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Tech Model Railroad Club : comment les petits génies du MIT se sont appropriés les premiers ordinateurs
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Bonnes feuilles

L'histoire du premier ordinateur à transistors le TX-0, et le rôle du TMRC, une association d'étudiants du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Extrait de "L'éthique des hackers" (1/2).

Steven  Levy

Steven Levy

Steven Levy est un spécialiste et journaliste dans le domaine de l'informatique. Il a été publié notamment dans le magazine Rolling Stone, et collabore régulièrement au magazine Newsweek.

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Lincoln Lab l’avait développé dans le seul but de tester un ordinateur géant, le TX-2, dont la mémoire était si complexe que seule sa réplique miniature pouvait en diagnostiquer les problèmes d’une manière fiable. Cette mission initiale accomplie, le TX-0 à trois millions de dollars avait été envoyé à l’Institut pour un « prêt à long terme » et, apparemment, personne au Lincoln Lab ne s’était soucié de le voir revenir. Dennis demanda à ceux du S&P s’ils désiraient voir la machine.

– Hé, bande de bonnes soeurs ! Ça vous dirait de rencontrer le pape ? Le TX-0 se trouvait dans le bâtiment 26, au premier étage du laboratoire de recherche en électronique (RLE) juste au-dessus du Centre de calcul qui abritait l’ IBM 704. Le RLE ressemblait à la salle de commande d’un ancien vaisseau spatial. Le TX-0, ou Tixo, comme on le surnommait parfois, faisait alors figure de nain, vu qu’il s’agissait d’un des tout premiers ordinateurs utilisant des circuits imprimés pas plus grands qu’un doigt, au lieu de lampes longues comme la main. Il occupait néanmoins presque tout l’espace de la pièce si l’on comptait son système d’air conditionné qui pesait quelque quinze tonnes. Les composants du TX-0 étaient montés sur plusieurs châssis métalliques minces, semblables à des étagères, avec des fils enchevêtrés et de petites rangées de flacons en verre abritant les transistors. D’austères cadrans de mesure constellaient un autre panneau. Devant se trouvait une console en équerre, le tableau de commande de ce vaisseau digne des romans de H.G. Wells, avec un couvercle bleu pour y poser ses coudes et de la paperasse. Sur le petit côté du « L » se trouvait un télétype Flexowriter (1) dont la base était arrimée à un support gris ; on aurait dit une machine à écrire conçue pour commander un char d’assaut. Au-dessus se trouvaient les tableaux de commande, des sortes de boîtes superposées, ripolinées d’un jaune réglementaire. À côté, quelques cadrans de commande, plusieurs rangées de mini-interrupteurs en acier de la taille de grains de riz et, cerise sur le gâteau, un bon gros écran cathodique.

Les gars du TMRC n’en revenaient pas : cette machine fonctionnait sans cartes. L’utilisateur commençait par perforer un programme sur un mince et long ruban de papier à l’aide du télétype Flexowriter (il y en avait quelques autres dans les pièces voisines), puis s’asseyait à la console, glissait le ruban dans un lecteur et attendait que le programme s’exécute. Si quelque chose clochait dans le programme, on pouvait le savoir immédiatement et trouver la cause du problème en manipulant des interrupteurs ou en vérifiant quels témoins lumineux clignotaient ou s’allumaient. L’ordinateur était même équipé d’une sortie audio : lorsque le programme se chargeait, un haut-parleur situé sous la console diffusait une espèce de musique, quelque chose comme le grincement distordu d’un orgue électronique. Les tonalités de cet « orgue » variaient d’une fraction de seconde à l’autre selon les données que lisait la machine ; ainsi, lorsqu’on était suffisamment aguerri, pouvait-on réellement entendre sur quelle partie du programme travaillait l’ordinateur. Il fallait néanmoins apprendre à distinguer tout cela dans le crépitement du Flexowriter, semblable à un échange nourri de tirs de mitrailleuses. Plus étonnant encore, cette nouvelle « interactivité », et le fait que les utilisateurs pouvaient désormais passer beaucoup de temps à manipuler le TX-0, permettait de modifier un programme tout en étant assis devant l’ordinateur. Quelle révolution !

Rien au monde n’aurait pu éloigner Kotok, Saunders, Samson et la bande de cette machine. Heureusement pour eux, le TX-0 semblait à l’abri de la bureaucratie qui restreignait l’accès à l’IBM 704. Pas de gardiens du temple. Le technicien responsable des opérations était un homme réservé, un Écossais aux cheveux gris nommé John McKenzie. Il veillait à ce que les étudiants diplômés et ceux qui bénéficiaient d’une bourse de recherche – les utilisateurs officiellement reconnus – aient accès à la machine. Dans le même temps, il tolérait la présence des dingos du TMRC qui traînaient autour du RLE, où se trouvait le TX-0.

1/ À l’époque, un télétype servait d’organe d’entrée et de sortie pour un ordinateur ; il convertissait la frappe mécanique sur les touches en impulsions électriques (par exemple pour perforer des cartes) et produisait une sortie imprimée. Mais, pour le TX-0, il servait à perforer un étroit ruban de papier, tout comme certains appareils de télécommunication qui s’appelaient téléscripteurs.

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Extrait de "L'éthique des hackers", de Steven Levy aux éditions Globe (7 mars 2013)

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