Sobriété et transition énergétiques : la France s’enfonce dans les contradictions, l’Europe dans la folie furieuse <!-- --> | Atlantico.fr
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Le Parlement européen a voté mercredi en faveur d’un objectif de 45% pour les énergies renouvelables dans le mix énergétique des Etats d’ici 2030.
Le Parlement européen a voté mercredi en faveur d’un objectif de 45% pour les énergies renouvelables dans le mix énergétique des Etats d’ici 2030.
©PATRICK HERTZOG / AFP

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Selon Frans Timmermans, le Commissaire européen à l'Action pour le climat, « nous devons nous rendre compte que l’Europe a besoin d’être souveraine dans le domaine de l’énergie et que notre souveraineté ne peut se construire que sur l’énergie renouvelable ».

Cécile Maisonneuve

Cécile Maisonneuve

Cécile Maisonneuve est Fondatrice de DECYSIVE et senior advisor de Oliver Wyman, Cécile Maisonneuve était, jusqu'en 2021, présidente de La Fabrique de la Cité, le think tank des innovations urbaines, fondé et soutenu par VINCI, qu’elle a rejoint en 2015, et membre du comité scientifique de l’institut AMS (Amsterdam Institute for Advanced Metropolitan Solutions). Elle est membre du conseil d’administration de La Fondation Le Corbusier. Elle a auparavant dirigé le Centre Énergie de l'Institut français des Relations Internationales (IFRI). De 2007 à 2012, Cécile Maisonneuve occupa diverses positions au sein du groupe AREVA, relatives à la prospective et aux affaires publiques internationales et européennes. Cécile Maisonneuve était auparavant administrateur des services de l’Assemblée Nationale.

Cécile Maisonneuve a collaboré avec la Fondation pour la Recherche Stratégique et le Center for Strategic and International Studies (CSIS) et elle est le co-auteur d’une biographie sur Benjamin Franklin (Perrin, 2008) et l’auteur de papiers sur les questions urbaines et géopolitiques. Ancienne participante du programme des visiteurs internationaux (IVLP) du Département d’État (2001), elle est membre de l’association VoxFemina pour la promotion des femmes expertes dans les médias.

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Atlantico : Frans Timmermans, le Commissaire européen à l'Action pour le climat, a récemment déclaré dans un entretien pour la revue Le Grand Continent, que « Nous devons nous rendre compte que l’Europe a besoin d’être souveraine dans le domaine de l’énergie et que notre souveraineté ne peut se construire que sur l’énergie renouvelable ». Partagez-vous ce constat ?

Cécile Maisonneuve : Etrange souveraineté ! D'abord parce qu'elle reposerait sur des sources d’énergie intermittentes. Les énergies renouvelables ne permettent pas d’assurer l’approvisionnement électrique en permanence. D’énormes moyens de stockage seront nécessaires dont la faisabilité et le modèle économique n'existent pas à ce jour. Le développement massif des interconnexions et de la numérisation du secteur énergétique est également nécessaire. Ces éléments n’apparaissent pas dans les objectifs européens. 

Ensuite, la plus grande partie de la chaîne de valeur industrielle liée aux énergies renouvelables n’est pas du tout maîtrisée par l’Europe. La question de la souveraineté se pose de manière cruciale dans ce domaine. Les panneaux solaires viennent massivement de Chine qui maîtrise l'accès aux métaux critiques et aux terres rares nécessaires à la fabrication des panneaux solaires. La Chine est ultra-dominante sur ces marchés, qu'il s'agisse de l'accès à la ressource minière ou du raffinage de ces métaux critiques. La souveraineté européenne en la matière reste à construire. 

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a proposé un fond souverain pour les métaux critiques pour l’Union européenne. De nombreuses questions demeurent sur la stratégie opérationnelle associée à cette vision politique qui permettrait de crédibiliser les propos du vice-président en charge du Green deal européen. Pour l'heure, ce sont des grands mots. 

Le Parlement européen a voté mercredi en faveur d’un objectif de 45% pour les énergies renouvelables dans le mix énergétique des Etats d’ici 2030, ce qui paraît très proche. Dans l’état actuel des choses, est-il dangereux de fixer ces objectifs en termes de souveraineté et d’indépendance ?

Cela peut s’avérer dangereux. Vu du point de vue d'un Vladimir Poutine ou de Xi Jinping, est-ce que cette stratégie affichée par l’Europe, avec toutes ses limites, est crédible ? Non, malheureusement. Afficher des objectifs déconnectés du réel ne nous renforce pas mais nous affaiblit. La réalité de 2022 et des années à venir - au moins jusqu'à 2025 - est que l’UE doit faire face à des difficultés massives d’approvisionnement énergétique… Relever les objectifs de 2030 quand des centrales à charbon sont massivement rallumées dans toute l’Europe, cela n’est pas crédible. Les objectifs de 2030 sont un astre mort. 

Ce faisant, l’Europe n’envoie pas le message démontrant qu’elle a pris conscience qu’elle a sous-investi dans sa sécurité d’approvisionnement énergétique. L’Europe envoie le message de la continuité dans une voie qui ne lui permet pas d’être résiliente et de résister à une crise majeure.   

L’UE passe-t-elle donc d’une dépendance à la Russie sur l’énergie fossile à une potentielle dépendance à la Chine sur le renouvelable ?

Il suffit de regarder la balance commerciale entre l’Europe et la Chine. L’Europe est d’ores et déjà ultra-dépendante vis-à-vis de la Chine. A l'évidence, jamais l’Europe ne sera au même niveau que les Etats-Unis en termes d’indépendance énergétique. Les Américains sont à plus de 70% indépendants sur le plan de l’énergie. Le chiffre est inverse pour l’UE. L’Europe est-elle pour autant forcée de se réfugier dans un discours qui mène d’une dépendance à l’autre ? Face à la crise de la sécurité d’approvisionnement énergétique en Europe, des solutions doivent être apportées pour garantir la sécurité de cet approvisionnement. C'est d'un plan concret qui nous conduit à retrouver notre sécurité énergétique à moyen et long-terme dont nous avons besoin, pas d'objectifs dont on ne cesse de relever le niveau.

Qu’est-ce que l’Europe pourrait faire de manière réaliste ?

D'abord, cela implique de ne pas croire aux solutions miracles. A travers les discours d’Ursula von der Leyen, l’Europe propose comme solution à la crise d’approvisionnement énergétique deux éléments qui sont pour l’instant des paris. D'abord, comme on l'a vu, le fait de faire reposer notre souveraineté sur les énergies renouvelables. L’autre mot magique est l’hydrogène. Le modèle économique de l'hydrogène bas-carbone n'existe pas aujourd'hui. Prétendre que l’hydrogène et les énergies renouvelables sont à eux seuls la garantie de la future souveraineté de l’Europe revient à faire le même pari que nous avaons fait en nous reposant sur la Russie et le gaz russe pour garnatir notre approvisionnement fossile. Ce sont des paris technologiques, physiques, industrielles, géopolitiques et économiques. Ils font partie de la solution mais, au-delà, il faut diversifier nos options de politique et ressources énergétiques au lieu de nous enfermer dans des paris risqués. Et il faut aussi revenir au réel : en 2021, la première source de production d'électricité en Europe, bas-carbone qui plus est, cela a été le nucléaire. Or, à écouter les responsables européens, cette réalité est totalement absente.

La première source de production d’électricité en Europe et sur lequel l’UE est beaucoup plus souveraine que sur tout le reste, le nucléaire, est effacée, invisibilisée.

L’Europe a pourtant la maîtrise des technologies, que ce soit dans le cycle du combustible ou les réacteurs, et un accès diversifié à la ressource en uranium dans le monde entier. Elle a les compétences humaines, la culture de sûreté et des entreprises leaders mondiaux !

Il faut partir de ce que l’on a avant de parier sur ce que l’on voudrait avoir.

L’Europe a déjà beaucoup investi dans les énergies renouvelables et a déjà un parc installé assez conséquent. Y a-t-il un décalage entre le parc installé et la production réelle concernant les énergies renouvelables ?

Ce que produit réellement le parc installé est la clé de la sécurité de notre approvisionnement électrique. A cet égard, l'été a montré qu'il nous fallait réeaxaminer ce point à l'aune de l’impact du changement climatique sur le système énergétique et notamment pour les éoliennes, pour les centrales nucléaires, les barrages hydroélectriques et l'énergie solaire, comme on l'a vu récemment en Californie, touchée par une forte vague de chaleur, qui a un impact sur le rendement des panneaux solaires. 

Il faut donc raisonner non seulement en puissance installée mais en termes de capacité effective du système à répondre à la demande qui ne peut s'adapter que jusqu'à un certain point, aujourdh'ui limité. 

La sobriété énergétique est au cœur des débats et des interrogations pour cet hiver. A quel point est-ce que la France sait où elle va ? A-t-elle une stratégie cohérente en la matière ?

Pour cet hiver, la stratégie consiste à adapter au maximum la demande aux capacités de production limitée : si stratégie il y a, c'est de s'adapter à la pénurie de production, donc de faire des économies d’énergie. La France est en train de mettre en place son plan pour éviter l’effondrement électrique du système et pour limiter l’usage du gaz. Une partie de cette stratégie est soumise à un aléa majeur : l'hiver sera-t-il froid ? Avec une vague de froid dès le mois de novembre, la situation sera très très compliquée au vu du rythme prévu de reconnection des centrales nucléaires d'EDF au réseau. Cela dépendra également des mesures prises par nos voisins. 

Un certain nombre de pays, dont la France, ont supprimé toutes les marges de sécurité dans la production de leur électricité, qui permettait de faire face aux pointes de consommation. En France, presque toutes nos centrales au charbon et au gaz ont été fermées depuis dix ans. A l'inverse, si l’Allemagne peut rallumer de nombreuses centrales à charbon, c'est parce qu'elles mises sous cocon et non fermées. La seule variable d’ajustement en France pour passer l’hiver concerne donc la demande et les importations. Les citoyens et les collectivités vont devoir se priver. Il n’y a pas de marge de manœuvre sur l’offre. Nous avons compté sur nos voisins et nous avons prétendu que la demande d’électricité avait baissé. Or la transition énergétique est liée à une électrification massive. Cela ne correspond pas à une logique de fin de l’abondance ou de sobriété. Il va falloir produire beaucoup plus d’électricité car la demande va beaucoup augmenter. Il va falloir investir et produire beaucoup plus. Tout l’inverse de la sobriété énergétique.  

Le prix du Pass Navigo va augmenter pour la région Ile-de-France tandis que la France demeure dans une optique de sobriété, de transition énergétique. A quel point la France est-elle contradictoire ?

La transition énergétique en matière de transports va nécessiter beaucoup d’investissements. Ile-de-France mobilité ne couvre ses coûts qu’à hauteur de 25%. Afin de convaincre les usagers de délaisser leur voiture au profit des transports en commun, la seule manière de le faire est de leur offrir une alternative fiable, confortable et sûre. Pour cela, il faut investir. Cette hausse est donc logique du point de vue de la transition énergétique en matière de transports. La décision de l’augmentation du Pass Navigo est aussi liée à la situation des finances de l’ensemble des réseaux de transport en commun suite à l’impact de la crise du Covid-19. Une baisse structurelle de l’usage des transports en commun a été constatée. Cette mesure doit permettre de financer les investissements dans la transition énergétique.

Cependant, mis au regard de la baisse des prix de l'essence, cette mesure pose question. Il y a un mélange des objectifs de court terme et de  de long terme qui envoie des signaux contradictoires aux Français. Baisser le prix de l'essence incite à prendre davantage sa voiture de même qu'augmenter le prix du pass Navigo... La baisse du prix de l’essence a été décidée pour alléger le portefeuille des Français mais en réalité cela va accroître nos importations de pétrole et conduire à utiliser plus la voiture. De nombreux économistes se sont battus contre cette mesure indiscriminée qui bénéficie à tous les Français au lieu de cibler les plus pauvres.

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