SOS parents désarmés : la campagne contre les « violences éducatives ordinaires » est-elle… dangereuse ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Photo d'illustration montrant une mère faisant semblant de donner une fessée à un enfant.
Photo d'illustration montrant une mère faisant semblant de donner une fessée à un enfant.
©LOIC VENANCE / AFP

Enfance

La Fondation pour l'enfance a lancé une campagne d'affichage sur les "violences éducatives ordinaires", proscrites depuis 2019 par une réglementation surnommée la "loi anti-fessée". Or, cette interdiction peut avoir un impact négatif sur la façon dont les parents gèrent leurs enfants.

Maurice Berger

Le Docteur Maurice Berger est pédopsychiatre, ancien professeur associé de psychologie de l’enfant Université Lyon 2, responsable du diplôme universitaire « Expertise légale en pédopsychiatrie et psychologie clinique de l’enfant ». Il a publié en 2019 Sur la violence gratuite en France: Adolescents hyper-violents, témoignages et analyse (éditions de l'Artilleur). 

 

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Atlantico : Une campagne de sensibilisation est lancée cet été pour rappeler les risques des "violences éducatives ordinaires" (VEO).  Si ces comportements sont condamnables, ce type de campagne n'a-t-il pas comme conséquence de participer au sapement de l'autorité de parents perdus ? 

Dr Maurice Berger : Comme plusieurs collègues pédopsychiatres, j’ai toujours été réticent à l’égard de la loi de 2019 dite « anti fessée ». Ceci a étonné les professionnels qui en étaient à l’origine et qui savaient à quel point je me suis battu pour tenter d’améliorer la protection de l’enfance en France, étant d’ailleurs à l’origine de plusieurs amendements votés dans ce domaine.

Dans la campagne actuelle, quelques nuances ont été émises par rapport à l’argumentaire initial soutenant la loi : il est indiqué qu’il y a nocivité des VEO quand elles se produisent avec régularité.

L’argumentaire de 2019 mélangeait tous les niveaux, mettant sur le même plan des attitudes parentales très violentes comme secouer, frapper avec une ceinture, gifler, et une simple et unique fessée ou une tape sur la main ; des âges aussi disparates que ceux d’un bébé – qu’on ne doit jamais frapper – et d’un enfant beaucoup plus grand ; des punitions corporelles utilisées comme principal mode d’éducation pour obliger un enfant à obéir sur le champ, à arrêter de pleurer, et une fessée donnée à un enfant qui refuse totalement l’autorité de ses parents en faisant fi de leurs paroles, et alors que son père et sa mère ont par ailleurs une attitude éducative attentionnée et chaleureuse. Et il est faux scientifiquement d’affirmer, comme cela a été fait, qu’une fessée unique et « bien tempérée » modifie le fonctionnement cérébral (amygdale, gène NR3C1, etc.).

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A l’opposé, session de formation continue à l’École nationale de la magistrature. Je demande aux 66 magistrats présents combien ont reçu une fessée lorsqu’ils étaient enfants : 63. Et combien en gardent un souvenir traumatique à l’âge adulte : 3, soit moins de 5 %. Conférence tout public à Vannes : 170 adultes sur 180 ont reçu une fessée, aucun n’en reste traumatisé. J’ai retrouvé ces chiffres des dizaines de fois en questionnant des groupes de médecins, psychologues, enseignants. Les très rares personnes qui ont dit avoir été traumatisées m’ont expliqué qu’elles n’avaient pas reçu une fessée mais une « rouste », ou ont été fortement humiliées, comme cette adolescente à laquelle son père a donné une fessée devant ses camarades.

Un enfant peut avoir besoin de rencontrer une limite physique qui le contienne lorsque la parole ne fait plus tiers. Cette limite peut être tout d’abord une parole calme, pourquoi pas l’éducation positive qui permet de régler beaucoup de situations de tension en mettant en mots ce que l‘enfant ressent ; puis en cas d’échec, en élevant la voix, le juste courroux ; puis l’enfant peut éventuellement être envoyé se calmer dans sa chambre ou être sanctionné. Mais certains vont continuer à narguer l’adulte. Dans de telles circonstances, la fessée tempérée peut être utile si elle est très rare, et si l’enfant est prévenu à l’avance, ce qui lui donne la possibilité de décider de modifier son attitude tyrannique. La fessée est alors une butée physique dans un contexte relationnel précis. Ce n’est pas de la violence, mais de la force, qui ne dépasse pas le niveau minimum nécessaire et qui s ’accompagne de paroles : « cela ne me fait pas plaisir, mais je pense que c’est la seule chose qui peut t’arrêter ». Ce qui s’est passé est repris ensuite au calme. Un enfant peut aller jusqu’au bout pour essayer d’être plus fort que ses parents, c’est de bonne guerre… Si on l’en empêche, il n’est pas humilié, mais vexé, et il va penser et considérer autrement sa relation avec ses parents et devoir accepter l’asymétrie entre enfant et adulte porteur d’interdits. Si on ne peut pas être pour la fessée, on ne peut pas dire qu’elle est nocive dans ces conditions.

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La loi de 2019 repose sur une description idyllique et angélique d’un enfant bon a priori, un enfant sans violence, un caprice serait un signe de souffrance psychique, ce qui est faux. Non, un enfant n’est ni tout bon ni tout méchant et il peut traverser des périodes d’agressivité importantes qui ont amené Freud à dire que « l’enfer, ce serait le monde dirigé par des enfants de 4 ans » (il se trompait car la période d’agressivité maximale survient souvent plus tôt). Et la fessée ou l’ « engueulée » matérialise, lorsque le reste a échoué, la nécessité pour l’enfant de renoncer à la totalité de ses désirs. Ce qui n’empêche pas que beaucoup d’enfants puissent être élevés sans ces recours, mais qu’ils doivent rester envisageables.

Ceci étant posé, si la campagne actuelle va permettre à certains parents de réfléchir sur leurs attitudes éducatives, le risque est aussi qu’elle délégitime l’autorité d’autres parents. Je suis questionné régulièrement en consultation ou dans la vie quotidienne, par des parents, des pères surtout, qui m’évoquent des moments d’impuissance face à leur enfant. Ils pensent qu’une fessée, unique ou rare je le répète, réglerait le problème, mais leur épouse évoque le traumatisme indélébile que cela va laisser ; pour soutenir une attitude ferme et non négociable face aux exigences ou même insultes de leur enfant, ils ne trouvent plus d’étayage dans un corps social soucieux d’être dans le sens du politiquement correct, ni dans les médias qui tournent tous les interdits en dérision, solution de facilité. L’autorité parentale est fragilisée actuellement. De plus en plus de parents évitent de poser des limites à leurs enfants, car quand un parent dit « non » et maintient l’interdit, l’enfant lui répond qu’il est méchant, qu’il ne l’aime plus, pleure, etc. Pour pouvoir dire « non », un parent doit accepter de ne pas être aimé temporairement, ce qui nécessite d’avoir une estime de soi suffisante et de se sentir soutenu par le corps social. Au lieu de cela, je vois des parents supplier leur enfant alors qu’un enfant doit obéir pas pour faire plaisir à ses parents ni pour se faire aimer, mais parce que c’est comme ça, qu’il accepte ou pas d’entendre les raisons de l’adulte qui sait ce qui est le mieux pour un enfant. Des parents disent à leur enfant qu’il constatera qu’à l’école, il ne pourra pas faire ce qu’il veut, ce qui est une manière de se défausser sur les enseignants de la pose des interdits. Les enseignants de maternelle et de primaire sont ainsi confrontés à de plus en plus d’enfants « non élevés ».

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Non, cette campagne ne supprimera pas les comportements brutaux et humiliants de parents très violents qui, de toute manière, ne prennent en compte que leur propre loi. Et le Code pénal l’article 222-13 permet de condamner l’auteur de violences sur mineur de moins de quinze ans.

N’y a-t-il pas une forme de violence insidieuse tout aussi déstructurante pour les enfants lorsque leur instinct de toute puissance n’est jamais contraint ?

Le fameux modèle suédois dont s’est inspiré la loi sur les VEO montre que des risques existent effectivement.

L’ex-présidente de l’Association des pédopsychiatres d’Intersecteurs publics, qui effectue de fréquents séjours en Suède, dit « être hostile à toute législation sur la fessée en France ». Ses arguments sont que la Suède est une société de tradition protestante où chacun se contrôle et contrôle les autres. Si un parent est débordé, on lui retire l’enfant tout de suite et on évalue ensuite la situation. C’est ce modèle qui permet l’interdiction de la fessée. Ce serait contre-productif dans notre société latine qui n’a pas le même mode éducatif, et pourrait aboutir à des auto dénonciations faites par les enfants.

Par ailleurs, dans un livre intitulé « Les enfants suédois ont pris le pouvoir », le psychiatre Eberhard souligne les effets pervers de la loi interdisant les VEO. Des parents ont peur de leurs enfants, craignent d’être signalés à la police, et ce psychiatre cite plusieurs situations où des enfants ont raconté n’importe quoi pour faire punir leurs parents, ce qui a eu des suites compliquées car en Suède, dès qu’une plainte est déposée, l’enfant est placé dans un foyer. Les enfants ne savent plus où sont les limites. La présidente de comité nordique pour les droits de l’homme indique qu’à cause de cette loi, il y a une augmentation du nombre de parents incapables d’élever leurs enfants et d’enseignants chahutés.

Je dirai simplement qu’en France, on ne peut pas exclure qu’avec cette loi, de plus en plus d’enfants aient un comportement tyrannique qui créera des roitelets égocentriques dont certains n’intégreront pas les interdits qui permettent la vie collective.

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