Si les QR Codes vous inquiètent, voilà ce qui devrait encore beaucoup plus vous préoccuper<!-- --> | Atlantico.fr
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Une caméra de vidéosurveillance à proximité d'un ministère à Paris.
Une caméra de vidéosurveillance à proximité d'un ministère à Paris.
©JACQUES DEMARTHON / AFP

Libertés publiques

Au-delà du QR qui sera déployé lors des Jeux olympiques de Paris 2024, les nouvelles technologies et les dispositifs de surveillance menacent de plus en plus les libertés.

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin est enseignant à Sciences Po et cofondateur de Yogosha, une startup à la croisée de la sécurité informatique et de l'économie collaborative.

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Atlantico : Le code QR fait son grand retour. A l’occasion des Jeux olympiques de Paris, plusieurs mesures de sécurité ont été prévues pour assurer la protection des différents sites. Parmi eux figure le contrôle des déplacements à l’aide d’un QR Code. S’agit-il d’une méthode efficace, selon vous, pour en arriver au résultat souhaité ?

Fabrice Epelboin : Le résultat désiré est le contrôle de l'accès des différentes zones et c'est assez efficace. Le problème est la forte consommation en matière de ressources humaines : il faut un personnel pléthorique pour scanner les QR codes de chacun, qui plus est avec l'afflux de personnes lors des Jeux olympiques. Il faudra vérifier l'autorisation. Donc c'est efficace, mais cela est très gourmand en ressources humaines. Or, la question des ressources humaines est un vrai défi étant donné la grosse difficulté à recruter. Il n'y a pas assez de personnel en plus du coût considérable de moyens pour développer ce dispositif.   

A l'inverse, même si elle n'est pas plus efficace, la vidéosurveillance serait beaucoup plus économique. En plus de cela, elle offre une grande souplesse en matière de sujets de contrôle, que le QR code n'offrira jamais : pour accepter ou exclure certaines personnes d'une zone donnée.

Certains n’hésitent pas, depuis l’annonce du préfet de police, à parler d’une atteinte disproportionnée aux libertés publiques. Qu’en est-il, selon vous ?

Effectivement. Mais ce n'est rien par rapport à la suite qu'est la reconnaissance faciale couplée à la vidéosurveillance. Dans le cas des Jeux olympiques, les restrictions aux libertés publiques sont quand-même très contingentées géographiquement et sur un temps très limité. C'est une préparation à ce que les autorités publiques risquent de mettre en place à l'avenir : contrôler l'accès à un territoire à un moment donné, pour une raison ou une autre.

Quels sont les rouages qu'on installe petit à petit aujourd'hui ? Que prépare-t-on comme avenir pour demain ?

Le site d’investigation Disclose vient de publier une enquête qui révèle que depuis 2015, l'Etat fait installer un système de pistage qui utilise entre autres la vidéosurveillance, dans des petites villes comme des grandes villes à l’instar de Marseille pour surveiller les citoyens. Par exemple, un individu repéré avec un pull rouge va être pisté tout au long de son parcours dans la ville, jusqu'au moment où il va se retrouver nez à nez avec une caméra de bonne définition pouvant reconnaître son identité. Ce système est beaucoup plus sophistiqué que la simple vidéosurveillance car il vient pister les populations.

Et pensez que c'est ce vers quoi nous nous dirigeons sachant le désamour progressif des Français pour le QR code, qu'ils trouvent assez inconfortable ?

En fait, nous sommes déjà dans cet univers depuis 8 ans, même si ces technologies de surveillance sont coûteuses et longues à mettre en place. C'est pourtant illégal mais en France l'Etat n'a jamais respecté les lois en matière de surveillance et ce au moins depuis 2009. Une fois que ce sera légalisé, une multitude d'usages pourront avoir cours. Nombreux sont ceux qui sont déjà entérinés comme l'interdiction pour un mari violent de fréquenter la commune où habite son ex-femme. Aujourd'hui, ce sont des peines qui sont prononcées de façons très régulières et qui ne sont jamais appliquées car il n'y a pas de dispositif technique. Avec la reconnaissance faciale sur de la vidéosurveillance, cela sera assez simple à mettre en place. Il serait envisageable d'avoir un couvre-feu pour les enfants de moins de seize ans, de définir de nouvelles frontières au vol, ainsi que des individus à pister. Des logiciels installés en France depuis 2015 sont même capables de repérer des comportements de vols dans les rues et dans les espaces commerciaux. Ils ont donc appris à analyser un acte de vol. Ce système généralisé permettrait aux États de s'assurer d'un contrôle social. Par exemple, si des gens s'apprêtent à manifester, leur intention est identifiée avant le passage à l'acte. Ce dispositif de surveillance fait partie des multitudes de technologies que l'on peut regrouper sous le terme de contrôle social.

Le débat aujourd'hui, se situe entre la sécurité et la liberté, n'est-ce pas ?

Il y a toujours un arbitrage entre la sécurité et les libertés. Mais depuis environ 15 ans nous sommes sortis de l'État de droit, donc nous n'avons plus la législation pour encadrer cet équilibrage.

A défaut de l'Etat de droit, cet équilibrage est tributaire du bon vouloir des personnes au pouvoir quant à l'usage de ces technologies, et des possibilités qu'offrent ces technologies. Et ces possibilités sont documentées. Ces technologies sont sur un marché international, puisqu'elles sont mises en pratique dans une multitude de pays. Et certains pays ne s'embarrassent pas de concepts comme la vie privée ou les libertés individuelles. Ils ont déployé ces technologies de manière assez libérale donc cela nous renseigne sur la façon dont elles peuvent être utilisées et sur les résultats qu'elles obtiennent.

Vous pensez à des pays en particulier ?

Il y a une multitude de pays où ces technologies sont déployées. Elles reçoivent souvent l'appellation de ville intelligente. En réalité c'est une ville surveillante : elle surveille ses habitants et optimise son usage par ses habitants. Mais cette optimisation de l'usage de l'espace public par les citoyens, est un concept qui varie énormément selon la situation géographique : Amérique du Sud, Europe, Moyen-Orient. Elles se trouvent surtout de manière assumée en Amérique du Sud ou au Moyen-Orient. Là-bas, des espaces urbains sont exemptés de criminalité. Cette surveillance s'accompagne bien entendu de répression. Cela signifie zéros libertés. Mais il faut reconnaître l'importance du rôle joué par la surveillance dans ce climat sécuritaire. Au moins cette surveillance n'est pas dissimulée, elle est transparente, comme de nombreux pays et contrairement à la France, le royaume du mensonge. Nous avons les preuves depuis très longtemps que l'Etat ne respecte pas la loi pour la surveillance et qu’il met en place des outils de surveillance très sophistiqués. Ils sont d'autant plus sophistiqués que la France est un acteur en matière de création de ces technologies. Et à l'export, la France est un acteur important. Par conséquent, nous utilisons ces technologies, mais dans le plus grand secret. En France, il a fallu contrevenir à l'Etat de droit, contrairement à ces pays transparents qui n'en n'avaient pas.

En matière d'arbitrage entre liberté individuelle et sécurité, Abou Dabi est un bon exemple d'équilibre, et cela porte ses fruits sur le plan sécuritaire.

« N’ayez pas peur du QR Code, le problème est ailleurs », avez-vous affirmé sur le réseau social X. De quoi faut-il avoir peur, dans ce cas ?

Il faut vraiment avoir conscience que le code QR c'est un symbole. Oui, avec le pass vaccinal, c'est vraiment devenu un symbole. Il s'agissait en fait d'une vieille technologie dont on ne trouvait pas l'usage et qui a trouvé sa visibilité et son utilité auprès du grand public avec le pass vaccinal. Son utilisation était auparavant réduite principalement au billet SNCF pour accéder au quai.

Le QR code est donc devenu populaire avec le pass vaccinal et cela a été connoté de façon extrêmement négative. Cependant cette technologie est en quelque sorte archaïque alors c'est l'arbre qui cache la forêt. La forêt est l'ensemble de technologies de contrôle social et de surveillance qui ont été installées en dehors de tout cadre légal en France, contrairement au QR code. Et cela n'est pas un propos complotiste. C'est un propos que l’on peut vérifier à travers des investigations de Disclose, de Mediapart, ou de Reflets. Elles montrent une utilisation arbitrée depuis 15 ans par la simple possibilité qu'offre ces technologies. Les capacités de ces technologies peuvent être comprises en lisant les notices d'emploi pour comprendre ce qu'il se passe dans l'appareil sécuritaire : celui d'Abou Dabi ou de la France. Les deux utilisent les mêmes technologies, avec les mêmes usages. Simplement l'un des deux le fait illégalement.

Y a-t-il un monde dans lequel les Françaises et les Français peuvent encore échapper à ces dispositifs de contrôle ? Peut-être les refuser ou s'assurer qu'ils ne sont pas mis en œuvre ?

Qu'ils ne soient pas mis en œuvre? Non, c'est trop tard. C'est mis en œuvre depuis quinze ans et il n'y a pas de retour en arrière possible. Y échapper ? Vous avez deux possibilités : soit vous quittez le monde des technologies, ce qui revient à vivre à la campagne, sans téléphone, et sans accès internet. C'est possible mais vous serez grandement marginalisés. Soit vous comprenez de façon très fine comment ces dispositifs fonctionnent et vous réfléchissez de façon intelligente à la manière dont vous allez vous y soustraire : totalement ou en partie. Mais en totalité serait illusoire. Un Black Bloc qui se rendrait dans une manifestation, ne prendrait pas de téléphone sur lui car c'est un mouchard, par la connexion à toutes les bornes.

La simple analyse des connexions du Black Bloc ou de l'émeutier qui se déplace en ville avec son téléphone qui borne d'une antenne à l'autre au gré des déplacements, permet très aisément de le repérer avec ceux qui l'accompagnent. L'utilisation de TikTok et surtout Snapchat de la part des émeutiers était une preuve d'amateurisme total, pour échapper à la surveillance. Et pourtant il n'y a pas eu de répression. Il en va de même pour les manifestants d'ultra-droite après Crépol qui avaient tous un téléphone sur eux. Cela n'a pas manqué puisque tous les manifestants d'extrême gauche et d'ultra-droite qui ont manifesté à Crépol se sont tous fait identifiés bien avant même qu'ils aient eu l'intention de manifester. C'est bien la preuve que ce système de surveillance est parfaitement efficace. Il aurait pu arrêter chacun des émeutiers. C'est juste une question de volonté politique. Et même pas de légalité car le bornage de téléphone rentre dans un cadre légal.

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