Sanctions contre la Hongrie : la Commission européenne respecte-t-elle encore le droit de vote des peuples de l’Union ? <!-- --> | Atlantico.fr
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La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen accueille le Premier ministre hongrois Viktor Orban, avant leur rencontre à Bruxelles, le 3 février 2020.
La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen accueille le Premier ministre hongrois Viktor Orban, avant leur rencontre à Bruxelles, le 3 février 2020.
©François WALSCHAERTS / AFP

Quid en cas d’élection de Marine Le Pen ?

Après des élections marquées par la victoire de Viktor Orbán, la Commission européenne a lancé une procédure qui risque de priver la Hongrie des fonds européens pour violation avérée de l'Etat de droit. La Hongrie est la première cible de cette procédure inédite.

Benjamin Morel

Benjamin Morel

Benjamin Morel est maître de conférences en Droit public à l'Université Paris II Panthéon-Assas.

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Jean-Eric Schoettl

Jean-Eric Schoettl

Jean-Éric Schoettl est ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel entre 1997 et 2007. Il a publié La Démocratie au péril des prétoires aux éditions Gallimard, en 2022.

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Atlantico : En engageant une nouvelle procédure de sanctions contre la Hongrie, au lendemain d’élections gagnées par le parti Fidesz, la Commission européenne respecte-elle le suffrage universel ?  

Benjamin Morel : Il y a deux logiques qui s’opposent. Celle de l’Union européenne, avec sa vision de l’Etat de droit, qui n’est pas exactement celle des traités mais est liée à une interprétation très extensive de certains textes, notamment le TFUE. Et très clairement, des pays comme la Hongrie ou la Pologne n’entrent pas dans cette vision. Mais il y a une logique de construction jurisprudentielle, d’édification du droit, que l’on peut juger positive ou au contraire contester, mais qui est celle sur laquelle s’appuie la commission et sur laquelle repose le droit européen. De l’autre côté, il y a la logique démocratique. On peut certes discuter du cadre démocratique en Hongrie - on sait que peu de temps de parole a été laissé à l’opposition – mais ensuite, le choix démocratie est très clair. Et brimer ce choix démocratique au regard de l’interprétation du droit faite par les cours, c’est envoyer un signal d’opposition assez franche. On en revient à la phrase de Junker à propos de la Grèce, il ne peut y "avoir de choix démocratique contre les traités européens". Le signal envoyé à l’opinion juste après une élection est tout à fait délétère.  

Jean-Eric Schoettl : On a le droit de penser ce qu’on veut de la politique suivie par Viktor Orban en Hongrie. Les autorités de ce pays se font incontestablement de l’Etat de droit une idée assez différente de la nôtre : elles sont plus attachées aux valeurs traditionnelles, elles sont plus conservatrices en matière sociétale, elles accordent à la loi votée par les élus du peuple une place plus élevée que nous dans la hiérarchie des normes. Mais les élections et les médias y sont libres. Rien à voir avec la Russie poutinienne. Et cette politique rencontre les voeux du peuple hongrois puisque le parti Fidesz a remporté un succès éclatant aux législatives du 3 avril.

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En relançant contre la Hongrie une procédure de sanction visant à priver de fonds européens un pays où elle estime méconnu l'Etat de droit, la Commission rend inexorable le conflit entre Union européenne et souveraineté nationale. Que cherche-t-elle ? A excommunier un pays-membre parce que son peuple ratifie une politique qu’elle condamne ? A coller une étiquette infamante sur le dos de certains pays-membres alors que les drames du moment, l’invasion de l’Ukraine en particulier, devraient la pousser au contraire à souder les rangs ? N’y a-t-il pas là une manifestation d’hubris parfaitement contre-productive ? A force d’adresser des blâmes à des pays comme la Hongrie ou la Pologne, sur une base légale d’ailleurs fragile (l’Etat de droit n’est pas défini dans les traités européens), l’Union européenne finit par exaspérer leurs opinions nationales, au point de favoriser ce qu’elle prétend combattre.

L’élection de Marine Le Pen ou de Jean-Luc Mélenchon le 24 avril se heurterait–elle aux mécanismes de sauvegarde de l’Etat de droit ; notamment de la part de la Commission européenne ? 

Benjamin Morel : Les situations sont relativement différentes car le poids des deux pays au sein de l’UE n’est pas le même. On l’a vu sur d’autres sujets, quand la France ou l’Allemagne sont en position de rupture, la Commission devient beaucoup plus souple. S’il y avait une volonté de s’opposer à Marine Le Pen, cela deviendrait très politique. Si on veut comprendre la situation de Fidesz (Hongrois) ou du PiS (Polonais) il faut se souvenir qu’ils ne sont pas (plus pour le Fidez) membres du PPE, qui les au coeur névralgique des institutions. Cette rupture avec le PPE à mis en marche un processus. Marine Le Pen n’a jamais été au cœur du processus. Je ne pense pas que la Commission européenne pourrait jouer la partition de la même manière contre la France, sauf avec le soutien de Berlin. Et je doute que ce soit dans l’intérêt de l’Allemagne. S’il devait y avoir un conflit larvé au sein des institutions, avec qui plus est des élections italiennes arrivent relativement prochainement qui pourraient être marquées par une forte présence du populisme de droite, la situation deviendrait très complexe pour la commission. Politiquement la Commission sera contrainte de composer.  

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Mais pourquoi la Hongrie semble-t-elle dénoter dans le soutien unanime des Européens à l’Ukraine ?

Jean-Eric Schoettl : Après le second tour de l’élection présidentielle, il y a les législatives de juin. Les pouvoirs présidentiels se réduisent considérablement en l’absence de majorité à l’Assemblée nationale. L’échéance des législative relativise donc les engagements programmatiques. Cela est vrai pour Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon, comme pour tout autre vainqueur, y compris pour le favori des sondages. Si une majorité composite doit être négociée à l’Assemblée nationale, si un  gouvernement de coalition doit être nommé, le président devra en rabattre sur les projets du candidat. A la limite, il devra les oublier. On ne peut en effet exclure une cohabitation ab initio.

Même en faisant l’hypothèse, plus audacieuse encore, d’une élection de Marine Le Pen ou de Jean-Luc Mélenchon confortée par une majorité de députés favorables à la ligne de l’élu, la mise en œuvre du programme de ce dernier devrait composer avec divers pouvoirs, internes et externes. Sur le plan interne, il faudrait l’accord du Sénat pour toute révision constitutionnelle ; les lois seraient contrôlées par le Conseil constitutionnel ; les décrets et les actes administratifs individuels le seraient par le Conseil d’Etat. Et, bien sûr, les organes de l’Union européenne montreraient la même vigilance, pour ne pas dire la même pugnacité, à l’égard d’une France dirigée par Marine Le Pen ou par Jean-Luc Mélenchon qu’à l’égard de la Hongrie de Viktor Orban. Leurs programmes ne manquent pas de soulever des difficultés, en matière économique comme de liberté de circulation, au regard de l’impressionnant édifice du droit de l’Union (traités, règlements, directives et jurisprudence). Les organes de l'Union (Commission, Conseil, Parlement, Cour de justice) pourraient se montrer d'autant plus agressifs contre la France qu'ils seraient, n'en doutons pas, soutenus par toute une partie de l'opinion, de la société et des institutions françaises. 

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