Réforme des retraites : le peuple a-t-il nécessairement tort ?<!-- --> | Atlantico.fr
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©BERTRAND GUAY / AFP

Les Français dans la rue

Lundi, la réforme des retraites a été adoptée par le Parlement après le rejet des deux motions de censure déposées par le RN et Liot.

Jean Sigalla

Jean Sigalla

Jean Sigalla est expert associé au groupe de réflexion économie de l’Institut Ethique et Politique Ancien élève de Polytechnique et de l’ENSAE Paris Diplômé de Sciences Po Paris.

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Peut-être la France bientôt se trouvera-t-elle avec « la cuisine en désordre » et « la marmite renversée » comme l’écrivait pendant la Fronde Descartes à la princesse de Bohème. À qui la faute ? On peut dire pour le moins qu'on ne répondant pas à deux questions essentielles, le gouvernement s’y est mal pris. Élisabeth Borne n'est pas Anne d’Autriche.

Première question : pourquoi l’âge ?

La retraite a pour but d'améliorer la subsistance des anciens en contrepartie de sommes cotisées durant la vie. Que les cotisations soient obligatoires ou non, la retraite est pour l’essentiel une opération d'épargne : l'argent placé pendant la vie laborieuse permet une vie oisive pendant quelques années. Combien d'années ? Cela dépend de la neutralité actuarielle évoquée dans le rapport Charpin de 1999. L'équilibre d'un régime de retraite n'est possible qu'à condition que la valeur capitalisée des cotisations soit égale à la valeur actualisée des engagements. C’est presque la même chose quand la retraite se fait par répartition : il faut pour l'équilibre du système que le montant des cotisations soit égal à celui des prestations.

Que vient faire l’âge dans tout cela ? Rien. Il serait concevable pour un individu de cotiser de 20 à 40 ans, puis de prendre sa retraite de 40 à 80 ans. Cette retraite serait par la force des choses très basse, parce que vingt ans est dans la plupart des cas trop court pour se constituer un capital suffisant. Dans des cas exceptionnels néanmoins, par exemple pour les footballeurs professionnels et les actrices, une retraite prise à 40 ans ne présente pas d’inconvénients. Ce qui fait l'équilibre d'un système de retraite, c'est le montant et la durée des cotisations. L'âge n'y fait rien.

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Supposons maintenant qu'un âge minimal de départ à la retraite soit fixé. S’il est élevé, il prive arbitrairement de retraite les cotisants ayant commencé à travailler jeunes au moment précis où la valeur capitalisée de leurs cotisations rapportée aux engagements devient positive. C'est parfaitement inéquitable. La deuxième réforme Macron n'est rien d'autre qu'un lit de Procuste. Et ce n’est pas le moindre mérite du gouvernement Borne que d’avoir rallié les syndicats français à l’idée libérale que chacun doit pouvoir prendre sa retraite quand il le veut, dès lors qu'il a cotisé pour des montants et une durée suffisants.

Que veut dire « suffisant » ?

Deuxième question : que fait-on de l’argent ?

L’État manquant d’argent, il serait devenu nécessaire, nous dit-on, de retarder l’âge du départ à la retraite des Français. Dans cette affaire, le gouvernement se trouve dans la situation du chef d'entreprise qui, placé devant une difficulté, demande de l'argent à son conseil d'administration. Il est alors d’usage de préparer un dossier expliquant pourquoi l'entreprise a besoin d'argent et en quoi les sommes demandées vont résoudre le problème.

Le gouvernement n'a rien fait de ce genre. Pourquoi ne pas avoir confié à une personnalité honnête et indépendante la rédaction d'un rapport sérieux sur la question ? Ce rapport n’aurait-il pas montré que la retraite à taux plein à 64 ans rend possible une baisse, même minime, des cotisations des actifs ? N’était-il pas légitime d'en faire bénéficier en partie les cotisants français, qui sont les premiers concernés par la réforme ? Que fera le gouvernement de la manne financière que lui procurera la réforme Macron 2 si elle aboutit ?

Autre question : pourquoi, s'il manque d'argent au point de condamner quelques Français âgés à l'indigence, le gouvernement a-t-il versé depuis 2019 un milliard et demi d'euros à un fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme inconnu dans nos provinces, et un montant de 300 millions (remboursables) pour aider à la décarbonatation … de l’Afrique du Sud ? Il y a tant d’autres exemples semblables. Pourquoi le gouvernement a- t-il dépensé 2,4 milliards d’euros en prestations de conseil au cours des quatre dernières années ? Quelle entreprise sérieuse ferait une chose pareille en temps de crise ?

Comparaison n’est pas raison

Certains diront que ces questions sont oiseuses dès lors que le poids des retraites représente en France 14 % du produit intérieur brut contre en moyenne 12 % dans les pays de l'OCDE. Si les deux chiffres sont exacts, la comparaison est hélas ! trompeuse, car le régime des retraites français ne bénéficie pas comme souvent les régimes anglais, allemands ou hollandais des effets de la capitalisation. On attribue à Einstein la citation probablement apocryphe que « les intérêts composés sont la plus grande force dans tout l'univers ». Pour s'assurer d'avoir un euro dans 20 ans, il faut avoir à démographie constante, dans un régime par répartition, un euro maintenant. Dans un régime par capitalisation, 67 centimes d’euro placés à 2 % pendant 20 ans suffisent (toujours à démographie constante). On voit sur cet exemple élémentaire que pour un niveau de prestations donné, un régime de retraite par répartition réclame un niveau de cotisation plus élevé qu'un régime par capitalisation. Or, ce sont les tenants mêmes du régime par répartition qui critiquent le poids élevé des cotisations retraite dans le PIB français. Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes.

Dans Les fiancés de Manzoni, l’auteur compatit à la déraison du peuple de Milan qui gaspille le pain pendant les émeutes de la farine, à quelques mois de la grande peste de 1630. Une partie de l'opinion considère aujourd'hui que le peuple français, comme celui de Milan il y a 400 ans, s’éloigne de la raison en refusant une réforme nécessaire à l'assainissement de nos finances publiques. Manzoni, s'il était là, répondrait en petit-fils de Beccaria que le peuple n'a pas nécessairement toujours tort.

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