Souvenirs d’un chef du protocole : l’inauguration du tunnel sous la Manche <!-- --> | Atlantico.fr
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Le prince Philip et la reine Elizabeth s'entretiennent avec François Mitterrand et son épouse Danielle à leur descente du train Eurostar avant l'inauguration officielle du tunnel sous la Manche, le 06 mai 1994.
Le prince Philip et la reine Elizabeth s'entretiennent avec François Mitterrand et son épouse Danielle à leur descente du train Eurostar avant l'inauguration officielle du tunnel sous la Manche, le 06 mai 1994.
©ERIC FEFERBERG / AFP

Bonnes feuilles

Daniel Jouanneau publie « Souvenirs d’un chef du Protocole » aux éditions Plon. Chef du Protocole sous les présidents Mitterrand et Chirac, Daniel Jouanneau se confie pour la première fois sur son métier et livre ses souvenirs. Extrait 1/2.

Daniel Jouanneau

Daniel Jouanneau

Diplomate, Daniel Jouanneau a servi au Caire, au Zimbabwe, en Guinée et à Québec. Ambassadeur au Mozambique, au Liban, au Canada et au Pakistan, il a été chef du Protocole des présidents François Mitterrand et Jacques Chirac avant de diriger l’Inspection générale des Affaires étrangères. Il est l'auteur du Dictionnaire amoureux de la diplomatie.

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Ce 6 mai 1994 est une journée historique, car le projet de tunnel sous la Manche remonte loin dans le temps. Une première étude a été faite sous le Consulat. Le projet fut repris à la demande de Napoléon  III et de la reine Victoria. En 1873, deux kilomètres furent creusés à partir de Sangatte. Il y eut d’autres tentatives. Aucun des projets n’avait abouti, pour des raisons diverses, guerres napoléoniennes, objections des militaires, coût trop élevé, jusqu’à ce que Georges Pompidou et Edward Heath reprennent l’idée à leur compte et signent en 1973 le traité de Chequers, qui décide du lancement des travaux, abandonnés deux ans plus tard en raison de fortes oppositions dans l’opinion britannique. Je me souviens bien de cet épisode, car je servais à l’époque à la direction des affaires juridiques du Quai d’Orsay, et mon directeur, Guy de Lacharrière, m’avait désigné pour faire partie de l’équipe française de négociation du traité.

François Mitterrand relance le projet en 1981. C’est une étape décisive. Le choix d’un tunnel ferroviaire, parmi plusieurs options, est acté en 1986 par la signature, avec Mme Thatcher, du traité de Canterbury. Les travaux dureront huit ans.

Cette journée est aussi très chargée. Elle commence par l’inauguration du terminal Eurostar de la gare du Nord, puis celle de la gare Lille-Europe, où le maire, Pierre Mauroy, accueille le président de la  République et  le Premier ministre Édouard Balladur. Ensuite, le Président et Mme  Mitterrand se rendent à Coquelles, à l’entrée française du tunnel, pour accueillir la reine Elizabeth, le prince Philip et le Premier ministre John Major. Ils inaugurent avec eux le terminal Eurotunnel, puis le tunnel et, enfin, après l’avoir emprunté, le terminal de Cheriton côté britannique. Nous avons eu maintes séances de travail et missions de repérage entre Français, avec déplacements à Lille et réunions avec la SNCF, puis une grande répétition générale, à Coquelles, avec le secrétaire privé de la reine et l’équipe du Protocole royal et de la sécurité venue de Londres. Il fallut régler quelques jours avant le problème sérieux que posait l’impossibilité de joindre le Président pendant les vingt minutes de la traversée du tunnel. Nous étions dans un monde d’ingénieurs, tout fut arrangé dans les temps, et leur précision était rassurante pour ceux qui avaient en charge l’organisation.

La cérémonie d’inauguration de la gare de Lille-Europe se déroule dans un salon du premier étage. Pour y accéder, nous devons emprunter un très haut escalier mécanique. Au moment où je mets le pied sur la première marche, il tombe en panne. Derrière moi, une cohorte conduite par le président de la République et son épouse, suivis de M.  Balladur, du Premier ministre belge Jean-Luc Dehaene et de Jacques Delors, président de la Commission européenne, qui inaugurent la liaison Eurostar Bruxelles-Lille-Londres. Le Président tourne vers moi un regard interrogateur. L’attente me semble interminable, mais, au bout de deux minutes, un technicien posté à proximité relance l’escalator. La SNCF a tout prévu!

Au premier étage, il est entendu que seules les plus hautes personnalités françaises et étrangères accompagnant le président de la République prendront place avec lui sur l’estrade où auront lieu les allocutions. Lors de la réunion de bouclage à Matignon, une instruction très claire m’a été donnée : il est hors de question que Mme Blandin soit sur la photo. Marie-Christine Blandin est la première femme, et le premier responsable issu des Verts, à présider un conseil régional. Elle s’est manifestée par des prises de position critiques à l’égard du gouvernement. Au demeurant, le conseil régional n’a pas été partie prenante dans la réalisation de ce grand projet. Mais à peine avais-je installé le petit groupe que Mme Blandin bondit sur l’estrade. FR3 Nord-Pas-de-Calais filme la cérémonie en direct, La Voix du Nord couvre bien sûr l’événement. Que puis-je faire ? Je ne peux pas demander à Mme Blandin de redescendre sans créer un incident aux yeux de tous. M. Balladur ne me dira rien.

Au déjeuner servi sous une tente à Coquelles, la reine remarque, dans un français parfait, que «c’est la première fois que des Britanniques ont pu venir sur le continent sans prendre le bateau ni l’avion ». Pour la traversée du tunnel à bord de la navette, et l’arrivée en Grande-Bretagne, le Président a accepté de prendre place avec la reine dans la Rolls-Royce royale grenat, ce à quoi son secrétaire privé m’avait dit dès notre première rencontre qu’elle tenait beaucoup. Mme Mitterrand et le prince Philip suivent à bord de la Citroën SM présidentielle.

Extrait du livre de Daniel Jouanneau, « Souvenirs d’un chef du Protocole », publié aux éditions Plon.

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