers… On aurait pu rêver une plus belle mort pour le socialisme européen.

Pour autant, la vision de Juncker est-elle exempte de tout défaut ? Faut-il laisser plus de libertés à la France "parce que c'est la France" ? La France en fait-elle suffisamment pour se conformer aux règles qu'elle a elle même participé à édicter ? 

Le défaut de la vision de Juncker est de ne pas aller assez loin dans la critique du caractère contre-productif des actuelles règles européennes. Il n’a pas osé jusqu’ici "faire son Draghi", soit tout changer au programme de départ pour sauver l’euro et l’Europe. De son côté, la France fait sans doute des efforts pour se conformer à ces règles. Ce n’est pas là le vrai problème. En réalité, ce qui représente la menace à terme pour l’Union européenne, c’est son inefficacité à relancer la croissance économique et à préparer l’avenir. Son policy mix est délirant : une politique monétaire plus qu’accommodante, mais une tendance à avoir des politiques budgétaires inutilement restrictives qui ne préparent pas du tout l’avenir et ralentissent la reprise.

Par ailleurs, dans le cas français, avec un FN à 30% ou pas loin, et un exécutif  assez déconsidéré par ailleurs, il ne me paraitrait pas très fin de la part de Bruxelles de provoquer aujourd’hui une crise avec Paris. François Hollande a en effet déjà assez de problèmes avec l’opinion publique française, pour ne pas lui rajouter une sanction européenne. Il ne faudrait pas tout de même amener le FN à l’Elysée… pour une stupide histoire de chiffres de déficit. 

Cependant, si les règles à respecter ne produisent pas les résultats escomptés, comme cela a pu être le cas au travers des politiques d'austérité, les instances européennes sont-elles suffisamment "matures" pour revoir leur copie, et accepter une remise en question ? Une telle remise en question ne serait-elle pas la source d'une fragilisation d'un ensemble encore jeune ?

Les instances européennes ne sont pas en cause, ce sont les hommes qui les font vivre qui le sont. Il suffit de voir ce qu’a osé faire Mario Draghi qui, il est vrai, a aussi profité des essais et des erreurs de Jean-Claude Trichet. Jean-Claude Juncker pourrait faire de même. On n’est pas obligé non plus d’avoir un socialiste néerlandais peu imaginatif à la tête de l’Eurogroupe. On peut changer le ministre des Finances en Allemagne. Franchement, je ne verrais pas cela comme une fragilisation de l’Union européenne. En pratique, si Mario Draghi n’avait pas à l’été 2012 fait son pari de joueur de poker du "whatever it takes" pour sauver la zone euro, nous parlerions déjà en 2016 de l’Euro et de l’Union européenne au passé ! Il a sauvé les meubles en biaisant les règles de la monnaie unique, mais il faut aller plus loin pour regagner les esprits et les cœurs à l’idée européenne en relançant vraiment la croissance dans l’Union européenne et en s’efforçant ainsi d’effacer les blessures des années récentes entre pays débiteurs et pays créditeurs.

L’immobilisme ne sauvera pas l’Union européenne actuelle. Certes, on peut continuer à agoniser encore ainsi pendant quelques années, mais on ne sauvera pas l’Union si les dirigeants européens et nationaux ne changent pas de vision.  En sont-ils capables ? Je ne le crois pas, mais mon pessimisme foncier peut me tromper.

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