Souhait d’alliance LR, RN, Zemmour : le sondage exclusif qui pourrait ébranler la droite <!-- --> | Atlantico.fr
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Selon un sondage OpinionWay pour Atlantico sur le regard des électeurs de droite sur des gouvernements LR-extrême droite après l'élection présidentielle, les stratégies d'alliance et les positionnements des électeurs se dessinent.
Selon un sondage OpinionWay pour Atlantico sur le regard des électeurs de droite sur des gouvernements LR-extrême droite après l'élection présidentielle, les stratégies d'alliance et les positionnements des électeurs se dessinent.
©Fred TANNEAU / AFP

Sondage OpinionWay pour Atlantico

Selon un sondage OpinionWay pour Atlantico, les alliances de gouvernement LR/RN ne sont plus un tabou pour une majorité des sympathisants de droite comme des électeurs RN.

Bruno Jeanbart

Bruno Jeanbart

Bruno Jeanbart est le Directeur Général adjoint de l'institut de sondage Opinionway. Il est l'auteur de "La Présidence anormale – Aux racines de l’élection d’Emmanuel Macron", mars 2018, éditions Cent Mille Milliards / Descartes & Cie.

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Xavier Dupuy

Xavier Dupuy

Xavier Dupuy est politiologue, spécialiste de l'opinion. Il s'exprime sous pseudonyme.

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Atlantico : Tout d’abord quelle méthodologie avez-vous pratiqué pour réaliser ce sondage ?

Bruno Jeanbart : Nous avons interrogé un échantillon représentatif de 2000 personnes. Au sein de cet échantillon, nous avons identifié, sur une échelle de 0 à 10, les personnes qui se positionnaient à droite politiquement. Ce sont eux que nous avons interrogés car nous voulions le regard des Français qui se disent de droite sur ces questions d’alliance. Cela représente un peu plus de 750 personnes. Cela permet d’étudier des sous-catégories avec une marge d’erreur entre 1,6 et 3,6 points.

De manière très générale, quelles sont les conclusions du sondage ?

Bruno Jeanbart : Aujourd’hui, cette question d’une alliance et de la participation, soit de LR à un gouvernement issu d’une victoire de Marine Le Pen ou d’Éric Zemmour, mais surtout de Marine Le Pen, soit de ministres LR à un gouvernement issu d’une victoire du candidat LR, n’est pas dans l’opinion de droite, un tabou. Globalement, plus d’un Français sur deux votant à droite y est favorable. C’est, d’un certain point de vue, très décalé avec ce que disent les représentants des partis qui ne prônent jamais ce type d’alliance.

Que peut-on tirer de l’analyse précise de chacun des tableaux :

  • A la question « En cas de victoire du candidat Les Républicains à l’élection présidentielle, souhaitez-vous que le Rassemblement National participe au gouvernement du nouveau Président » ?

Bruno Jeanbart : On voit que 54% des Français se plaçant à droite sont favorables à cette idée, mais c’est très différent selon qu’on est proche de LR ou du RN. Pour ceux qui sont proches du RN, il n’y a pas vraiment de débat. 89% souhaitent une participation de membres RN à un gouvernement issu de la victoire d’un candidat LR. C’est une tendance plus forte que dans le passé mais qui confirme une tendance :  les électeurs RN sont prêts à participer à un gouvernement de droite classique. A l’inverse, c’est beaucoup plus partagé chez ceux proche de LR. Ce n’est pas rejeté comme ça l’était par le passé, mais cela divise l’électorat en deux : 46% y sont favorables, 53% opposés. Il faut noter que c’est le même résultat que pour les électeurs ayant voté Fillon en 2017. Donc il y a une montée des électeurs proches de LR qui accepteraient que le RN participe à un gouvernement. Cette idée fait son chemin.

On observe des distinctions par sexe. Les femmes sont un peu plus favorables que les hommes. Par âge, on voit que plus on est jeune, plus on y est favorable. Il faut faire attention car cette réalité sociologique masque une réalité politique. L’électorat LR est très âgé là où celui du RN est beaucoup plus jeune. De même avec l’arrivée de Zemmour les sympathisants RN se sont un peu féminisés. Donc il faut surtout le lire en termes politiques.

On voit que les tendances sont plus marquées en fonction du vote en 2017. Une part de ces Français qui se placent à droite avaient voté Macron en 2017 et ils sont très réticents à une alliance de ce type (73% contre). Quand on regarde ceux qui auraient l’intention de voter pour Bertrand, pourtant considéré comme un candidat de centre-droit, c’est à peu près identique aux sympathisants LR en général (43% favorables). La segmentation se fait plutôt vis-à-vis de la part des Français de droite qui soutiennent Macron.

Xavier Dupuy : L'électorat du Rassemblement National est très unitaire, car 89% souhaitent la participation de membres du parti au gouvernement en cas de victoire LR. A l'inverse, l'électorat républicain est plus partagé, avec 46% qui souhaiteraient cette participation. Cela n'est pas nouveau, il y a eu d'autres sondages montrant que cet électorat est très partagé entre le souhait et le refus d'une alliance. On le retrouve dans cette hypothèse : en cas de victoire des Républicains, une minorité de ses électeurs souhaiterait une inclusion du Rassemblement National au gouvernement.

  • A la question « Et en cas de victoire de Marine Le Pen à l’élection présidentielle, souhaitez-vous que Les Républicains participent au gouvernement de Marine Le Pen ? »

Bruno Jeanbart : 58% des Français qui se positionnent à droite y sont favorables, c’est plus que dans la situation précédente. Pourquoi ? Parce que, certes, les sympathisants RN sont moins nombreux à souhaiter une participation de LR (58% seulement), mais beaucoup plus de sympathisants LR y sont favorables (63%). Il y a deux raisons majeures : premièrement, la volonté des sympathisants LR de voir leur camp arriver au pouvoir, même si Marine Le Pen gagne. Deuxièmement, peut être une volonté de ne pas avoir un gouvernement de Marine Le Pen qui serait trop à droite et qui serait ainsi ramené sur un centre de gravité plus équilibré. On voit qu’il y a très peu de différences selon les intentions de vote, il y a à peu près autant de Français près à voter Bertrand, Zemmour ou Le Pen qui y sont favorables, environ deux tiers.

On peut analyser le fait que les sympathisants RN soient moins enclins à cette configuration qu’à la précédente par la crainte qui constituait l’espoir des sympathisants LR, à savoir l’apparition d’un gouvernement de compromis, pas assez à droite, pas assez radical sur un certain nombre de sujets (l’immigration, l’Union européenne, etc.).

Lorsque l’on regarde la part de ceux ayant voté Macron favorable à cette configuration (48%), on voit que cette volonté de recentrage l’emporte presque sur le caractère tabou, voire abominable de cette alliance comme on peut parfois en entendre dans le monde politique. Il y aurait une forme de pragmatisme de la moitié de ses électeurs de droite qui se dirait que même si cela ne correspond pas à ses convictions, cela apportera moins de radicalisme qu’un gouvernement plus éloigné.

On observe une distinction par âge, même si elle est moins marquée. Les jeunes sont plus favorables. Cela montre qu’il y a cette question du clivage politique mais que peut être ce sujet est moins tabou dans les jeunes générations parce que l’éloignement du rattachement de l’extrême droite à la Seconde Guerre mondiale est plus faible. Pour les moins de 35 ans, le Front national a toujours existé et participé au jeu des élections, il est plus un parti classique que pour les électeurs plus âgés.

Xavier Dupuy : En cas de victoire de Marine Le Pen, une majorité de l'électorat RN est favorable à une participation des Républicains au gouvernement, mais à un degré moindre. On sent que cet électorat, quel que soit le cas de figure, souhaite en fait participer à l'exécutif : que Marine Le Pen, Les Républicains ou Eric Zemmour l'emporte, ils veulent faire partie du gouvernement.

  • A la question « Enfin en cas de victoire d’Éric Zemmour à l’élection présidentielle, souhaitez-vous que Les Républicains participent au gouvernement d’Éric Zemmour ? »

Bruno Jeanbart : Ce qui est intéressant, c’est que seulement 52% y sont favorables, c’est moins qu’en cas d’une victoire de Marine Le Pen. Cela prouve quelque chose qui ressort des enquêtes actuellement : dans l’esprit de beaucoup d’électeurs, Zemmour est plus à droite, plus radical que Marine Le Pen, donc c’est moins consensuel. C’est sans doute un problème pour le projet de Zemmour qui, lui, à l’origine avait cette idée de réunir les deux droites. Il est peut-être aujourd’hui, paradoxalement, moins bien placé pour le faire que la candidate du Rassemblement National. Les sympathisants LR notamment y sont moins favorables.  Zemmour est probablement ressenti comme trop excessif et incontrôlable donc l’idée de recadrage fonctionne moins bien.

Pour les sympathisants RN, le résultat est très proche de celui obtenu dans la configuration précédente avec la participation à un gouvernement RN. Ils sont divisés (55% favorables, 44% opposés) car ils ne font pas de grandes différences et réagissent avec la même idée qui est que cela risquerait d’affadir la proposition politique d’un tel gouvernement.

On voit bien que les électeurs prêts à voter Zemmour, eux, sont très favorables (74%) à la présence de LR. Cela montre bien qu’il y a parmi eux une forte sensibilité à l’idée de l’union des droites. C’est beaucoup plus partagé dans l’électorat Bertrand, avec 49% favorables seulement. C’est un peu mieux chez Marine Le Pen (56%), mais la proposition est principalement soutenue par les électeurs d'Eric Zemmour eux-mêmes. Peut-être qu’ils se disent que vu son manque d’expérience politique, il sera incontournable pour lui d’avoir un gouvernement d’alliances s’il était élu président.

Il est difficile d’interpréter les résultats sociologiques mais on sait que l’éloignement à la proposition de Zemmour est plus fort chez les femmes, il y a plus de réticence dans les intentions de vote, ce qui peut expliquer que le résultat soit comparable aux précédentes situations chez les hommes (49% pour) mais plus bas chez les femmes (55% pour) que dans les autres situations (58 et 65% pour). Il y a un vrai sujet Zemmour pour les femmes. Il a beaucoup capté dans l’électorat masculin de Marine Le Pen et a beaucoup plus de mal dans l’électorat féminin.

Pour ceux ayant voté Macron en 2017, il y a un rejet beaucoup plus fort par rapport à Zemmour qu’à Marine Le Pen. Cet électorat de centre-droit juge probablement plus dangereux Éric Zemmour que Marine Le Pen. Dans l’électorat Fillon, on retrouve une fibre assez conservatrice et traditionnelle sur les questions de société qui peut les rapprocher de l’offre politique de Zemmour (57% pour) plus que chez ceux qui envisagent de voter Bertrand (49% pour).

Xavier Dupuy : Il est intéressant de noter qu'en cas de victoire d'Eric Zemmour, on sent une réticence plus forte dans l'électorat des Républicains à une participation à son gouvernement, alors que l'on aurait pu penser le contraire.

Vous évoquez l’idée que cette idée à fait son chemin à droite, que sait-on de l’évolution de cette idée dans les mentalités ?

Bruno Jeanbart : Vous aviez fait un sondage avecl'IFOPen 2015, où on peut comparer la première question, celle de la participation du FN à l’époque à un gouvernement LR, qui était UMP. Ce que l’on voit c’est qu’on a à la fois du côté des sympathisants LR et FN une augmentation puisque à l’époque seulement 29% des sympathisants LR y étaient favorables, on est à 46% désormais. Il y a la même évolution du côté des sympathisants FN, qui étaient 61% à y être favorables à l’époque, contre plus de 80% désormais. On voit bien que cette idée d’union des droites progresse, probablement qu’il y a un phénomène dans l’électorat de droite qui s’interroge à la fois sur le sentiment que la droite est puissante électoralement mais en difficulté pour accéder au pouvoir et que l’union est un moyen de régler ce problème. Il y a principalement cette explication mais on peut aussi imaginer qu’avec la stratégie de dédiabolisation de Marine Le Pen et l’affaiblissement des Républicains, qui ne sont plus dominants électoralement à droite, on va être plus ouvert à une union dans l’électorat LR. Mais il y aussi le sentiment d’une Marine Le Pen qui est moins extrémiste que ne pouvait l’être son père où elle dans ses premières années. Probablement que son recentrage sur les questions européennes joue aussi dans l’électorat LR. 

LR en 2014/2015, était le principal opposant dans une logique d’alternance PS/UMP. Leur position d’opposition parmi des oppositions à Macron et qui n’est pas encore au second tour, est-ce qui soulève des questions ? 

Bruno Jeanbart : Il y a le sentiment aujourd’hui que dans la bataille politique nationale, et ce n’est pas le cas dans les élections locales, Les Républicains ne sont plus la première force de droite. Ce n’est donc plus la force naturelle pour s’imposer. Désormais en situation de faiblesse, ils sont plus ouverts à l’idée d’une union qu’ils ne l’étaient en 2015.

Que nous dit ce sondage sur l’état des rapports de force à droite ? 

Bruno Jeanbart : Ce sondage nous dit que les électeurs ont acté la fin de la domination de la droite parlementaire et traditionnelle sur la droite radicale et le Rassemblement National. Cela fait donc évoluer les lignes, la question d’une alliance ne se pose plus dans les mêmes sphères. 

Deuxièmement, quand on mesure un certain nombre d’indicateurs sur les valeurs, il y a très peu de valeurs sur lesquelles les deux électorats ont des opinions différentes. Les seuls écarts se situent sur la question de l’Union Européenne. Sur la question de l’immigration et de la sécurité, il y a très peu de différences entre les deux électorats et c’est une des raisons pour laquelle cette question de l'union n'est pas forcément taboue pour les électeurs. Il reste la question du sujet européen qui divise encore beaucoup, même si de ce point de vue le Rassemblement National et Marine Le Pen ont fait un pas vers la droite traditionnelle en abandonnant le Frexit et la sortie de l’Euro. 

Xavier Dupuy : Ma grille de lecture montre qu'au niveau de l'électorat Républicain, l'évolution est faible. Il y a toujours une moitié des électeurs qui est hostile à tout rapprochement. C'est une constante. Des sondages, il y a un an, un an et demi, donnaient les mêmes résultats. Ce qui est nouveau, c'est l'importance de l'électorat du Rassemblement National qui souhaite une participation au gouvernement en cas de victoire d'un président Républicain. On peut y voir deux choses. Soit le souhait d'alliances au sens politique, programmatique. Mais aussi peut-être – dans le cas d'une victoire de Marine Le Pen ou d'Eric Zemmour – que l'intégration de Républicains pourrait souligner une volonté d'intégrer à leur gouvernement des personnes plus expérimentées, avec une expérience du pouvoir, afin de crédibiliser le gouvernement. Il ne s'agit pas forcément d'un souhait d'avoir des membres LR en tant que tels ; peut-être que ces responsables LR incarnent ceux qui ont déjà gouverné, ceux qui connaissent le pouvoir.

Quelles conclusions politiques en tirer ?

Xavier Dupuy : On peut voir que le cordon sanitaire est un peu percé, car un électeur LR sur deux souhaite une participation du RN au gouvernement. Du côté du Rassemblement National, il est plus difficile de tirer des conclusions. Comme le parti, à l'instar des Républicains, est dans l'opposition au pouvoir en place, on peut aussi expliquer ce niveau élevé de souhait d'alliance par une volonté de se rassembler face à LREM. Si les LR avaient été au pouvoir, on aurait sûrement un degré moindre de souhaits d'alliances. Une majorité de l'électorat de Marine Le Pen et d'Eric Zemmour sont sûrement plus enclins aujourd'hui à se reporter sur des candidats LR au second tour d'une élection que ce qui était le cas il y a dix ans. Cela peut venir soit du positionnement de LR, soit de sa stature de parti d'opposition. Et je pense que la deuxième variable est la plus importante.

LR n’envisage absolument pas d'alliances avec le RN ou Eric Zemmour. Est-ce que ces résultats devraient leur faire considérer la question ?

Xavier Dupuy : Je ne pense pas car je pense que c'est le politique qui doit donner le « la ». Si le politique se cale sur des sondages d'opinion, cela veut dire qu'il ne fait que la suivre. Or, c'est plutôt au politique d'indiquer à l'opinion la voie à suivre. Tout cela dépend évidemment de la vision que l'on a du rôle des responsables politiques, mais si on considère que le politique donne son point de vue et doit entraîner derrière-lui, c'est à lui de le faire.

Sur la question du refus des alliances, cela n'a pas encore porté ses fruits chez LR, mais c'est peut-être parce que les responsables du parti n'ont pas été suffisamment convaincants dans leur façon d'expliquer les choses. Une partie de l'électorat LR est favorable à une alliance car elle se dit que « si on additionne nous et eux, on battra les autres ». Il n'y a pas qu'une question idéologique, il y a une motivation purement électorale. Mais cette logique électorale peut ne pas se ressentir dans les urnes. Il y a eu des expériences dans le passé, au niveau local, de candidats qui faisaient ensemble 60% au premier tour et se sont retrouvés à 40% au second tour. Certains membres de l'électorat souhaitent une alliance car ils considèrent que les deux partis disent la même chose ; tandis que d'autres veulent une alliance stratégique pour simplement remporter le scrutin. C'est auprès de cette partie de l'électorat que les ténors LR doivent faire de la pédagogie pour expliquer qu'en politique, 1+1 ne fait jamais 2.

Faut-il parler de deux électorats distincts ou de trois, avec celui du Rassemblement National, des Républicains et d’Éric Zemmour ? 

Bruno Jeanbart : Selon moi, il y a à ce jour encore deux électorats bien distincts. L’électorat de Zemmour est pour l’instant virtuel et n’existe que dans les sondages. Il faudra voir comment la question se concrétise pendant l’élection présidentielle. On est encore très loin du scrutin, nous sommes encore dans des intentions. On voit également que Éric Zemmour a progressé sur Marine Le Pen, mais pas seulement. Il est allé chercher un peu d’électorat chez Les Républicains et un peu d’électorat abstentionniste. L’essentiel de l’électorat qu’il a capté, étaient les électeurs tentés par Marine Le Pen, Nicolas Dupont-Aignan ou des petits candidats souverainistes. On est donc encore dans une logique de deux électorats et on pourra vraiment savoir s’il a capté un autre électorat à l’issue de la présidentielle. 

Peut-on parler actuellement de fluidité de l’électorat de droite ? Est-il figé ou peut-il au contraire passer d’un candidat à un autre ? 

Bruno Jeanbart : Il y a encore beaucoup de barrières. Il y a certes une petite forme de fluidité, mais elle n’est pas très marquée. On retrouve chez les seniors beaucoup de réticence au vote pour l’extrême droite et le Rassemblement National. Éric Zemmour en a capté un petit peu mais cela reste minime. L’électorat de droite classique et âgé est bien plus tenté par Emmanuel Macron que par la droite radicale, à cause de cette question de l’Euro et de l’Europe mais aussi pour des barrières morales, avec notamment le poids du catholicisme qui reste un frein au vote pour l’extrême droite, cet électorat étant très marqué par ces valeurs. Je pense qu’il y a dans cet électorat encore beaucoup de barrières entre les deux droites, même si cela reste à surveiller. Il y a du pragmatisme chez les électeurs donc il faudra voir comment les rapports de force évoluent, à la fois pendant la campagne et à l’issue de la présidentielle. 

Concernant les barrières que nous venons d’évoquer, le terme de « cordon sanitaire » autour du Rassemblement National a-t-il toujours autant de force lorsqu’on regarde les résultats des sondages ? 

Bruno Jeanbart : On voit que le front républicain existe encore mais moins fortement que par le passé. Autrefois, ceux qui envisageaient une alliance entre les deux forces étaient minoritaires, mais on voit bien aujourd’hui que même au sein de la droite classique et chez Les Républicains, les électeurs sont très divisés. On ne peut à mon sens plus parler de cordon sanitaire même si une barrière existe toujours. De la même manière que le front républicain existe mais est moins marqué qu’avant, je dirais que le cordon sanitaire est beaucoup moins puissant qu’auparavant. 

Vous parlez d’une dichotomie entre la base, les électeurs LR, et les dirigeants de LR et du RN. Ce sondage arrive dans un contexte ou la possibilité d’une union n’est jamais évoquée. Est-ce que les préoccupations des électeurs sont différentes de celles des États-Majors ? 

Bruno Jeanbart : Je pense qu’elles sont clairement différentes. Mais il y a une question de fond. Pour les candidats, il n’y pas d’intérêt de parler d’union aujourd’hui. Ils sont dans une compétition qui est engagée. Le but de cette compétition est de terminer vainqueur. La logique d’union est donc à l’opposé de cette logique. Dans le fond, ce sujet ne peut arriver qu’à l'issue d’une élection et n’a pas de raison d’arriver actuellement. Ce débat pourra éventuellement exister dans l’entre deux tours de la présidentielle, quand on saura qui sera le leader entre Les Républicains, Éric Zemmour et le Rassemblement National. On peut alors imaginer que Marine Le Pen appelle les Républicains à la rejoindre et à faire partie de son gouvernement si elle l’emporte, et inversement. Tant que la compétition pour arriver au second tour est en cours, il est évident que les dirigeants et les candidats ne vont pas rentrer dans cette logique. L’électorat, lui, raisonne différemment et ne se positionne pas par rapport à ça. 

Nous sommes pourtant dans un contexte où Emmanuel Macron est donné grand favori, ou Les Républicains ne sont pas au second tour et ou Marine Le Pen est en grande difficulté. Est-ce que cette union aurait un sens avant les élections ? 

Bruno Jeanbart : Avant un premier tour, le piège pour un candidat serait de rentrer dans une logique partisane et de se positionner avant un duel pour anticiper un résultat. Mais si un candidat rentre dans cette logique, cela reviendrait à acter le fait qu’il ne va pas se qualifier, il faut donc éviter la question. Il y a aussi une dimension importante, c’est que dans une partie de l’électorat, il faut savoir qui va l’emporter dans une situation ou Macron affronterait un de ces trois candidats, entre le rejet de Macron et le rejet du candidat que je ne soutiens pas. Si je suis un électeur des Républicains, on va arbitrer entre le rejet de Macron et celui de Le Pen. Ce qu’on voit dans nos enquêtes, notamment pour la Fondapol, c’est que ce qui l’emporte c’est le rejet de Le Pen. Il n’y a pas un rejet suffisant à l’heure actuelle d’Emmanuel Macron à droite, pour voir un basculement encore plus fort de cet électorat. On verra dans six mois au moment du scrutin si c’est le cas ou pas mais c’est un enjeu important. 

Vous parliez d’un rejet de Marine Le Pen. Quand on voit les sondages et la perception du fait qu’il y ait moins d’électeurs de droite prêts à dire oui à une alliance avec Éric Zemmour, est ce que l’argument qui disait que Marine Le Pen ne pouvait pas faire le rassemblement tient toujours face à Éric Zemmour ? 

Bruno Jeanbart : Je pense que cet argument ne tient pas forcément. On voit bien que plus on avance avec l’irruption de Zemmour sur le champ politique et plus on se rend compte qu’un des paradoxes de cette campagne est que l’un des arguments qui explique sa progression par rapport à Marine Le Pen est de dire qu’elle ne peut pas gagner. Mais une de ses lacunes est qu’il a encore moins de chances de gagner, face à Emmanuel Macron notamment. On voit bien dans cette enquête qu’il a moins de chances de faire le rassemblement qu’elle alors qu’une des raisons de son émergence c’est justement cette idée de sortir de l’impasse que représente Marine Le Pen, ce qui empêche le rassemblement des deux électorats de droite. Il y a donc ce paradoxe qui est en train de se créer et qui peut à terme créer un handicap pour les deux. 

Selon les résultats de ce sondage, le rassemblement a plus de chances de se faire derrière Marine Le Pen par Les Républicains ou par les Républicains derrière Marine Le Pen ? 

Bruno Jeanbart : Pour l’instant, ce qu’on a toujours constaté électoralement c’est que ça fonctionne mieux de Marine Le Pen pour Les Républicains. Les électeurs du RN sont beaucoup plus nombreux à voter pour la droite dans un duel face à la gauche ou face à Emmanuel Macron que l’inverse. Il y avait peu d’électeurs Fillon qui ont voté Le Pen en 2017, seulement 20% environ. Même en 2012, ou Nicolas Sarkozy n’a pas eu assez d’électeurs de Marine Le Pen, il y en avait plus de 50%. Les enjeux de demain pour le Rassemblement National seront de faire aussi bien dans leur sens que dans le sens en faveur des Républicains. 

Les résultats de ce sondage peuvent-ils avoir un impact sur le positionnement des candidats d’ici l’échéance des débats internes à LR et d’ici le premier tour ? 

Bruno Jeanbart : Je pense que personne chez Les Républicains ne prendra le risque d’ouvrir la porte à une telle alliance dans la pré-campagne et dans la campagne des primaires. Ça pourrait avoir un impact pendant l’entre présidentielle et législatives si l’un de ces trois candidats étaient élus, mais je ne vois pas le sujet émerger dans la primaire à droite. 

Est-ce que ces résultats doivent inquiéter Emmanuel Macron quant à la possibilité d’une alliance ? 

Bruno Jeanbart : Pas forcément car nous sommes dans un système qui fonctionne à deux tours. Il n'y a que deux qualifiés pour le second tour donc je dirais que non. Cela doit l’alerter sur des réserves de voix éventuelles face à un candidat LR et sur le risque que les électeurs de la droite radicale votent massivement pour le candidat LR s’il était face à lui au second tour. Cela devrait également l’alerter sur le risque que les électorats se réunissent dans les urnes. Quand on regarde le paysage du premier tour, si demain ses électeurs votent massivement pour le candidat qui arrivera en tête des trois, ça deviendra un risque important pour Emmanuel Macron qui a beaucoup de mal à recueillir des réserves de voix au sein de la gauche. 

On entend dire qu'Emmanuel Macron veut face à lui Le Pen ou Zemmour plutôt qu’un candidat LR, ce serait la situation la plus propice pour lui ? 

Bruno Jeanbart : Très clairement, quand on sait qu’historiquement les électeurs de la droite radicale votent assez bien, surtout quand le candidat opposé est sortant pour le candidat de droite, il y aura un vrai danger pour Emmanuel Macron. 

En termes de discours à tenir de la part des Républicains sur le fond du programme et les mesures à défendre, est-ce que cette porosité des électorats doit les pousser à avoir des discours qui évoluent, si oui dans quel sens ? 

Bruno Jeanbart : Je dirais que cela n’a pas forcément vocation à avoir un effet très fort sur le fond mais ça indique que c’est très difficile pour les candidats de droite de se différencier et de regagner du terrain face au RN et ses questions fortes comme l’immigration et la sécurité. Ils ont intérêt à beaucoup plus se démarquer et avoir des différences sur les questions plus traditionnelles, économiques et sociales notamment. 

Ont-ils intérêt à être très durs vis-à-vis de Marine Le Pen et Éric Zemmour, ou au contraire d’être dans une opposition moins radicale pour ne pas ruiner toute chance d’alliance ? 

Bruno Jeanbart : Je pense qu’il peut y avoir un intérêt à occuper la place de meilleur opposant à Emmanuel Macron. On voit bien qu’il y a beaucoup de points de rassemblement à droite entre les différents candidats, en tout cas dans les électorats. La question de celui qui peut faire la meilleure alternance et la meilleure alternative à Emmanuel Macron est un sujet beaucoup plus important que de s’affronter entre eux directement. 

Ce sondage témoigne-t-il d’une distinction entre les enjeux intellectuels liés à ce que les électeurs pensent de la droite et de l’extrême droite historiquement, et des enjeux plus pratiques et plus prosaïques, de gouvernance, de proximité sur le fond ? 

Bruno Jeanbart : Je crois qu’il nous montre qu’après 40 ans que le RN est installé sur le paysage politique, on est de moins en moins sur des questions de principes dans le fond que sur des questions pragmatiques qui sont de comment faire pour gouverner et avoir une coalition qui arrive au pouvoir.

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