RIP néo-libéralisme : le capitalisme anglo-saxon a totalement changé de modèle intellectuel et voilà comment<!-- --> | Atlantico.fr
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L’Eccles Building de Washington DC est le siège du Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale des États-Unis
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Changement drastique

En quelques années, le néolibéralisme à l'américaine a été bousculé par les craintes d'une augmentation de la dette et de l'inflation.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : Un article de Project syndicate estime que le néolibéralisme à l’américaine n’est plus véritablement à l’ordre du jour. Ce constat vous semble-t-il juste ? Comment se matérialisent les changements en termes de comportements économiques ?

Alexandre Delaigue : Nous avons effectivement assisté à une évolution des perceptions et des politiques publiques. La doctrine néolibérale est fondée notamment sur l'idée d'un retrait de l'Etat ; d'une gestion stricte des finances publiques ; de perspectives de réduction à long terme de l'endettement ; de politiques anti-trust orientées dans l'intérêt des consommateurs... Dans tous ces domaines, les perspectives sont aujourd'hui différentes. L'administration américaine, sur le sujet de la politique anti-trust, a par exemple l'air de s'orienter contre Facebook, ce qui aurait été peu concevable auparavant.

Du côté des finances publiques, le sujet du déficit est laissé de côté. On voit au contraire un plan de relance de l'économie aux montants extrêmement importants, avec certes une augmentation de la fiscalité sur les plus riches, mais une absence de réflexion sur les conséquences en termes de déficit public. On pourrait aussi parler de la politique commerciale : le gouvernement américain actuel a reconduit une attitude beaucoup moins bienveillante vis-à-vis du commerce avec la Chine, en maintenant des éléments de protectionnisme mis en place par Donald Trump.

Qu’est ce qui a provoqué cette évolution intellectuelle ?

Il y a eu une période, après la crise de 2008, lors de laquelle on s'est demandé « pourquoi rien ne change ? ». Il y avait de la frustration. Ce qu'on oublie, c'est que ces changements mettent du temps à arriver : il y a toujours une certaine inertie. En réalité, depuis la crise de 2008, il y a une critique assez générale de ce consensus qui a trouvé une incarnation assez nette avec Donald Trump. L'effet qu'il a eu, c'est de bousculer une série de totems. Son attitude vis à vis des déficits, alors que les Républicains étaient auparavant le parti pro-business et anti-déficits, a brisé des tabous. Les Démocrates avaient auparavant une sorte de culpabilité vis à vis des déficits. D'un seul coup, cette contrainte psychologique est disparue.

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C'est pareil pour l'attitude vis à vis des grandes entreprises. Quand le camp considéré comme « pro-business » devient le camp hostile aux entreprises de la technologie, la fenêtre d'Overton est déplacéé – c'est à dire le champ de ce qui est acceptable dans la discussion politique. A partir du moment où votre opposition tient votre discours, vous-même n'avez plus de problème à le tenir, et cela devient l'évidence.

On peut donc dire que l'évidence a changé, du fait des circonstances, et notamment du Covid : d'un seul coup, des gouvernements ont pu exercer un contrôle beaucoup plus grand sur l'activité. Cette conjonction d’éléments fait que l'atmosphère intellectuelle a beaucoup changé.



Si le néolibéralisme per se n’est plus, comment qualifier la doctrine actuellement à l’œuvre ?

Elle est difficile à définir car on ne voit pas encore son contenu positif ; on voit surtout le fait de ne plus être contre certaines choses. Les dépenses publiques entraînant du déficit, pourquoi pas ? Mais un budget équilibré, pourquoi pas non plus ? Ce qui était tabou auparavant ne l'est plus, mais on ne distingue pas clairement ce qui pourrait définir une nouvelle orientation. Les orientations qui existent actuellement ne donnent pas l'impression d'être des politiques générales. Il n'y a pas par exemple d'orientation qui consisterait à créer aux Etats-Unis un système de protection sociale plus étendue, ce qui nécessiterait une fiscalité qui ne se limite pas aux personnes qui gagnent plus de 300.000 dollars par an. 

Dans le domaine de l'anti-trust, il est possible que les actions menées actuellement se terminent comme ce qui s'est passé avec Microsoft dans les années 2000 : les entreprises savent qu'elles ont des limites et réduisent leurs abus, mais ne changent pas totalement ce qu'elles font. On a l'impression que les choses changent, mais il est difficile de voir une cristallisation sur quelque chose de net. Il n'y a pas de Green New Deal au pouvoir, par exemple. Il n'y a pas la politique d'Alexandria Ocasio-Cortez au pouvoir. Il y a une politique plus centriste, et qui reprend pas mal d'orientations de l'administration précédente. Le gouvernement de Donald Trump a fait un plan de relance de 2000 milliards de dollars et ce gouvernement prévoit un plan de relance de 1900 milliards de dollars. 

Ce qu'on peut dire, c'est que beaucoup de choses qui semblaient auparavant inconcevables sont maintenant concevables, sans que l'on sache vraiment comment tout cela va se cristalliser comme un ensemble politique.



Les changements constatés aux Etats-Unis surviennent-ils ailleurs ? Les évolutions aux Etats Unis peuvent-elles être transposables telles quelles à d’autres pays ?

Il y a des évolutions en Europe, notamment sur les attitudes concernant les déficits publics, mais c'est beaucoup plus modéré. Sur la question du libre-échange et de l'attitude vis-à-vis de pays comme la Chine, par exemple, tous les pays européens ne sont pas d'accord sur ce qu'il faudrait faire.

Des gens s'attendent à une nouvelle conjonction en Europe, avec un programme global, dans lequel on aurait une alliance entre les sociaux-démocrates allemands, Mario Draghi en Italie et Emmanuel Macron en France pour avoir une politique plus orientée vers l'industrie et moins de prédilection pour l'austérité budgétaire. Une sorte de révolution centriste à l’échelle européenne. Mais ce ne sont pour l'instant que des conjectures.

Là où le changement est important, par contre, c'est en Chine. L'attitude de Pékin vis-à-vis des entreprises est spectaculaire. Par exemple, le secteur de l'éducation privée en ligne s'est vu interdire de faire des bénéfices. L'équivalent chinois de Facebook et Amazon ont subi des degrés de réglementation tels qu'on se demande comment ils vont s'en sortir. La prise de contrôle des entreprises prend une dimension extrêmement importante. Peut-on envisager que d'ici dix ans, le gouvernement américain prenne le contrôle de Facebook et le divise en plusieurs entités ? En réalité, c'est la Chine qui a l'air pionnière dans cette volonté de réorienter autoritairement son système productif, de faire une politique industrielle forte. Depuis un an, c'est la Chine qui ressemble à un modèle. Va-t-il s'exporter, telle est la question.

Serait-ce une erreur pour la France ou l'Europe de copier ce qui se passe en Chine ou aux Etats-Unis ?

Observer les expériences étrangères, cela permet de voir ce qui se passe sans avoir à l'expérimenter soi-même. L'attitude plus décontractée vis-à-vis des déficits, ça ne peut pas être un mal pour l'Union européenne qui a toujours été dans un carcan intellectuel beaucoup plus strict que ce qui prévalait ailleurs. Malgré tout, l'Union européenne est dans une situation très différente des Etats-Unis et de la Chine. Les orientations de l'UE, en matière d'énergie ou de production agricoles, sont très radicales et s'appuient beaucoup sur la réglementation. L'UE fait aussi un certain nombre d'expériences et pourra observer si cela fonctionne ou pas.

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