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Rébellion en coulisses ? Ces indices qui suggèrent que les commandes de l’Etat répondent de moins en moins à Emmanuel Macron
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Et 1, et 2, et 3-0

Un contexte de défiance semble régner au cœur de l'administration française à l'égard d'Emmanuel Macron après l'affaire Benalla et les récentes difficultés rencontrées par l'instauration du prélèvement à la source.

Jean-Marc Boyer

Jean-Marc Boyer

Jean-Marc Boyer est diplômé de Polytechnique et de l’Ecole Nationale de la Statistique et de l’Administration Economique (ENSAE). Il a commencé sa carrière en tant que commissaire contrôleur des assurances puis a occupé différentes fonctions à l’Inspection Générale des Finances (IGF), à la Commission de Contrôle des Assurances et à la direction du Trésor. Il est cofondateur de GLM et de la Gazette de l’Assurance.

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Quelques semaines après l'affaire Benalla qui avait pu laisser entrevoir une réaction de l'administration contre Emmanuel Macron, les rebondissements dans la mise en place du prélèvement à la source - notamment la note émanant de la direction des finances publiques privant Emmanuel Macron de la possibilité d'invoquer un bug informatique - semblent aller dans le même sens. Serait-on en train d'assister à un contexte de défiance de l'administration face à Emmanuel Macron ? Quels seraient les principales administrations concernées, quels en seraient les autres signes ?

Jean-Marc Boyer : Bercy est une forteresse, qui échappe même à ses anciens ministres. E. Macron ne peut plaider ni de découvrir les difficultés techniques, ni les implications politiques du prélèvement à la source. Il a décidé la date -supposée- de bascule en connaissant les multiples écueils de ce vieux projet. Que ce soit en cas de maintien, de report ou d’abandon, E. Macron sera obligé de choisir entre plusieurs maux. 
Il s’appuie sur G. Darmanin, ancien opposant au prélèvement à la source, qui a affirmé que tout était fin prêt, puis qu’un arrêt est possible. Ce dernier se repose sur la DGFiP, qui a beaucoup à perdre en termes d’effectifs en cas de mise en œuvre de la réforme, qu’elle a intérêt à torpiller en conséquence.
Plus généralement, l’ensemble des ministères est potentiellement concerné. L’autoritarisme élyséen a pu agacer au ministère de l’Intérieur concernant A. Benalla, ou auparavant les Armées concernant leur budget. La « transformation » prônée par E. Macron remet en cause les prérogatives et les prébendes de l’administration. Les ministères du champ social sont particulièrement visés par le programme présidentiel. Le ministère de la Transition Ecologique et des Transports est également en tension. La nomination par E. Macron de son hagiographe P. Besson comme Consul n’a guère plu au Quai d’Orsay.
Le signe le plus patent de la résistance de l’administration est la faible réduction des effectifs des fonctions publiques. Le rapport Cap 2022, pourtant plus modeste que les promesses d’E. Macron, n’a même pas été diffusé. Finalement, le Projet de Loi de Finances pourrait ne viser que 4 500 des 120 000 réductions de poste promises.
Eric Verhaeghe : Il est assez impressionnant, dans tous les cas, de voir la divergence complète dans les prises de position publique entre la présidence de la République et la haute administration. On en ressort sidéré! Les hauts fonctionnaires sont en effet tenus à des obligations de réserve et de discrétion. Autrement dit, ils ne sont pas autorisés à communiquer de leur propre chef des informations sur la vie de leur administration. Et là, nous assistons à une guerre de communiqués qui oppose l'administration et le pouvoir exécutif. C'est une situation inouïe, me semble-t-il, dans la Cinquième République, qui est par nature inquiétante. Elle indique en effet que la machine administrative n'est plus sous contrôle, ou qu'elle l'est encore moins qu'avant. On notera, et vous faites bien de poser la question, que deux administrations sont au cœur du cyclone. La première, c'est la police, sur laquelle Gérard Collomb semble avoir perdu toute autorité. Ce discrédit est apparu au grand pouvoir lors de sa pathétique prestation devant l'Assemblée Nationale au moment de l'affaire Benalla, cet été. On a vu un ministre de l'Intérieur qui n'assumait rien de ce qui se passait dans son département ministériel, et qui paraissait dépassé par sa tâche. Mais la résistance vient aussi de Bercy, et singulièrement de l'administration fiscale regroupée dans la fameuse direction des finances publiques. Cet Etat dans l'Etat semble faire sécession aujourd'hui. Il se murmure d'ailleurs que cette direction a refusé en bloc les suppressions d'emplois prévues (et promises par Macron). Il est plausible que Gérald Darmanin soit dominé par ses troupes et joue plus la carte de son administration que celle de l'exécutif. Bref, la machine n'obéit plus. 

Quelles sont les causes envisageables d'un tel contexte de défiance ? Quelles sont les actions d'Emmanuel Macron qui pourraient être à l'origine de la situation ? En quoi ce contexte s'approche-t-il ou diffère-t-il de précédents du même type ?

Jean-Marc Boyer : Un point commun se dessine avec les précédentes tentatives de réforme du pays par d’autres Inspecteurs des Finances. Aucune n’a tenu plus de 2 ou 3 ans, que ce soit J.J. Chaban-Delmas et sa nouvelle société, l’ouverture de V. Giscard d’Estaing avec J. Chirac, ou M. Rocard et sa nouvelle gauche libérale.
La spécificité majeure d’E. Macron est son socle électoral. Il a été financé par la France d’en-haut, avec le soutien de quelques réseaux et des ralliés de circonstance. Sa « timocratie » n’est soutenue ni par le Sénat, ni par la majorité des élus locaux, et ni surtout par l’essentiel des syndicats. C’est sur ce dernier point que réside la faille. Les syndicats font fuiter leur exaspération face à la verticalité des décisions. 
On sait depuis longtemps que Turgot, contrôleur général des finances de Louis XVI, avait également échoué à réformer, faute de soutien des castes de l’époque.
Eric Verhaeghe : Il est frappant de voir que la police nationale comme l'administration fiscale peu ou prou visés par des projets de réorganisation et soumis à des exigences de changement. Dans les deux cas, on sait que ces deux univers sont fortement impactés par les évolutions externes. Dans le cas de la police nationale, la vague terroriste et la montée de la violence quotidienne obligent à envisager le métier autrement, et l'organisation des services aussi. On notera au passage que le Président a décidé de s'emparer lui-même de la coordination de la lutte anti-terroriste en créant une cellule spécifique à l'Elysée. On ne peut exclure que cette décision de "recentrer" l'action publique au plus proche du pouvoir ait suscité des réactions violentes, ou en tout cas déterminées, au sein des services. Dans le cas de l'administration fiscale, d'importantes suppressions d'emploi étaient supposées intervenir après la mise en place du prélèvement à la source. Dans la pratique, la haute fonction publique semble avoir convaincu le gouvernement de surseoir à ces suppressions tout en mettant en œuvre le prélèvement à la source. Cette orientation est d'autant plus aberrante qu'au cœur de l'été, le gouvernement a annoncé que les URSSAF reprendraient une partie des fonctions dévolues aux entreprises dans le cadre de la réforme. Autrement dit, le prélèvement à la source consiste, in fine, à confier aux URSSAF ce que l'administration fiscale faisait. Manifestement, la réforme de l'Etat suscite donc, chaque fois qu'elle prend de l'ampleur, des réactions "réfractaires" de la part de la technostructure, mais aussi des réactions opportunistes. L'administration fiscale évite ses suppressions d'emplois. La police devrait bénéficier de 2.000 créations de poste. A quelque chose malheur est bon.

Quelles pourraient être les conséquences d'une telle situation si celle-ci venait à perdurer ? Aussi bien pour les administrations que pour Emmanuel Macron lui-même ?

Jean-Marc Boyer : L’enjeu principal est, sinon l’arrêt, du moins la procrastination dans les prochaines réformes. La seule structurante du programme est celle des retraites. Si E. Macron recule ou si l’on constate des « bugs » sur le prélèvement à la source, comment pourrait-il avancer sur un big bang des retraites, autrement plus complexe, avec 42 régimes à transformer? Il s’agit là en outre de sources de financement du paritarisme hexagonal. Or, il faudra un minimum de soutien des syndicats, qu’il a attaqués sur les réformes du travail, du ferroviaire, du chômage, et de l’apprentissage. 
Les projets sont retardés, comme la loi Pacte, la réforme constitutionnelle, les baisses des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires. La réforme des retraites pourrait finir par un biseau sur une longue période, rendant inopérante la transformation de nos pensions. 
En conséquence, les administrations pourraient perdre de leur crédit, ainsi que l’actuel Président. Les électeurs risquent de penser qu’ils ont voté pour une équipe jeune, mais adepte des pratiques de l’ancien monde. La volonté de transformer réellement la société pourrait alors passer par un renforcement des votes populistes. 
Eric Verhaeghe : La situation est quand même inédite et, de mon point de vue, elle est dangereuse pour la démocratie libérale. La règle démocratique veut en effet que les fonctionnaires, qui sont nommés et non élus, obéissent aux élus du peuple. Sinon on sombre dans la technocratie ce qui, en France, reviendrait au régime antérieur à 1789. Les hauts fonctionnaires endossent volontiers le rôle de la haute noblesse sous l'Ancien Régime. Dès lors que cette noblesse n'obéit aux représentants du peuple, elle se comporte comme un gouvernement profond et la démocratie devient illibérale. Il est donc urgent qu'Emmanuel Macron réaffirme son autorité sur la fonction publique, et qu'il prononce la dissolution des ligues qui se mettent en place. Sans ce sursaut, la France s'expose au pire, à l'ingouvernabilité. Au train où nous allons, la fonction publique va torpiller toutes les réformes et va faire financer par le secteur privé, par les forces vives du pays, tout l'effort de redressement. Cette stratégie de déport constitue une menace massive pour la prospérité collective, car elle conduira à maintenir une pression fiscale élevée pour une qualité de service très médiocre. Elle sera aussi productrice de déséquilibres politiques dangereux. Il est vital de préserver le sentiment que les fonctionnaires aussi font des efforts, sans quoi des comportements de rupture pourraient survenir dans le secteur privé. 

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