Record de CDI signés… et de démissions & ruptures conventionnelles : petite radioscopie du marché de l’emploi<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Il est vrai que la situation du marché du travail est positive depuis la fin des confinements.
Il est vrai que la situation du marché du travail est positive depuis la fin des confinements.
©PHILIPPE LOPEZ / AFP

Embauche

Les embauches ont dépassé les 7 millions au troisième trimestre.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

Voir la bio »

Atlantico : Cela peut sembler contre-intuitif dans un contexte troublé, mais la France a connu un nouveau record historique d'embauches au troisième trimestre : plus de 7 millions. Comment expliquer que le marché du travail se porte si bien ?

Philippe Crevel : Il est vrai que la situation du marché du travail est positive depuis la fin des confinements. On a créé un million d'emplois depuis 2019 et on a même aujourd'hui une situation où le taux de chômage est revenu à 7,6 %, soit un niveau qu'on n'avait pas connu depuis 2007. Cela peut paraître étonnant au regard de la situation économique, avec le ralentissement de la croissance, mais plusieurs facteurs expliquent ce dynamisme.

Premièrement, la période post-crise a été marquée par une forte demande avec les plans de relance européens, américains et français. Cela a boosté l'emploi. Il y a, d'autre part, la nécessité pour les entreprises de s'adapter au digital et à la transition énergétique, ce qui nécessite de créer des emplois.

Enfin, un autre facteur peut expliquer l'amélioration de la situation de l'emploi : c'est la baisse de la productivité. C'est aussi contre-intuitif : on est beaucoup moins productif depuis trois ans. Cela se traduit par le fait qu'il faut plus de main d'œuvre pour produire la même chose. On le constate, par exemple, dans le commerce, l'hébergement, la restauration, car les salariés ne veulent pas travailler le matin et le soir. Les employeurs doivent donc embaucher deux personnes au lieu d'une. Il y a également les arrêts maladie, dont la forte augmentation doit être compensée. Cela génère des emplois mais sans augmenter la production. Tant que les entreprises peuvent financer, ça va. Quant à savoir si c'est pérenne...

Un nouveau record historique de CDI a été signé : 1,3 million. C'est le sixième trimestre consécutif que ce chiffre augmente. Est-ce dû à la difficulté de recruter ?

Oui, tout à fait. Aujourd'hui, il y a une pénurie de main d’œuvre dans de nombreux secteurs d'activités. La crainte est donc de voir les bons salariés partir et dès qu'on a la possibilité d'avoir quelqu'un qui fait l'affaire, on souhaite le sécuriser à travers un CDI.

Cette augmentation des CDI est également liée au vieillissement de la population. Il y a à peu près 800 000 départs à la retraite chaque année qu'il faut remplacer. Dès qu'on a trouvé un salarié, on souhaite le sécuriser. Certaines entreprises se disent même qu'il faut anticiper : sachant que j'aurais de nombreux départs en retraite ces prochaines années, il faut que je trouve dès aujourd'hui des bons éléments à qui je vais proposer un CDI même si je n'en ai pas forcément l'usage immédiat.

Dans le même temps, il y a eu une forte augmentation des ruptures conventionnelles et des démissions. Les travailleurs sont-ils plus enclins à quitter leur entreprise en sachant qu'ils seront embauchés ailleurs ?

On n'est pas tout à fait dans le scénario de la "grande démission" américaine, dans le sens où la plupart des démissions en France sont des démissions de rotation. Cela veut dire que ce sont des salariés qui ont négocié avec une autre entreprise et qui ont donc un emploi au chaud. Ce n'est pas une volonté de se mettre en dehors du marché du travail. Cela explique à peu près deux tiers des démissions en France. Le dernier tiers concerne des démissions par convenance et dans l'attente d'une réorientation professionnelle.

Sur les ruptures conventionnelles, il y a plusieurs aspects. D'abord des personnes qui souhaitent changer de secteur d'activité, de région, et cetera, et qui négocient un départ avec leur entreprise. Il y a également ceux qui arrivent à négocier en lieu et place d'une démission. Enfin, il y a également derrière la rupture conventionnelle pour les entreprises, une gestion de personnel. Les salariés qui sont à proximité de l'âge de la retraite sont incités à faire une rupture conventionnelle car ils seront couverts par l'Assurance chômage pendant trois ans et pourront ainsi faire la soudure avec la retraite. Les entreprises continuent à réduire leurs effectifs de plus de 55 ans et la rupture conventionnelle rentre dans les possibilités offertes pour s'alléger en seniors. Ce qui ne va évidemment pas dans le sens de ce que souhaite le gouvernement.

Quelles peuvent être les solutions pour les employeurs pour limiter les démissions ? Passent-elles uniquement par des augmentations de salaires ?

Des études ont été faites, notamment par la DARES, qui indiquent que les raisons majeures de démission aujourd'hui sont la pénibilité, les conditions de travail en général, les horaires décalés, le travail le dimanche et de nuit. Le salaire arrive après. On voit que c'est une somme de facteurs qui expliquent les démissions, en particulier dans des secteurs exposés comme l'hébergement, la restauration, le bâtiment, les travaux publics, le secteur social. Ce n'est pas simplement le salaire, même si ça rentre en ligne de compte, qui explique un départ. Il faut donc jouer sur l'ensemble de ces facteurs : améliorer les conditions de travail et améliorer les rémunérations.

Cette situation particulière avec énormément d'embauches est-elle amenée à durer ?

La situation est paradoxale car il y a une faible croissance et une baisse de la productivité. En général, une baisse de productivité signifie une baisse de marges pour les entreprises et donc à terme, ce n'est pas soutenable. On pourrait donc se dire que ces embauches vont s'atténuer. Mais il faut prendre en compte le vieillissement de la population et donc un grand nombre de départs à la retraite. Il va falloir remplacer 800000 salariés chaque année alors que la population active stagne, voire va diminuer dans les prochaines années. Cela va créer des tensions. Et l'attractivité de certains secteurs d'activité est en question : le social, le bâtiment, l'hébergement et la restauration. Là, les besoins risquent de rester insatisfaits.

S'il y avait une récession dans les prochains mois, il y aurait par définition un ralentissement des créations d'emplois. En revanche, sur le risque de voir des destructions d'emplois telles qu'on a pu connaître lors des crises précédentes, je serais beaucoup plus prudent parce que nous sommes un pays tertiaire avec beaucoup de services domestiques et les besoins en termes d'emplois restent importants dans ces secteurs.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !