Russie. Vers l'emploi de l'arme nucléaire ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Les prochaines semaines vont être cruciales, pas tellement en Ukraine, mais dans les rapports entretenus entre les grandes puissances. S’ils dérapent, cela peut mener à la catastrophe.
Les prochaines semaines vont être cruciales, pas tellement en Ukraine, mais dans les rapports entretenus entre les grandes puissances. S’ils dérapent, cela peut mener à la catastrophe.
©DR

Guerre en Ukraine

Le sujet fait tellement peur que les commentateurs n’en parlent qu’à demi-mot : Vladimir Poutine peut-il déclencher une guerre nucléaire ? La réponse est pourtant très simple : oui.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Interrogé par CNN le 22 mars sur la possibilité que Vladimir Poutine ait recours à l’arme nucléaire (une option qu’il avait déjà envisagé lors de l’annexion de la Crimée), Dmitri Perskov, le porte-parole du Kremlin a renvoyé vers la doctrine officielle des forces russes : « nous avons une doctrine de sécurité. Cela est public, vous pouvez y lire toutes les raisons pouvant motiver l’utilisation des armes nucléaires. Et s’il s’agit d’une menace existentielle pour notre pays, alors elles peuvent être utilisées, en accord avec notre doctrine ».

Il convient de savoir ce qu’entend le président Poutine par « menace existentielle ». Le cas d’une riposte à une première frappe ennemie par des armes nucléaires, bactériologiques ou chimiques est la plus classique sachant que cela ne peut avoir lieu. Mais s’il s’agit de l’« existence » même de la Russie qu’il peut concevoir comme dépendant de son propre destin, le seuil est alors placé beaucoup plus bas. 

Tous les jours, l’autorité de Poutine est mise à mal ; il est traité par son homologue américain de « criminel de guerre » prêt à mettre en œuvre des armes bactériologiques ou/et chimiques (il est vrai que le côté « bactériologique » en Ukraine a d’abord été mis en avant par la propagande russe parlant de laboratoires de recherche financés par les États-Unis).

Bien logiquement, l’Ukraine fait tout son possible pour essayer d’impliquer directement les pays de l’OTAN dans la guerre dont elle est la victime d’où les appels à l’aide déchirants lancés par le président Volodymyr Zelensky.

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Les pays fondamentalement anti-Russes comme les pays baltes et surtout la Pologne souhaiteraient que l’OTAN s’engage davantage.

Enfin, tous les commentateurs occidentaux va-t’en guerre s’en donnent à cœur joie dans la surenchère - et même parfois des anciens militaires qui devraient avoir conscience de ce que sont les horreurs de la guerre, surtout si elle est nucléaire -.

En réalité, ces analystes sont intimement persuadés pas que Poutine n’osera pas franchir le pas tout comme l’auteur croyait qu’il ne donnerait pas l’ordre d’envahir l’Ukraine car c’était un « homme raisonnable ». Or, cela était faux, Poutine n’est pas un « homme raisonnable » au sens cartésien du terme. Il se sent investi d’une mission « supérieure » (certains dirait « divine » mais il n’est pas croyant et se sert de la religion comme le préconisait Karl Marx : d’« opium du peuple ») destinée à remettre la Russie à son rang sur la scène internationale. L’Occident lui importe peu tant qu’il ne rencontre pas d’opposition de la part de ses gros clients, la Chine et l’Inde et de ses coffres-forts au Proche et Moyen-Orient. 

Mais s’il vient à penser que son pouvoir est vacillant du fait d’actions occidentales hostiles (et elles le sont clairement et pas seulement depuis l’invasion de l’Ukraine), ses réactions peuvent être imprévisibles et catastrophiques.

La Pologne a bien senti cela en n’acceptant pas de livrer ses avions de chasse MiG-29 directement à l’Ukraine (1). Elle a tenté d’impliquer les États-Unis en leur demandant de servir d’intermédiaires mais Washington a refusé la « patate chaude ». 

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Le seul problème, c’est que depuis, le président Joe Biden grignote la patience de Poutine en le traitant plus bas que terre, ce qui peut se justifier sur un plan moral mais pas au niveau diplomatique. Néanmoins, cela tend à prouver que Washington ne croit pas - ou pire encore, ne veut pas - que les négociations de paix aboutissent car on ne parlemente pas avec un « criminel de guerre ». 

La dernière déclaration du 21 mars du président Biden - certes à but de politique intérieure mais diffusée mondialement - faite avant la réunion trimestrielle des PDG de la « Business Roundtable » comme quoi : « il va y avoir un nouvel ordre mondial là-bas, et nous devons le diriger.  Et nous devons unir le reste du monde libre pour le faire » peut être très mal interprétée par le Kremlin (cette déclaration pourrait aussi en choquer d’autres mais les Européens ne réagiront pas).  

La rupture diplomatique n’est plus bien loin. Elle devrait commencer par celle de la Pologne qui a décidé d’expulser 45 diplomates russes accusés d’espionnage. Il est possible que cette mesure soit suivie d'une réciproque, voire pire. Il n'est pas exclu que Moscou coupe tous liens avec Varsovie. Washington a déjà expulsé douze diplomates russes accrédités auprès du siège des Nations Unies à New-York à la fin février. En réponse, douze diplomates américains vont devoir quitter la Russie dans les jours qui viennent. Il est alors envisageable que le pas suivant soit la rupture des relations diplomatiques entre la Russie et les États-Unis. À ce moment là, le monde se trouvera au bord du précipice.

Il ne faut pas imaginer que ce sera l’apocalypse générale immédiate. Il existe des phases intermédiaires - référencées dans le passé comme « tactiques » (2) - qui peuvent passer par la destruction d’un porte avion (qui présente l’avantage d’éviter au maximum les pertes collatérales) ou de bases OTAN en Pologne (là, des civils seraient obligatoirement impactés) car ce pays est jugé comme étant au centre logistique de la résistance ukrainienne.

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Quelle sera alors la réaction de Washington et de Paris, les deux seules capitales occidentales dont les dirigeants politiques ont la capacité de déclencher le feu nucléaire (l’Otan comme la Grande-Bretagne doivent auparavant demander l’autorisation à la Maison-Blanche).

Pour mémoire, il semble que toutes les précautions de dissuasion nucléaire aient été prises par la France.

Les prochaines semaines vont être cruciales, pas tellement en Ukraine où la situation militaire ne devrait pas trop évoluer, mais dans les rapports entretenus entre les grandes puissances. S’ils dérapent, cela peut mener à la catastrophe. 

(1).      La livraison de ces appareils directement à l’Ukraine aurait pu être interprétée comme un casus belli par Moscou.

(2).      L’auteur ne croit pas à une frappe en Ukraine qui n’aurait aucun intérêt tactique mais il s’est déjà trompé une fois à propos des décisions de Poutine…

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