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Taxe GAFA : usine à gaz fiscale, erreur économique, mauvais coup pour les consommateurs
©BERTRAND GUAY / AFP

Fausse bonne idée

Bruno Le Maire a présenté la semaine dernière le projet de loi visant à taxer les grandes entreprises du numérique. Ce ne sont pas les bénéfices qui sont taxés mais bien le chiffre d'affaires.

Les Arvernes

Les Arvernes

Les Arvernes sont un groupe de hauts fonctionnaires, de professeurs, d’essayistes et d’entrepreneurs. Ils ont vocation à intervenir régulièrement, désormais, dans le débat public.

Composé de personnalités préférant rester anonymes, ce groupe se veut l'équivalent de droite aux Gracques qui s'étaient lancés lors de la campagne présidentielle de 2007 en signant un appel à une alliance PS-UDF. Les Arvernes, eux, souhaitent agir contre le déni de réalité dans lequel s'enferment trop souvent les élites françaises.

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Le gouvernement a présenté le 6 mars un projet portant sur la taxation des entreprises numériques (« taxe GAFA »). Cette taxe concernerait les principales entreprises américaines du numérique (Google, Amazon, Facebook, Apple), ainsi que les entreprises dont les activités numériques génèrent plus de 750 millions d'euros, et qui ont un chiffre d'affaires en France supérieur à 25 millions d'euros. Au total, ce sont environ trente entreprises internationales qui seraient taxées à hauteur de 3% sur leur chiffre d'affaires numérique déclaré en France.

Disons-le tout net : si l’on met de côté l’objectif de justice fiscale – à laquelle chacun souscrit -  que brandit tout gouvernement au moment de créer une nouvelle taxe, ce projet suscite bien de l’ironie. Ironie de voir un pouvoir qui se prétend fer de lance de la réforme de l’Europe avec un grand « R » oublier allègrement que celle-ci suppose précisément ce à quoi il a été incapable de parvenir au cas d’espèce : la capacité à créer l’unanimité ! Ironie de la part d’une majorité parlementaire qui, en matière fiscale, plaide et a été élue sur un objectif de simplification, jusqu’à la suppression des mini taxes, et qui s’apprête pourtant à créer une taxe à destination d’une trentaine d’acteurs, pour un montant espéré de recettes symbolique.

Si tout ceci pointe une nouvelle fois vers l’effet d’affichage politique, il n’est pas inutile de s’interroger plus au fond sur cette taxe. Elle pose des problèmes fiscaux, économiques, et sociaux.

Au plan fiscal d’abord, cet impôt est mal-né. Comme souvent, en lieu et place de prendre le temps nécessaire, le mécanisme a été bâti à rebours, à partir de l’objectif politique qui lui était assigné : 500 millions de recettes. Un certain nombre de difficultés techniques et d’imprécisions juridiques, susceptibles d’être soulevées au contentieux, en résultent. Parmi celles-ci, le choix d’un impôt sur le chiffre d’affaires, lui-même contestable (il est plus logique de taxer la valeur ajoutée ou les profits), et dont il résulte un risque de double imposition en l’état des conventions fiscales qui existent entre la France et ses partenaires. C’est bien d’ailleurs le cœur des débats qui agitent aujourd’hui l’OCDE en matière de taxation du numérique : pour éviter toute double imposition à l’international, les pays se sont mis d’accord pour permettre aux entreprises de rapatrier leurs impôts. Au cas d’espèce, la France, usuellement hostile à la taxation sur le lieu de consommation, change dans la précipitation son fusil d’épaule.

Au plan économique, ensuite, un tel impôt est présenté comme entrant dans le cadre de la stratégie visant à permettre le développement des acteurs européens du numérique. Là encore, l’objectif est louable. Remarquons cependant qu’en fait d’outil pour y parvenir, il s’agit encore et toujours d’adopter une approche punitive par la taxation. Les pouvoirs publics devraient plutôt agir sur l’écosystème national et européen, afin de le rendre plus propice au développement si ardemment souhaité d’acteurs européens du numérique. Il est vrai qu’il est plus facile de taxer brutalement que de prendre le temps de la formation, du développement de l’esprit d’entreprise, de circuits de financement du capital risque fonctionnant mieux etc. Au-delà des mots d’amour qui sonnent creux, faire l’effort de penser cette nouvelle économie dans sa complexité et ses fragilités. Au cas d’espèce, la taxe envisagée risque plutôt de pénaliser les petits acteurs européens du numérique. Ceux-ci, en effet, travaillent et s’appuient souvent sur les grandes plateformes. La Commission européenne relevait ainsi en 2017 que 82% des PME utilisent les plateformes pour promouvoir leurs produits et services, et 42% pour les vendre. Les grands acteurs étant, de fait, largement price makers, le risque est grand que l’imposition soit répercutée en aval de la chaîne de valeur sur les plus petits acteurs.

C’est, enfin, un plus risque d’ordre social : que par effet en chaîne, cette taxe ne soit pas payée par les méchant désignés que sont devenus les GAFA, mais bien par les consommateurs finaux. N’avons-nous rien appris des effets délétères de la taxe soda à laquelle Coca-Cola a répondu en réduisant à prix constants la taille des bouteilles, c’est-à-dire, de fait, en augmentant les prix ? Alors même que la crise du pouvoir d’achat sévit, le gouvernement semble prendre un bien grand risque. A moins que cette question l’intéresse moins qu’il ne le proclame. On peut se le demander quand les projets de réforme du droit de la concurrence qu’il porte au niveau européen consistent justement à moins prendre en compte le consommateur final…

Au total, il est temps d’arrêter de jouer aux apprentis sorciers en matière de fiscalité numérique. L’Europe, qui avait fait du marché unique du numérique une priorité, mérite mieux que cela. Les acteurs du numérique, grands et petits, également, qui, plus qu’une taxation d’un montant symbolique que de toute façon ils répercuteront, demandent légitimement de la clarté, du sérieux et moins de stigmatisation. Enfin les consommateurs, qui risquent d’être les dindons de cette mauvaise farce.

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