Souhait de “sagesse” pour la septuagénaire blessée à Nice : ces dangers que le monopole de la raison que s’arroge Emmanuel Macron fait courir à la stabilité de la démocratie française (même lorsqu’il a effectivement raison...)<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Souhait de “sagesse” pour la septuagénaire blessée à Nice : ces dangers que le monopole de la raison que s’arroge Emmanuel Macron fait courir à la stabilité de la démocratie française (même lorsqu’il a effectivement raison...)
©Valery HACHE / AFP

Celui qui ne pouvait pas s’en empêcher

Si la démocratie n’est ni le règne de la démagogie ni le gouvernement de la rue, elle ne saurait certainement pas se résumer non plus à la mise en oeuvre d’une raison désincarnée et déconnectée des passions de la société

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

Voir la bio »
Luc Rouban

Luc Rouban

Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au Cevipof depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987.

Il est l'auteur de La fonction publique en débat (Documentation française, 2014), Quel avenir pour la fonction publique ? (Documentation française, 2017), La démocratie représentative est-elle en crise ? (Documentation française, 2018) et Le paradoxe du macronisme (Les Presses de Sciences po, 2018) et La matière noire de la démocratie (Les Presses de Sciences Po, 2019), "Quel avenir pour les maires ?" à la Documentation française (2020). Il a publié en 2022 Les raisons de la défiance aux Presses de Sciences Po. Il a également publié en 2022 La vraie victoire du RN aux Presses de Sciences Po. En 2024, il a publié Les racines sociales de la violence politique aux éditions de l'Aube.

Voir la bio »

Atlantico : A l'occasion d'une interview donnée à Nice-Matin, Emmanuel Macron a souhaité "un prompt rétablissement, et peut-être une forme de sagesse" à Geneviève Legay, 73 ans, militante d'Attac , blessée grièvement lors de l'épisode XIX des Gilets jaunes de ce 23 mars. Au delà de ce cas d'espèce, dans quelle mesure Emmanuel Macron fait-il peser un risque à notre système politique en voulant s'octroyer le monopole de la raison, dont toute forme d'opposition serait dépourvue ?

Luc Rouban : Il est vrai qu’Emmanuel Macron, et comme d’ailleurs l’ensemble de la République en Marche, se sont positionnés depuis leur apparition sur la scène politique sur un terrain qui est effectivement celui de la raison, de la logique - plutôt de la logique économique-, celui de l’éthique de responsabilité plutôt que celui de l’éthique de conviction. Ce qui vient nourrir des positions pro-européennes, des politiques qui sont censées être raisonnables et dictées par la raison puisqu’elles ne sont ni de droite ni de gauche. Dès l’origine, LREM  et Emmanuel Macron considèrent la vie partisane et la vie politique comme faisant plutôt partie du “déraisonnable”, comme une forme de perversité de la vie sociale et que dans le fond, ce serait dans le dépassement de ces clivages que l’on peut trouver les fondations d’une véritable politique qui se distinguerait justement par son intelligence, son efficacité et ses résultats. Nous sommes en quelque sorte dans une logique managériale. C’est à dire que dans le fond, le macronisme est l’application du raisonnement managérial à la politique. On pense à l’efficacité, on pense à l’organisation de la vie publique en dehors des valeurs et des clivages d’opposition que l’on stigmatise comme étant dépassés et archaïques. D'où aussi toute la rhétorique du monde nouveau. Nous sommes sur la logique d’une action mûrement réfléchie qui fait intervenir des personnalités de différents horizons, et on peut prendre ici comme exemple la composition du gouvernement avec d’anciens socialistes, d’anciens républicains, d’anciens UDI etc… dans une nouvelle façon de vivre la vie politique.

On aurait tendance à dire qu’il s’agit de technocratie. Mais cela n’est pas le cas parce que la technocratie , c’est la haute fonction publique au pouvoir. En l'occurrence on voit bien que la haute fonction publique est clairement subordonnée au politique, on l’a vu récemment avec le limogeage du préfet de police, ou d’autres exemples de formes de contrôles ou de maîtrise politique de la situation. Ensuite, la technocratie se définit comme une connaissance, plutôt d'ingénierie, une approche scientifique au sens dur du terme. Nous ne sommes pas dans ce cas. Nous sommes dans une volonté politique affichée de la raison et c’est là où le risque apparaît, parce qu’il s’agit typiquement d’arguments de la classe supérieure. Le risque que l’on fait courir est de jouer sur la fracture sociale et non pas sur le rassemblement, ce qui vient contredire le macronisme des origines. Dire à une personne qu’elle devrait apprendre à devenir raisonnable a un petit côté professoral tout en se montrant au dessus des passions. Ce type de comportement caractérise plutôt les classes supérieures.  Et c’est là ou nous pouvons nous demander si Emmanuel Macron ne le fait pas exprès parce que ses phrases ont tendance à être systématiquement des marqueurs de distances sociales. C’est un peu le discours du gouvernement qui dit qu’il est en charge de l’action publique en disant “nous agissons et tout le reste n’est que commentaire”. Le risque est de penser que l’opposition n’est qu’un commentaire, ce qui n’est pas le cas.

Christophe Bouillaud : Il semble bien que cette déclaration traduise encore une fois le sentiment d’immense supériorité de notre Président envers tous ceux et toutes celles qui ont le malheur de contester ses choix. Tous les « éléments de langage » distribués à ses proches pour effacer l’impair ainsi commis n’y changeront rien.

Au-delà du mépris qui peut en être ressenti par tous ceux qui s’identifieront à cettemilitante de gauche, Emmanuel Macron montre qu’il a décidé qu’il n’avait pas besoin pour gouverner la France jusqu’en 2022 de l’approbation d’une majorité de ses concitoyens. Le Président est impopulaire, la liste de son parti est cotée par tous les différents sondages disponibles à moins de 25% des électeurs exprimant une intention de vote pour les prochaines européennes – soit plus de 75% d’électeurs pour les partis d’opposition tout de même-, mais il n’en a d’évidence rien à faire. En effet, avec Emmanuel Macron, sans doute pour la première fois depuis 1958, nous sommes face à une interprétation purement légale de la Vème République, telle que révisée par l’adoption du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral entre l’élection présidentielle et l’élection législative. De ce point de vue légal, il a été élu Président de la République pour cinq ans, il a obtenu par la grâce de la dynamique majoritaire qui suit une telle élection une majorité parlementaire pléthorique, formé en plus d’élus pour la plupart inexpérimentés qui lui doivent tout. Il dispose donc de toute la capacité légale de prendre toutes les mesures qui lui sont autorisées dans le cadre de la Constitution en vigueur et des engagements européens et internationaux de la France. Il a constaté au cours des différents mouvements sociaux des dernières années du mandat de François Hollande et des deux premières années de son propre mandat la capacité des forces de l’ordre à juguler les débordements, à empêcher la création d’un rapport de force favorable à ces derniers. En effet, la leçon du mouvement des « Gilets jaunes », tout au moins en cette fin du mois de mars 2019, est que, dans la France des années 2010, la simple durée du conflit et la répression policière suffisent à « donner le point » au gouvernement en place.

Ainsi, l’action de son gouvernement pendant les trois derniers mois montre qu’en dépit même des protestations des « Gilets jaunes » et du « Grand débat » qu’il a organisé pour y répondre, il resteplus que jamais décidé à appliquer son programme de néo-libéralisme tardif, même si ce dernier irrite,ou même désespère, la grande majorité des électeurs. Le sondage sur différents pays européens, effectué par l’IFOP, dont vous avez rendu compte dans vos colonnes, montre bien pourtant à quel point l’électorat français commence à se cabrer. Presque 40% des enquêtés souhaitent un changement par la « révolution », et, lorsqu’on regarde qui veut ce genre de rupture, l’on se rend compte qu’il s’agit plus des électeurs des extrêmes que de ceux de LREM. Or, face à ce qui devrait l’alarmer, Emmanuel Macron semble combler, aussi bien à ses propres yeux qu’à ceux de ses partisans, l’écart entre la légalité dont il dispose, la force de répression policière et judiciaire qui lui est associé et la légitimité démocratique dont il devrait tout de même se préoccuper, par le fait qu’il incarne la Raison. Sonmarathon verbal de huit heures,pour le moins étrange,face aux soixante-cinq « intellectuels » qu’il a convoqués à l’Elysée en matière de clôture du « Grande débat » me parait illustrer cette prétention à être un « Roi-Philosophe », d’être en pratique celui qui a réponse à tout. Or, par définition, le despotisme éclairé se fonde sur l’absence de sagesse des gouvernés et sur l’inanité des anciennes médiations. Il fait donc leur bien sans leur demander leur avis – ou fait semblant de le faire pour tout ce qui lui parait sans importance.

Cette attitude, qui revient à faire de tout opposant un être irrationnel qui devrait acquérir une « forme de sagesse » suite à quelques déconvenues dues à leur activité militante, tend du coup à radicaliser tous les opposants, y compris les opposants les plus légalistes. La réaction vis-à-vis de la majorité sénatoriale dans le cadre des suites à donner à son rapport sur l’ « affaire Benalla » est à mon sens bien plus significative que le nième propos présidentiel méprisant à l’égard d’une personne ordinaire. C’est bien parce que les sénateurs sont eux-mêmes des politiciens aux nerfs solides que la polémique n’a pas dégénéré, en dépit des propos pour le moins offensifs tenus à leur égard.

Plus immédiatement, Emmanuel Macron semble parier qu’il va gagner les élections européennes, puisque la liste de son parti LREM et de son allié le Modemdevrait selon les sondages arriver en tête, et que le principal parti d’opposition sera, comme lors des élections européennes précédentes, le Rassemblement national (ex-Front National). L’incapacité aussi bien des Républicains que du PS de recréer une alternative crédible à son pouvoir parait lui laisser le champ libre. De fait, il dispose toujours d’une base réduite, mais solide, d’électeurs fidèles, qui, au vu de sa sociologie, ira effectivement voter le 26 mai prochain. Il faut dire aussi que la plupart des  commentateurs vont tous crier à la victoire du camp présidentiel s’il n’arrive ne serait-ce que d’une voix devant le Rassemblement national. Etrange victoire tout de même, mais qui ne sera proclamée que parce que tout le monde analysera cette élection européenne comme la répétition du premier tour d’une présidentielle. Evidemment, au vu d’un tel résultat, cela veut dire rejouer 2017 en 2022.

Or, là bien sûr, le pari peut être perdu – d’où le danger à cette échéance. Pour gagner un second tour en 2022, il faudra ce qu’on appelle vulgairement des « castors », des électeurs qui voudront faire barrage au candidat du Rassemblement national. Mais est-ce que refaire le même coup que Chirac en 2002 ou Macron lui-même en 2017 sera possible ? Répéter une troisième fois le même scénario me parait un risque majeur. Les rancœurs à l’égard d’Emmanuel Macron seront alors telles qu’il n’est pas sûr que le « secours rouge » lui permette de battre encore une fois la « peste brune ».

En revendiquant cette volonté d'incarner le parti de la raison, Emmanuel Macron ne commet-il pas l'impair d'une absence de raison politique, qui pourrait se construire sur le point d'équilibre du pays ? Cette raison LREM est-elle en ce sens aussi raisonnable qu'elle le prétend ?

Luc Rouban : Dans les circonstances actuelles, je pense effectivement que ce positionnement est très dangereux. Prendre uniquement le parti de la raison et rejeter tous les opposants dans le déraisonnable c’est, d’une certaine manière, ne pas prendre au sérieux la violence politique. Quand je dis cela, je ne pose pas la question du maintien de l’ordre. Je désigne plutôt la place de la violence politique dans le débat principiel du politique, c’est à dire dans le rapport de force qui fonde le pouvoir politique. C’est là ou nous pouvons voir le problème. Nous avons une situation qui est caractérisée par une violence de long terme avec quatre mois de Gilets jaunes, une violence qui est finalement assez admise par une partie de l’opinion, et quand on regarde un certain nombre d’enquêtes -notamment le baromètre de la confiance politique du Cevipof- on voit bien que les Gilets jaunes organisent en quelque sorte un conflit par procuration au nom et pour le compte d’une grande partie des Français. Une majorité d’enquêtés disent que le mouvement ne se réduit pas aux personnes en difficultés, mais que cela est un mouvement qui concerne  l’ensemble des Français, et qui pose de véritables questions démocratiques. Donc, si on commence à jouer ce clivage entre raisonnables et déraisonnables, alors on considère que tout ce qui se passe en ce moment n’est qu’un épisode ou une péripétie, et que cette violence qui devient systémique aujourd'hui n’a pas de signification. Et là, cela devient déraisonnable parce que cela donne le sentiment d’un pouvoir schizophrène qui ne comprend pas du tout ce qu’il se passe, c’est à dire d’une incohérence au sommet de l’Etat, et d’une incapacité à prendre réellement en mains le destin du pays. D'où les inquiétudes d’une grande partie de l’opinion quant à la ligne politique de fond du gouvernement et ce sur quoi va finalement déboucher le macronisme. Je crois que c’est là ou cela commence à devenir déraisonnable parce que dans une éthique de la responsabilité, justement, il faut prendre en considération les convictions des autres.

Christophe Bouillaud : Tout dépend de ce que l’on entend par raison politique. Si l’on entend par raison politique, avoir une vision précise de l’avenir du pays, il me semble qu’Emmanuel Macron en dispose, tout au moins en matière économique et sociale. C’est ce que j’appelle le néo-libéralisme tardif, soit faire en France ce qui a été fait ailleurs depuis les années 1980. La situation française est pensée sur le signe de l’écart à la norme et du retard à s’adapter aux réalités du monde. Le « Gaulois » est certes « réfractaire », iln’a pas encore atteint une « forme de sagesse », mais le bon docteur Macron va le purger de ses humeurs passéistes. Sa vision de l’Europe reste finalement très classique des aspirations françaises à une « solidarité » européenne, qui ne viendra sans doute jamais vu les partenaires auxquels on la réclame. Par contre, en dehors de ces aspects néo-libéraux tardifs, le « macronisme » n’a pas beaucoup d’idées. Son aphonie sur la laïcité, et surtout sur l’avenir de l’Islam en France, est significative, il est vrai que, pour un néo-libéral, « la société n’existe pas », il n’y a que des homo oeconomicus, des compétences à valoriser ou non sur les marchés, donc il n’est pas simple de penser que les individus sont en fait des personnes, en quête de sens et de liens.

Par contre, si l’on entend par raison politique, la capacité à être à l’écoute de ses concitoyens, à rechercher des compromis acceptables entre les différents intérêts présents dans le pays, à faire preuve parfois de prudence au sens antique du terme, il n’est pas difficile de constater qu’Emmanuel Macron n’en dispose pas. Il critique d’ailleurs lui-même l’ « ancien monde » de la politique pour avoir été trop prudent, pour ne pas avoir pas su imposer les réformes. Il est bien connu par ailleursqu’Emmanuel Macron n’a guère de sympathie pour tous les corps intermédiaires. Il a même presque réussi à faire de la CFDT un syndicat hostile à son action. Plus encore, il faut souligner que la carrière d’Emmanuel Macron est marquée par l’absence de toute responsabilité élective avant son arrivée dans le cercle du pouvoir, comme conseiller économique de François Hollande d’abord, comme Ministre de ce dernier ensuite, comme Président de la République enfin. Cette carrière-éclair ne l’a jamais confronté à la nécessité de faire preuve de raison politique, en deux sens précis : d’une part, comment ménage-t-on une base de concitoyens, comme l’écoute-t-on vraiment au jour le jour ? D’autre part, comment gère-t-on un réseau d’alliés-concurrents au sein d’un parti ? Tous les défauts – ou toutes les qualités si l’on veut - d’Emmanuel Macron correspondent au fait qu’il n’a pas eu à mener un cursus honorum ordinaire dans un parti politique ou dans les institutions électives. Il aurait été quelque temps maire d’une ville de quelque importance, il n’aurait jamais été se perdre à faire des déclarations méprisantes comme celle qu’il distille à longueur d’années désormais. Gérard Collomb a fini par démissionner pour protester contre un tel manque de « métier ».

Donc, de ce second point de vue, la « raison » macroniste n’est pas raisonnable. Elle ne cherche pas un point d’équilibre dans le pays, mais elle cherche à pousser au maximum l’avantage des groupes économiques et sociaux qu’elle entend représenter. Les vieux marxistes auraient dit que le «macronisme » approfondit la lutte des classes. Les néo-libéraux y verront, s’il gagne, leur Thatcher.

Comment un gouvernement au pouvoir peut-il justement s'inscrire dans la raison sans pour autant tomber dans la prétention à être seul en capacité de l'incarner ?

Luc Rouban : Je crois qu’il devrait quand même écouter le message qui est porté, non seulement par les Gilets jaunes mais surtout par le grand débat national. C’est à dire une très grosse demande de lisibilité de l’action publique, des objectifs, de compréhension de l’action à moyen et long terme. Il y a certainement un gros effort à faire de ce côté là. Sans prendre un ton professoral, sans mépris social, il faut faire acte de pédagogie mais aussi tout simplement agir pour que le système politique soit plus diversifié, plus ouvert. Il y aurait ici peut-être le moyen de réconcilier la fracture principale qu’incarne le macronisme aujourd'hui, et que j’ai souligné dans mon livre “Le paradoxe du macronisme” , à savoir l’opposition entre finalement entre une anthropologie du pouvoir relativement abstrait, c’est à dire celui de l’économie, de la finance, de la mondialisation, et l’anthropologie du pouvoir concret, c’est à dire du vécu, du ressenti,  qui est d’ailleurs parfaitement exprimé chez les Gilets jaunes ou dans les réunions du grand débat national. C’est à ce niveau là que se situe le vrai travail politique. Comment réconcilier ces deux anthropologies pour éviter un éclatement interne du système politique français qui est actuellement dans une situation quasiment révolutionnaire, au sens propre du terme. C’est à dire avec un rejet du cadre de la Ve République, de la démocratie représentative. A un moment, il faut éviter le point de rupture ou une majorité, même relative, de Français pourrait se dire que dans le fond, le système n’est plus réformable, ce qui revient à dire qu'il faut donc bouleverser absolument tout. Nous avons sans doute ici une priorité pour le gouvernement et donc cela ne se réduit pas, ni à des opérations de maintien de l’ordre, ni à une espèce de volontarisme qui consiste à dire que l’on maintien les objectifs quoi qu’il arrive. C’est en écoutant le terrain que l’on peut être raisonnable sans nécessairement prendre de risques, ni avec l’ensemble du système politique français -qui est actuellement en danger, ni tomber dans la démagogie ou il n’y aurait pas de hiérarchie des priorités, dans une sorte d’anarchie populiste. Il faut essayer de reconstruire l’ordre politique de la Ve République et d’ailleurs peut-être en revenant à une forme de logique gaullienne avec un peu plus de référendums, d’écoute de terrain, mais en partie seulement parce qu’il faudrait également un peu plus de décentralisation qui est aussi une importante demande des contributeurs au grand débat.

Christophe Bouillaud : Il me semble que la première chose à faire est de revenir aux fondements de l’ordre républicain. La raison pour un républicain n’est jamais celle d’un seul, mais celle d’une collectivité respectant des règles qu’elle s’est librement donnée. C’est à mon sens l’inverse de l’autocratie vers laquelle l’interprétation ultra-légaliste de la Vème République par Emmanuel Macron nous mène à terme. Il faut revenir à l’idée aussi ancienne que la pensée républicaine que le pouvoir doit arrêter le pouvoir, ou, en terme plus modernes, il faut respecter les « points de veto » institutionnels, ou même en créer de nouveaux. Nous avons eu une illustration de l’importance du bicamérisme avec l’affaire Benalla. La Chambre des députés, dominée par le parti présidentiel, a mis fin à sa propre Commission d’enquête sur le sujet, mais, heureusement, le Sénat a pu travailler de son côté. De même, le Conseil constitutionnel a rendu une très longue décision sur la « loi Justice » qui illustre l’importance d’avoir un tel contrôle de la loi.

Ensuite, pour éviter de se retrouver dans une situation où une majorité politique gouverne avec autant de pouvoirs que ceux garantis au Président de la Vème République et à sa majorité alors qu’elle n’est en réalité que la plus grosse minorité électorale, il faudrait adopter la proportionnelle intégrale. Il s’agit de tenir compte du simple fait de la diversité croissante de nos sociétés que le carcan majoritaire ne peut plus contenir. Il y aura peut-être autant de partis parlementaires qu’aux Pays-Bas, mais les nuances de l’électorat seront mieux représentées. La « dose de proportionnelle », associée à la réduction du nombre de parlementaires, proposée par la majorité actuelle, constitue de ce point de vue un piège grossier qui donnerait encore plus de latitude d’action, si possible, à la majorité présidentielle. Dans ce cadre d’un scrutin proportionnel, il faudrait nécessairement trouver des accords entre partis – à la manière de ce que l’on a pu voir en Allemagne. En France, surtout en utilisant cet exemple allemand,je ne sais que trop que l’on ressort immédiatement face à ce genre de propositions le spectre des combinaisons parlementaires de la IIIème et de la IVème République, du «régime des partis » tant décrié par De Gaulle, en oubliant sciemment que toutes les grandes et solides démocraties scandinavesreposent sur un socle proportionnel, doncsur une coalition entre plusieurs partis. On pourrait pour rassurer nos concitoyens sur la possibilité d’avoir un gouvernement imposer comme en Grèce une obligation d’avoir une majorité gouvernementale dans un délai donné, sauf à devoir retourner voter. On pourrait ajouter à cette première obligationla disposition selon lesquels les votes cumulés des partis souhaitant gouverner ensemble représentent un seuil minimal des inscrits (40% par exemple), faute de quoi on retournerait voter. Cela serait un autre monde : un parti représentant moins de 25% des électeurs inscrits au premier tour de la Présidentielle, comme LREM, ne pourrait pas exercer tous les pouvoirs. Il faudrait aussi en conséquence passer à un régime parlementaire, et abandonner notre régime semi-présidentiel. On pourrait lister d’autres réformes possibles : la totale indépendance du pouvoir judiciaire par exemple, qui éviterait toutes les suspicions sur l’usage partisan de la justice ; la création d’un audiovisuel public indépendant et pluraliste ; le référendum abrogatif de lois comme en Italie.

Je ne m’illusionne bien sûr aucunement sur la capacité de la majorité actuelle à aller dans ce sens d’un retour vers des institutions mécaniquement plus inclusives de l’électorat en général.Mon intuition est par ailleurs que les Français ne seront guéris dans leur préférence pour la « monarchie républicaine » que lorsque celle-ci leur aura fait subir toutes les avanies possibles et imaginables. En ce sens, l’usage ultra-légal par Emmanuel Macron des institutions de la Vème République constitue une belle leçon de choses.  Il n’est pas sûr cependant que la majorité du public n’attribue pas à l’homme Macron ce qui tient aux défauts de nos institutions.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !