Surpopulation carcérale : pour en finir avec le grand mensonge<!-- --> | Atlantico.fr
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Le dernier rapport de la Contrôleuse générale des prisons a été dévoilé ce jeudi.
Le dernier rapport de la Contrôleuse générale des prisons  a été dévoilé ce jeudi.
©DENIS CHARLET / AFP

Réalité des chiffres

Aussitôt publié, le dernier rapport de la Contrôleuse générale des prisons a été repris en chœur par la presse pour dénoncer la « surpopulation carcérale ». Sauf qu’il s’agit en réalité d’une fake news. Il suffit de lire les statistiques.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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A l’heure où il est courant de dénoncer les manipulations de l’information, voici une superbe « fausse nouvelle » qui est colportée avec une facilité déconcertante : la surpopulation carcérale.

Dans son dernier rapport, la Contrôleuse générale des prisons, en l’occurrence Dominique Simonnot, une ancienne journaliste de Libération, n’a pas failli à sa réputation : une fois de plus, elle dénonce la surpopulation carcérale. Les journaux se sont empressés de reprendre l’information, qu’ils présentent comme une certitude indiscutable. Sous-entendu : voici la preuve irréfutable que la société française est traversée par un acharnement punitif.

Pourtant, tout ceci est faux. Il suffit d’aller voir les chiffres. Car voici exactement ce que disent les statistiques de l’administration pénitentiaire. Le tableau suivant est tiré des dernières statistiques disponibles, publiées en décembre 2022. Les différents sigles sont explicités pour être rendus plus compréhensibles.

Source : Ministère de la Justice, statistiques de décembre 2022.

Que nous dit ce tableau ? Comme on le voit, la surpopulation carcérale ne concerne qu’une catégorie d’établissements : les Maisons d’arrêt (voir l’avant-dernière ligne du tableau). C’est là que le taux dépasse effectivement les capacités d’accueil pour atteindre 142%. C’est ce chiffre qui est systématiquement cité par les médias.

Le problème est que les Maisons d’arrêt ne concernent que les prévenus, c’est-à-dire les personnes qui sont en attente de jugement, auxquelles s’ajoutent les personnes condamnées à de courtes peines (inférieures à deux ans).

Tous les autres établissements ont des taux d’emprisonnement inférieurs à 100. C’est tout particulièrement le cas pour les Maisons centrales (la dernière ligne du tableau), qui sont les établissements où sont envoyés les véritables condamnés, ceux qui reçoivent des peins supérieures à deux ans. Ici, la densité carcérale est à peine de 81%. Autrement dit, il y a de la place !

Pourquoi ces chiffres, facilement accessibles, ne sont-ils jamais présentés par les journalistes ? Pourquoi entretenir un tel mensonge ? Et pourquoi l’Etat laisse-t-il faire ?

L’explication est facile à comprendre : il s’agit de délégitimer la sanction pénale. L’argument que certains s’acharnent à faire entrer dans les crânes, c’est que notre société est trop répressive. La preuve : nos prisons débordent.

Or ce n’est pas vrai. Les seuls établissements qui débordent, ce sont les Maisons d’arrêt, qui sont par définition des lieux d’attente. Si les Maisons d’arrêt débordent, c’est tout simplement parce que la justice est débordée et qu’elle n’arrive pas à gérer la masse des affaires.

On comprend alors ce qui se joue. En mettant l’accent sur la surpopulation carcérale, il s’agit de détourner l’attention d’une réalité bien différente et bien plus alarmante : notre société fait face à une dégradation considérable des mœurs et du respect des règles, et les institutions répressives ne parviennent pas à faire face, à la fois par manque de moyens, mais surtout par excès de procédures et de bureaucratie.

Cette paralysie du système répressif joue un rôle majeur dans la crise démocratique que nous connaissons car l’opinion publique ne comprend pas pourquoi les élites dénoncent un excès de répression là où le commun des mortels ne voit qu’impunité et laxisme.

En inventant le problème de la surpopulation carcérale, et en polarisant l’attention sur ce point, un dérivatif magique a été trouvé. Il permet de ne pas aborder le fond des problèmes : pourquoi la machine s’est-elle grippée à ce point. Ce dérivatif réjouit tous ceux qui croient que le criminel est d’abord une victime de la société, et que la répression répond à un instinct pathologique contre lequel il faut lutter. Mais il désespère le citoyen honnête qui ne comprend plus le monde dans lequel il vit.

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