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Sommet de la terre "Rio+20" : 
un échec quasi programmé
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Si tu vas à Rio...

20 ans après le 3ème Sommet de la Terre, les Nations-Unies se réunissent à nouveau à Rio pour organiser l’action internationale en faveur du développement durable. A l’heure où les négociations s’enlisent et où le débat se reformule autour de la question des « objectifs du développement durable », est-il encore possible d'éviter une simple proclamation de vœux pieux ?

Youth Diplomacy

Youth Diplomacy

Youth Diplomacy est un think tank qui encourage la jeunesse française à mieux connaître et à s’approprier la mondialisation.

Fondée il y a à peine un an, l'association a organisé le G8 & G20 Youth Summits, événement officiel de la Présidence du G20-G8 pour la jeunesse.

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Dans tous les cas, Rio+20 ne sera qu’un début » rappelle Jean-Pierre Thébault, Ambassadeur français chargé de l’Environnement. Pour le diplomate, la complexité du chantier du Sommet de la Terre nécessite de relativiser à l’avance tout ce qui pourrait être qualifié trop vite d’échec. Une précaution importante. Benoit Martimor Asso et Michel Colombier, respectivement directeur du développement et directeur scientifique de l’Institut du Développement Durable et des Relations Internationales (IDDRI), font un constat simple à quelques jours du Sommet de la Terre : malgré les 3 réunions préparatoires organisées par le secrétariat de la conférence, seuls 20% des paragraphes contenus dans le draft d’accord pour Rio+20 font aujourd’hui l’objet d’un consensus.

Empêtrée dans ses dissensions internes, l'Europe incapable de définir une stratégie cohérente d'action 

Toutes les clauses relatives à l’économie verte opposent radicalement l’Union européenne qui en a fait son cheval de bataille et le G77 (groupe des pays émergents et en développement) qui y voient un cheval de Troie pour une nouvelle forme de protectionnisme. Alors que la définition même de l’économie verte n’est pas clarifiée, seule la Chine a fait preuve de clarté : hors de question d’intégrer les règles environnementales avec les règles commerciales. Une position qui résonne d’autant plus fort que l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) brille par son absence dans les débats. Son directeur général, Pascal Lamy, d’habitude si prolixe, n’a pas avancé de propositions pour intégrer le concept d’économie verte aux règles de l’OMC. Le concept, qui a fortement mobilisé la diplomatie allemande, avait également le soutien des diplomates mexicains et coréens. Malgré son succès diplomatique lors de la conférence de Cancun sur le Climat (COP16) et bien qu’il ait annoncé vouloir traiter de croissance verte en tant que président du G20, le Mexique n’a pourtant pas utilisé sa position d’émergent pour réconcilier le Nord et le Sud.

Pour l’équipe de l’IDDRI, c’est un problème classique de gouvernance européenne : la DG Environnement de la Commission a passé trop de temps à raffiner ses propositions avec le Conseil de l’UE... et pas assez pour convaincre à l’étranger que l’économie verte n’est pas une nouvelle forme de protectionnisme. Comment l’Europe peut-elle espérer atteindre ses objectifs si elle doit davantage se consacrer à se convaincre elle-même qu’à convaincre les autres du bien-fondé de ses propositions ?

Sans compter que les Etats membres peuvent décrédibiliser les efforts communautaires de rassurer les émergents. A cet égard, le discours de M. Hollande lors du lancement international de Rio+20 à la Cité de la Science le vendredi 8 juin est frappant. En insistant sur le fait que l’économie verte contribue à créer des emplois non délocalisables et à rassembler les conditions d’une meilleure compétitivité, le Président de la République ne peut qu’alimenter les craintes des pays émergents.

Le développement durable ne sera pas gérable sans que l'on accepte plus d'intégration dans le système des Nations-Unies

En ce qui concerne la réforme de la gouvernance mondiale de l’environnement, seulement un tiers des paragraphes de l’accord de Rio+20 ont été validés.

Depuis le Sommet de Copenhague (COP15), les discussions s’étaient cristallisées sur la proposition portée par la France de créer une Organisation Mondiale de l’Environnement (OME). L’enjeu est d’organiser la cohérence des 200 Accords Multilatéraux sur l’Environnement qui souffrent d’une grande dispersion et d’une insuffisance de moyens dans certaines administrations nationales pour être mis en œuvre correctement. Cette proposition avait fait l’objet d’une vive opposition à Copenhague, dont les champions arguaient que le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) suffisait. La réforme du PNUE, sans aller jusqu’à la création d’une OME, semble désormais recueillir un accord de principe dans les négociations préparatoires de Rio+20.

Toutefois les négociateurs s’interrogent toujours sur la question de savoir la manière dont cette réforme pourrait prendre forme : faut-il transformer le Conseil Economique et Social de l’ONU (ECOSOC) en un Conseil du Développement Durable ? Faut-il créer un Conseil du Développement Durable ad hoc dont les débats pourraient inclure des parties-prenantes de la société civile ?  En la matière, il semblerait que ce soit la proposition du Secrétaire Général de la Conférence de créer un « high level political forum » qui emporterait les suffrages des Etats à Rio+20.

Le Président Hollande rappelait dans son intervention au lancement international de Rio+20 la nécessité d’avoir une gouvernance mondiale de l’environnement qui soit effective... Sans savoir que l’audience rassemblée devant lui comportait les étudiants français ayant pris part à la simulation de négociation du Sommet de la Terre intitulée « Paris+20 ». L’après-midi même, à l’UNESCO, ces jeunes ont présenté les conclusions de leurs travaux. Ils sont aboutis à la conclusion qu’il fallait créer une « ONU-DD » ou Organisation des Nations unies pour le Développement Durable...

Stupéfait, John Crowley, le coordinateur de l’équipe chargée des dimensions sociales des changements environnementaux mondiaux au département des Sciences Humaines et Sociales de l’UNESCO, leur explique que cela reviendrait béatement à créer une « ONU parallèle ». Ces étudiants ont mis le doigt sur toute la complexité du problème. La notion de développement durable est intégratrice ; elle appelle à raisonner sur toutes les composantes du débat, économique, sociale et environnementale. C’est donc tout le système des Nations unies qu’il faut repenser autour d’une architecture intégrée si l’on souhaite une réelle gouvernance mondiale du développement durable, et pas seulement une gouvernance de l’environnement.

Le temps est venu d'associer les pays du Sud à des objectifs de développement durable qui ne pesaient que sur le Nord jusqu'à présent

A Rio, les négociateurs pourraient répondre à ce problème de cohérence en réarticulant leur réflexion autour de la notion des « objectifs du développement durable » ou ODD.

Le problème ne vient pas de la rédaction de ces objectifs, qui sont faciles à identifier pour Benoit Martimor Asso : « il suffit de reprendre toutes les déclarations politiques faites lors des derniers Sommets de la Terre et des dernières COP, et vous arriverez facilement à constituer les ODD ».

Non, la vraie difficulté provient de cette crise de cohérence. De tels objectifs universels ont vraisemblablement vocation à remplacer les Objectifs du Millénaire pour le Développement (MDG) proposés par Kofi Annan et adoptés par l’ONU en 2000. C’est à nouveau la notion même de développement durable qui est à l’œuvre : le développement n’en serait plus qu’une branche subsidiaire. Une vraie révolution, car pour la première fois, des objectifs universels tournés vers l’action ne seraient plus le motif de flux d’aide publique au développement du Nord vers le Sud, mais d’investissements durables Nord/Nord et Sud/Sud.

Alors que la question des ODD est entrain de reformuler toutes les négociations de Rio sans que l’UE ne s’y soit véritablement préparée, plusieurs problèmes restent à clarifier. Premièrement, à qui faut-il confier la responsabilité de dresser ces ODD dont la portée sera immense : à l’ECOSOC ou aux services de l’ONU eux-mêmes, comme pour les MDG ?

Mais surtout, comment dresser de tels objectifs universels alors que toutes les négociations climatiques procèdent du « principe de responsabilité commune mais différenciée » ? En effet, des objectifs universels pour le développement durable supposeraient que tout pays, du Nord ou du Sud, ait une responsabilité dans ses politiques publiques, alors que jusqu’à présent, le Protocole de Kyoto a fait porter la responsabilité de la lutte contre le changement climatique sur le Nord exclusivement...

Devant cet ensemble de contradictions, l’action internationale est ralentie ; mais que peuvent faire la France et l’Europe sans plus attendre ?

Le développement durable repose premièrement sur une organisation politique originale qui appelle l’Europe à se réformer. Force est en effet de constater que le développement durable exige une double réforme : l’intégration de l’action extérieure de l’UE pour peser plus et mieux sur les négociations internationales ; la constitution de régions fortes, pouvant agir à l’échelle locale, sur les 3 piliers du développement durable, économique, social et environnemental. Les défenseurs des générations futures cherchent dont à s’appuyer sur des institutions fédérales et régionales dont ils ne disposent pas aujourd’hui...

Pas plus qu’ils n’arrivent à s’appuyer sur une réflexion réellement intégrée. On peut déjà se réjouir d’avoir en Europe des ministères de l’environnement qui ne soient pas les administrations fantoches dont certains pays sont dotés. Mais il est à déplorer que les négociations du développement durable soient portées uniquement par la Direction Générale de l’Environnement à la Commission, ou par le Ministère de l’Environnement en France. Quid des affaires sociales et de l’enseignement ? Ne faudra-t-il pas engager une réelle reconversion du capital humain français et européen pour pourvoir des emplois dans une économie réellement durable ? Quid du ministère du redressement productif ? N’y a-t-il pas là un énorme enjeu industriel ? Si même on ne satisfait pas l’aspiration fédéraliste énoncée précédemment, la réforme de l’administration centrale française semble nécessaire car seul le Premier Ministre peut effectivement être chargé du Développement Durable.

De Rio+20, il n’est possible d’attendre qu’une déclaration politique forte, pour engager le chantier des objectifs du développement durable, porteurs d’une réelle réforme de la gouvernance mondiale. Mais dans l’attente, l’action est possible, chez nous, en Europe.

Auteur Thomas Friang

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