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Agences de notation : comment passer de la critique à la réforme ?
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Fantasme

Rédigé par Samuel Didier et Nicolas Weill pour le grand public, "Les dessous du triple A" propose un décryptage de la finance et de l'univers opaque des agences de notation décriées par nombre de candidats à la présidentielle... (Extrait 2/2)

Samuel  Didier et Nicolas Weill

Samuel Didier et Nicolas Weill

Samuel Didier est le nom de plume d'un cadre supérieur de l'une des trois grandes agences de notation. Expert en matière de risques juridiques et politiques complexes, il y a dirigé des équipes d'analystes. Il enseigne également l'économie dans de nombreuses universités de part et d'autre de l'Atlantique.

Nicolas Weill est journaliste au Monde depuis 1995, où il est rédacteur des pages "Débats". Il collabore également au Monde des livres.

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Les multiples dégradations des notes souveraines en Europe, et en particulier celle de la France par Standard & Poor’s le 13 janvier 2012 ainsi que sa mise « sous perspective négative » par Moody’s un mois plus tard, ont pris un poids considérable dans l’opinion publique,sur fond de crise de l’Union européenne et de campagne électorale française. Les débats qui ont suivi ces annonces ont reposé la question de la légitimité des agences de notation à émettre un avis fiable sur l’état de santé d’un pays souverain alors que leur fonctionnement reste perçu comme opaque, mystérieux et générateur de fantasme de complot, ainsi que le furent en leur temps celui des sociétés secrètes des jésuites ou des francs-maçons.

Jean-Luc Mélenchon, le candidat du Front de gauche à la présidentielle française de 2012 avait tonné le 21 octobre 2011 en occupant le siège parisien de Moody’s dans le cadre d’une action « ludique » : « L’agence Moody’s annonce qu’elle prétend surveiller le peuple français ; le peuple français l’informe qu’il surveille Moody’s. » Dans une partie du discours, qu’il avait prononcé ce jour-là, le candidat reprocha en outre aux pouvoirs publics de s’interdire d’examiner les méthodes de travail de «Moody’s et compagnie».

Au-delà des spectaculaires occupations des succursales parisiennes de Standard & Poor’s ou de Moody’s, de nombreux appels se sont fait entendre pour réglementer les agences, voire substituer à leur modèle une institution d’un autre type. Ainsi, suite à l’annonce de la perte du triple A français par Standard & Poor’s, le candidat socialiste à la présidentielle François Hollande, lors de son discours du Bourget du 22 janvier 2012, a prononcé des propos assez significatifs de la manière dont les institutions financières en général, et les agences de notation en particulier, sont perçues par une partie de l’opinion, tout en écrivant le scénario possible d’une éventuelle réforme du système financier :

« Les produits financiers toxiques, a-t-il proposé, c’est-à- dire sans lien avec les nécessités de l’économie réelle, seront purement et simplement interdits. Les stockoptions seront supprimées. Et les bonus encadrés.Enfin, je proposerai une taxe sur toutes les transactions financières […] avec ceux en Europe qui voudront la mettre en oeuvre avec nous.Je proposerai aussi, si l’on veut éviter d’être jugés par des agences de notation dont nous contestons la légitimité, de mettre en place au niveau européen une agence publique de notation.»

Une agence publique européenne serait-elle l’antidote adéquat pour combler les indéniables carences qui ont été analysées tout au long de ces pages? Serait-elle le remède à la crise du modèle existant ? Dans ce cas, comment passer de la critique à la réforme ?

Dans ce qui précède, il a été souligné la nécessité de renvoyer les agences au seul modèle dont elles se réclament et qui devrait être le leur: celui des médias, celui du marché de l’opinion où, sauf dans les régimes autoritaires, prime la qualité du contenu plutôt que la prescription des institutions officielles. Il ne s’agirait ainsi pas tant de réglementer les agences que de les déréférencer de tous les textes réglementaires. Il faut insister d’ailleurs sur les effets pervers d’une partie des mesures proposées dans les diverses versions des projets de réglementation européens. Est-ce à dire qu’il convient de retourner in statu quo ante, de renvoyer les agences à l’autorégulation qui prévaut dans les médias?

Non, bien entendu. La réforme est juste lorsqu’elle s’inscrit dans une stratégie cohérente et qu’elle évite l’écueil qui consisterait à donner davantage de crédit public aux agences de notation, sous couvert d’une surveillance qui pour être tatillonne n’en serait pas plus efficace. Il faudrait cesser de penser le problème des agences comme un enjeu réglementaire, entretenant ainsi l’ambigüité qui fait des agences un prestataire de fait de la commande publique. Au contraire, il s’agit de réfléchir au moyen d’injecter de l’intelligence dans l’analyse du risque et dans le système financier.

Cet impératif impose de trouver de nouveaux paradigmes.

On l’a vu, le problème n’est pas tant le conflit d’intérêts que l’absence de conflits de perspectives. Si les agences ont si gravement failli pendant les années qui ont précédé la crise, si elles ont également échoué à prédire les problèmes de finance publique dont elles entendent à présent seulement tirer les conséquences, ce n’est pas, ou pas seulement, par congruence d’intérêts avec le monde de la finance bancaire qu’elles étaient censées critiquer, mais souvent par manque de perspective originale.

L’introduction d’une pensée contrariante dans l’univers de la finance est certainement souhaitable. Il s’agit d’un objectif d’ordre public, au même titre que l’investissement dans la recherche ou l’enseignement, tant le dérèglement du système financier aura coûté au contribuable. Est-ce à dire qu’une agence publique de notation apporterait une telle perspective? Sous certaines conditions, une institution publique indépendante du pouvoir politique, qui ne se confondrait pas avec une simple instance de régulation aussi nécessaire soit-elle, aurait un rôle vertueux à jouer. Quels pourraient être alors les contours d’une telle contre-agence?[1]


[1] Voir l’article de Samuel Didier : « Pour une contre-agence de notation », Le Monde, 17 janvier 2012.

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Extrait de Les dessous du triple A - Agences de notation : récit de l'intérieur, Éditions Omniscience (1er mars 2012)

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