Régionales : les jeux dangereux d’Emmanuel Macron avec la démocratie<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron avec le président du Comité international olympique (CIO), Thomas Bach, et du président du conseil régional de la région, PACA, Renaud Muselier, lors d'une visite du futur site olympique de voile à Marseille, en septembre 2017.
Emmanuel Macron avec le président du Comité international olympique (CIO), Thomas Bach, et du président du conseil régional de la région, PACA, Renaud Muselier, lors d'une visite du futur site olympique de voile à Marseille, en septembre 2017.
©JEAN-PAUL PELISSIER / POOL / AFP

Petits meurtres politiques entre amis

La tempête politique levée par le retrait de la liste LREM en Paca au profit de Renaud Muselier a mis en évidence la stratégie d'Emmanuel Macron qui semblait préférer sacrifier la démocratie représentative et tout espoir de clarté idéologique au profit de ses intérêts personnels. 

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlatntico : L’alliance de LREM avec Renaud Muselier en PACA est-elle le fruit d’une réelle alliance sur le fond ou d’un calcul politique visant à incarner tout le spectre politique des « modérés » ?

Christophe Boutin : On serait tenté de vous répondre « les deux », bien évidemment. Qu'il y ait un calcul politique de la part de Renaud Muselier, qui fait face, dans sa région, à la poussée du vote pour le Rassemblement national national, et esp ère ainsi bénéficier d’une claire avance au premier tour, cela ne peut être mis de côté. Cela relève d’une « politique politicienne » qu’il ne faudrait pas traiter par le mépris, car les jeux d’alliances et les stratégies qui sont mises en œuvre, caricaturées comme des combinazione, d’une part, ont toute leur place en période électorale, et, d’autre part, peuvent traduire un véritable savoir-faire politique qui n’est pas inutile une fois au pouvoir. Ajoutons que ce calcul pour « incarner les modérés » ne concerne pas uniquement Muselier, mais aussi son partenaire, LREM.

Encore faut-il ne pas confondre « centriste », « modéré », et « positionnement au-dessus des partis ». Effectivement, Emmanuel Macron s'est placé au centre de l'échiquier politique et a comme stratégie de rejeter sur les extrêmes, à droite comme à gauche, tous les opposants déclarés à sa politique. L’avantage évident de ce choix est qu’il oblige les autres partis, de droite comme de gauche, à se positionner, dans la pratique, soit en force supplétive du parti du centre, soit en alliés des extrêmes, ce qui contribue dans les deux cas à les marginaliser un peu plus, tandis qu’une alliance de l’ensemble contre le parti situé au centre est délicate ou impossible - les extrêmes, de droite et de gauche, ne peuvent s'allier contre lui. Reste que ce n’est pas parce que l’on agrège tout ce qui n’est pas « extrême » que l’on est un « modéré », et en tout cas pas ce « centriste » en lequel a voulu croire un temps François Bayrou.

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Pour parvenir au pouvoir en 2017, Emmanuel Macron a finement joué sur la lassitude des Français face aux politiques menées par la droite et la gauche, de manière alternative, depuis les années 80. Lassitude, parce que cette alternance aboutissait en fait à mettre en œuvre des politiques économico-sociales et européennes quasiment identiques, ne se différenciant que sur le sociétal, des politiques qui se refusaient à traiter les questions qui inquiétaient nos concitoyens, et plus encore depuis une quinzaine d'années, celles de l’insécurité, de l'immigration et de l'identité, les « trois I ».

À ces Français, Emmanuel Macron a proposé une politique de dépassement du clivage droite/gauche, non par sa réduction à une sorte de « plus petit dénominateur commun », ce qui est très souvent la politique des modérés installés au centre, mais par un « nouvel élan », par une réforme non seulement politique mais aussi intellectuelle, bref, pour reprendre le titre de son livre programme de 2016, par une Révolution - ce à quoi il est fort rare qu'aspirent les centristes.

Reste que ce dépassement a fait son temps : les choix faits depuis par Emmanuel Macron, consistent en fait à accélérer un certain nombre de ces dérives que rejetaient les Français, au premier rang desquelles la perte de contrôle de leur destin : qu'il s'agisse de la place faite à l’Union européenne, du démembrement du « service public à la française », de l’abandon non seulement de la monnaie, mais bientôt du budget, ou de l'obligation du « vivre ensemble », le discours « transgressif » ne l’est finalement guère et, outre qu'il n'est pas celui à tenir lors d'élections régionales, semble moins rassembleur en 2021. Ne reste finalement que son caractère le plus politicien, l'alliance avec un modéré qui se s’élèvera contre aucun des aspects de cette fuite en avant qu’est devenu le macronisme au pouvoir.

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Pour conclure sur ce point, notons que ce que fait ici Renaud Muselier avant le premier tour des élections régionales, il n'est pas dit que d’autres ne le fassent pas entre les deux tours, dans un peu plus d’un mois. Rappelons en effet qu'il y a une possibilité, d'abord, de ne pas se maintenir au second tour, alors même que l'on a dépassé le seuil des 10 % qui le permettrait, ensuite qu’il peut y avoir une recomposition entre des listes à condition d'avoir dépassé cette fois le seuil de 5 %. Et sanctionner pour avoir violé les consignes du parti Renaud Muselier semble peu compatible pour les Républicains avec le soutien qu'ils affichent à des personnalités comme Xavier Bertrand ou Valérie Pécresse, qui ont tous deux, de manière différente, plus ou moins claqué la porte.

Concernant Muselier, Castaner évoque « une liberté de ne pas se demander si un interlocuteur est de droite ou de gauche pour savoir si son idée est la bonne. » En tentant de dépolitiser les enjeux de façon saint-simonienne, le macronisme essaye-t-il d’incarner une « raison » rejetant tout ce qui ne rentrerait pas dans sa ligne comme déraisonnable ou extrême ?

Nous retrouvons ici, partiellement au moins, cette approche macronienne qui se veut un dépassement du clivage droite/gauche, la fin de la guerre des tranchées, ou Guerre froide, pour permettre d’adapter nos choix politique aux problématiques des temps nouveaux, oubliant le sectarisme. Ce que décrit Christophe Castaner de manière très juste ici, c’est le fait de ne pas avoir pas d’a priori idéologique sur celui qui énonce une proposition, pour n’examiner que la faisabilité et l'efficacité de cette dernière, sans se crisper sur les principes qui guidaient les choix de la droite ou de la gauche.

Pour faire simple – et, bien sûr, trop schématique -, les référents, les boussoles qui finissent par déterminer – et légitimer - les choix de ces deux familles politiques éraient pour la droite celle de la liberté, ou plutôt des libertés, et pour la gauche celle de l'égalité, quand elle arrivait à éviter l'égalitarisme. Emmanuel Macron se veut peut-être « en même temps » de droite et de gauche, partisan des libertés et de l'égalité, mais il entend surtout être au-dessus, et la légitimité des choix qu’il propose ne naîtrait pas alors de leur rattachement à un principe mais de leur conformité à une analyse rationnelle. C’est le règne des « sachants », et il serait hors de question d’opposer à cet usage de la raison la dictature de l’émotion. Nous sommes bien, et vous avez raison de le noter, dans ce saint-simonisme latent parfaitement décrit par Frédéric Rouvillois dans son essai intitulé Liquidation et sous-titré Emmanuel Macron et le saint-simonisme.

Est-ce tenable ? Cette approche peut d’abord facilement déboucher sur ce qu'on appelle le « règne des experts », dans lequel ces derniers prennent le pas sur les politiques, ce qui n’est jamais souhaitable en démocratie. Mais le système trouve atteint de nos jours ses limites avec la gestion de la crise sanitaire, quand le pouvoir politique, loin de se réclamer de l’appui des doctes ou de pouvoir faire appel à une raison malmenée par ses directives contradictoires, en est réduit à espérer une légitimité de ses compromissions avec des histrions du PAF ou des réseaux sociaux.

En réduisant le débat politique à une opposition « européistes/progressistes » contre « populistes/conservateurs » (pour simplifier), Emmanuel Macron ne nie-t-il pas qu’il existe d’infinies nuances possibles à l’intérieur même de ces deux camps ?

Simplification sans doute, mais notons d’abord qu’Emmanuel Macron a analysé avec beaucoup d'à propos la division majeure de la politique de notre temps, celle qui oppose effectivement les progressistes aux conservateurs - ou le progressisme au conservatisme. L'un, le conservatisme, considère en effet qu'une évolution ne peut se faire qu'à partir des bases héritées, et qu'il faut faire particulièrement attention lorsque l'on porte atteinte à ce qui a été mis en place par le temps. L'autre, le progressiste, ne veut voir que l'idéal de sa société future, et entend bien, pour lui permettre d'advenir, faire table rase de tout ce qui n'est plus dès lors qu'une série de poids morts empêchant l'arrivée du monde nouveau.

Qu'il y ait ensuite 50 nuances de progressistes ou de conservateurs, nul ne le niera : il y a par exemple des conservateurs/libéraux et des conservateurs beaucoup plus étatistes, comme il y a des progressistes qui se refusent à faire table rase de la nation, de la famille ou des différences entre les sexes, quand d’autres ne pensent qu’à la future surhumanité non seulement mondiale, mais interplanétaire, sinon intergalactique. Pourtant, au moment des choix politiques, on en revient souvent à l'essence même de l'idéologie à laquelle on adhère, car ce sont bel et bien des visions du monde différentes qui nous sont proposées, choisissant ainsi son monde autant que sa famille politique. Et dans les urnes, par adhésion ou par rejet qu’importe, on sera progressiste ou conservateur.

Si on ne peut guère reprocher à Emmanuel Macron de vouloir affaiblir ses adversaires, la façon qu’il a d'entretenir une confusion de réduire l’enjeu à un simple choix entre lui et les extrêmes n’est-il pas dangereux pour la démocratie représentative ?

Emmanuel Macron n'est pas le premier - et ne sera sans doute pas le dernier - à tenter de se placer au centre de l'échiquier politique avant d'élargir le plus loin possible son emprise, vers sa droite comme vers sa gauche, pour durer au pouvoir. Lorsque Valéry Giscard d'Estaing se proposait de rassembler Deux Français sur trois, il ne procédait pas autrement : sa droite orléaniste, après avoir court-circuité la droite bonapartiste gaulliste, à passé son septennat à faire des appels du pied, sinon à la gauche, au moins au centre-gauche. Et lorsque Nicolas Sarkozy, élu pourtant, lui, sur un programme de rupture clairement ancré à droite, offre aussitôt élu des places dans son gouvernement à des « personnalités d'ouverture », le but est le même. On n’a pourtant pas critiqué à l'époque les procédés des deux hommes au motif qu'ils auraient porté atteinte à la démocratie représentative. La sanction a d’ailleurs été la même, et très démocratique : ces ouvertures à gauche ont été perçues par leurs électorats comme des trahisons et ils n’ont pu faire un second mandat.

Quant à au discours politique qui consiste à clamer : « Moi ou le chaos ! », je ne dirai pas qu'on l’a entendu à chaque élection présidentielle depuis leur passage au suffrage universel direct, mais nous n'en sommes pas loin, et ce alors même que l'opposition n’était pas toujours incarnée par un candidat issu « des extrêmes ».

En fait, notre démocratie se nourrit du débat entre le progressisme d’Emmanuel Macron et les thèses des « extrêmes », car le discours de ces dernières ne peut plus être résumé à une nostalgie fasciste à droite et à des éruptions révolutionnaires à gauche. Elles ne peuvent pas plus être résumées à une supposée « violence » tant cette dernière peut prendre des formes diverses : l’extrême-centre macronien ne se montre ainsi pas moins violent, symboliquement et physiquement, que bien des pouvoirs étrangers qu’il qualifie d’extrémistes. Enfin, quand 58 % des Français considèrent que la situation est telle en France que l'armée pourrait intervenir de manière légitime même sans ordres gouvernementaux, nous sommes loin, très loin des seuls « extrémistes ».

Ce qui est dangereux pour la démocratie représentative, bien plus que cette opposition entre progressistes et extrémistes, c’est lorsque les représentants ne représentent plus le peuple ; lorsque l’élite fait cette « sécession » décrite par Christopher Lasch ; quand, sondage après sondage, les Français en sont réduits à affirmer qu’ils ne sont plus entendus ; quand les craintes de la population sont niées par ceux qui veulent n’y voir qu’un « sentiment ; et lorsqu’aucun des mécanismes créés par la Cinquième république pour éviter cela – les recours à la dissolution de la Chambre basse ou au référendum, donc al’rbitrage des citoyens– ne sont plus utilisés par un pouvoir autiste. Et si nous retrouvons effectivement ici des caractéristiques du pouvoir macronien, il serait difficile de nier que d’autres avant lui en usèrent ainsi.

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