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Raqqa libérée : nouveaux problèmes en vue après la chute de l’Etat islamique
©Reuters

Conflit à l'afghane

Le symbole qu'on tente de faire de la "chute" de Raqqa occulte la réalité du terrain. L'Etat islamique, s'il n'a plus de grandes villes-forteresses, reste bel et bien vivant.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Depuis lundi, les communiqués de victoire font la une de toute la presse : Raqqa la "capitale" du "Califat islamique" est tombée après quatre mois de combats. La fin de Daech est proche.

Comme d’habitude, les choses sont beaucoup plus compliquées. Certes, l’ "Etat" islamique n’existe plus en tant qu’entité territoriale avec une organisation administrative de type stalinien.

De plus, Daech va avoir deux problèmes majeurs à affronter : les "impôts" ponctionnés sur les populations qu’il contrôlait ne vont plus rentrer ce qui va représenter un manque à gagner important. Plus grave encore, son prestige à l’extérieur va être sérieusement écorné ce qui pourrait diminuer le nombre de volontaires voulant le rejoindre.

Cela dit, Daech s’était préparé depuis de nombreux mois à la perte des villes de son "Califat". Il l’avait même annoncé officiellement en prônant un « retour au désert » en référence à la fuite en 622 AC de Mahomet vers l’oasis de Yathrib (devenu Médine). C’est à partir de ce moment là qu’il a proclamé le djihad guerrier qui est la base idéologique du salafisme-djihadiste d’aujourd’hui. Telle une boule de mercure qui tombe sur le sol, Daech va exploser en une multitude de gouttelettes (cellules) qui vont se répandre un peu partout sur le théâtre syro-irakien et ailleurs. De plus, Al-Baghdadi peut toujours compter sur ses wilayas extérieures en Libye, au Sahel, au Nigeria, au Sinaï, au Yémen, en Extrême-Orient, dans le Caucase, etc. Et c’est sans compter les nombreux adeptes de l’idéologie salafiste-djihadiste de par le monde qui vont passer d’une posture conquérante à une attitude "victimaire" tout aussi redoutable. A savoir qu’ils vont tenter de venger l’affront causé par l’agression des "juifs", des "chrétiens" et des "apostats" contre l’islam "réel" (en fait, l’idée qu’ils s’en font). Techniquement parlant, le front syro-irakien va s’afghaniser. Le temps des batailles de type conventionnel est terminé. C’est un retour aux actions de guérilla, de harcèlements, d’attentats dans les grandes villes, etc. Déjà, des zones dites sécurisées en Syrie et en Irak sont ré-infiltrées par des groupes clandestins qui disent appartenir à Daech. Les fonds vont continuer à rentrer grâce aux nombreux trafics auquel les djihadistes se livrent déjà en liaison avec le crime organisé.

En ce qui concerne les combattants étrangers (les mouhajirouns) qui n’ont pas été neutralisés, ils vont passer dans d’autres régions encore tenues par Daech : celle de Deir ez-Zor dans l’Est de la Syrie qui jouxte la province irakienne d’Al-Anbar. Là, ils vont poursuivre la guerre. Certains parviendront peut-être à s’exfiltrer bien que Daech les oblige à rester sur place car il a toujours besoin de combattants et les renforts se font rares. Il leur est aussi difficile de fuir puisque le front syro-irakien est bouclé par les pays voisins. De nombreux fuyards se font d’ailleurs arrêter alors qu’ils tentent de passer en Turquie qui se fait un devoir de les renvoyer vers leurs pays d’origine.

Arrivés à destination, ils sont majoritairement incarcérés en attente de jugement. Là, aucune solution satisfaisante n’a pu être trouvée particulièrement en raison de la surpopulation carcérale qui empêche leur mise à l’isolement. Leur statut d’anciens djihadistes leur permet de devenir des vecteurs de radicalisation particulièrement attractifs pour leurs co-détenus. De toutes façons, ils sortiront un jour de prison (les premières peines n’excèdent pas dix années de prison, plus généralement huit, ce qui veut dire qu’ils seront libres à partir des années 2020), sans doute encore plus dangereux qu’auparavant leur "haine" de la société ocidentale ayant macéré en prison. Quant aux programmes de déradicalisation, il ne faut pas se faire d’illusions, ils ne fonctionnent pas sur ces fanatiques. Seules des personnes qui sont en phase de doute ou très jeunes (les enfants qui reviennent du front syro-irakien) peuvent éventuellement être « récupérées », mais par des actions de prévention et d’accompagnement.

Daech n’est donc pas vaincu avec la prise de Raqqa. Comme un cancer, il mute. De plus, il ne faut pas oublier toutes les populations sunnites qui sont le creuset de nouvelles recrues si l’"après" n’est pas géré correctement. Les gouvernements syrien et irakien - chiites - ne semblent pas être en mesure de regagner la confiance de ces populations. De plus le travail de reconstruction des villes reconquises est immense et leurs habitants devraient vivre dans des camps de toile durant des années avant de pouvoir revenir dans des habitations reconstruites. Toutes les conditions sont réunies pour que le salafisme-djihadisme "révolutionnaire" prospère de nouveau.

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