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Et maintenant un rapprochement États-Unis / Russie : l’Europe face à un nouveau destin ?
©MARK WILSON / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Nouveau monde

La visite à Moscou de John Bolton, conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, n'est pas anodine. Elle pourrait précéder une éventuelle rencontre entre le président américain et son homologue russe, Vladimir Poutine, que Donald Trump aimerait voir réintégrer le G7.

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane est spécialiste des questions de défense.

Il est également maître de conférences à Science-Po Paris. 

Il est l'auteur de Questions internationales en fiches (Ellipses, 2021 (quatrième édition)) et de Premiers pas en géopolitique (Ellipses, 2012). il est également l'auteur de Théories des relations internationales (Ellipses, février 2016). Il participe au blog Eurasia Prospective.

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Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier est docteur en géopolitique, professeur agrégé d'Histoire-Géographie, et chercheur à l'Institut français de Géopolitique (Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis).

Il est membre de l'Institut Thomas More.

Jean-Sylvestre Mongrenier a co-écrit, avec Françoise Thom, Géopolitique de la Russie (Puf, 2016). 

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Atlantico : John Bolton, conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, est attendu à Moscou au cours de la semaine prochaine, après avoir visité le Royaume-Uni et l'Italie, dans le cadre de l'organisation éventuelle d'une prochaine rencontre entre Vladimir Poutine et Donald Trump. Après les déclarations du président américain au début du mois de juin, souhaitant voir la Russie réintégrer le G7, comment analyser les enjeux d'une telle rencontre, notamment du point de vue des Européens ? 

Jean-Sylvestre Mongrenier : De prime abord, la proposition de Donald Trump d’inviter la Russie à rejoindre le G-7, à la veille d’un sommet dont on savait qu’il serait difficile, pourrait être interprétée d’autant plus comme une provocation à l’encontre des autres chefs d’Etat et de gouvernement qu’il savait le nouveau premier ministre italien a priori favorable à une telle proposition. C’était une tentative de diviser les six autres pays membres du G-7, plus particulièrement les Européens. Sans grande attention d’ailleurs pour Theresa May qui ne peut plus sérieusement voir dans la solidarité de l’« archipel anglo-saxon » une véritable alternative à l’Europe. Paradoxalement, on ne peut décidément affirmer que Donald Trump favorise la tâche des « Brexiters » : le président américain active des forces de dissociation en Europe, sans que Londres ou tout autre prétendant au grand départ puisse attendre de lui une quelconque clémence en matière commerciale. Très probablement, la proposition à brûle-pourpoint de créer une zone libre-échange intégral entre les pays du G-7 était de la même eau. Mais c’est une autre question.

Revenons au G-7. Il a été conçu pour pratiquer une diplomatie de club, entre les principales « démocraties de marché ». S’il était question d’en faire une arène internationale, en invitant un pays avec lequel nous sommes en conflit, un tel « format » n’aurait plus de sens (ce ne serait plus un club). Outre les relations bilatérales, il existe d’autres enceintes au sein desquelles Russes et Occidentaux peuvent traiter de ce qui les oppose : les relations diplomatiques ne sont pas rompues.Si Donald Trump voulait véritablement rénover le G-7, peut-être faudrait-il plutôt regarder du côté de l’Inde, un Etat-civilisation qui constitue la plus grande démocratie du monde (au regard du critère démographique). Située sur la ligne de faille entre Orient et Occident, une Turquie qui emprunterait une autre voie que celle de l’autoritarisme constituerait, elle aussi, un candidat honorable au G-7 (nous n’en sommes pas à ce stade). D’ores et déjà, la Turquie appartient à l’OTAN et elle est membre d’une union douanière avec l’Union européenne (UE). Un partenariat géopolitique turco-européen et l’entrée dans le G-7 seraient autrement plus bénéfiques à la Turquie qu’une improbable entrée dans l’UE.  

Au-delà des remous provoqués par le G-7, il importe de comprendre la vision que Donald Trump a de la Russie. Il est vrai que, lors de sa campagne électorale, le candidat Trump, à plusieurs reprises, a dressé l’éloge de Vladimir Poutine. De nombreux observateurs et analystes de la politique américaine insistent sur sa prédilection pour les « hommes forts » (i.e. des despotes et autres tyrans), ce qui renvoie possiblement à une dimension de sa personnalité. Au vrai, on peut penser que bien des hommes de pouvoir, de par leur nature profonde, développent de tels tropismes, mais ils prennent soin de le dissimuler en respectant les formes. Pourtant, ce n’est pas seulement une question d’ego et de goût de la provocation du président américain. Il semble convaincu de la nécessité d’un « Nixon in reverse » : défaire l’entente avec la République populaire de Chine (RPC) et désolidariser Moscou de Pékin. Un tel projet néglige les objectifs propres de Moscou et les représentations dans lesquelles ils s’inscrivent. La volonté de revanche et le révisionnisme géopolitique des dirigeants russes ne peuvent être transmutés à coups de claques dans le dos et de propos flatteurs. En Europe, un tel sommet convoque d’emblée le spectre de Yalta. Pourtant, les rapports resserrés entre les Etats-Unis et la Pologne, l’active politique américaine sur l’axe Baltique-mer Noire et les sanctions additionnelles prises par Washington à l’encontre de la Russie ne vont pas en ce sens.

Guillaume Lagane : Il me semble qu’une telle rencontre s’explique d’abord par la personnalité de Donald Trump, qui est un homme très attaché au contact personnel avec les dirigeants de la planète. Cela vient de son passé de promoteur immobilier à New York où il privilégiait la confiance établie entre deux entrepreneurs pour monter un projet. 

C’est la raison pour laquelle, lors de la rencontre nord-coréenne, il a vraiment considéré que la rencontre avec Kim Jung-un était un tournant dans le conflit. Il est convaincu que ce type de rencontre peut permettre de régler des problèmes que l’administration et les diplomates ne parviennent pas à résoudre. Je précise que depuis son élection, Donald Trump n’a rencontré Vladimir Poutine qu’une seule fois, et donc qu’il n’a pas encore établi cette relation interpersonnelle avec lui qu’il affectionne. Je m’empresse d’ajouter que c’est son point de vue, et qu’il n’est pas certain que le contact interpersonnel suffise à régler des problèmes qui sont souvent complexes et très anciens. Du point de vue des Européens, il y a effectivement une inquiétude ; ils ont pu observer lors du G7 de Charlebois que Donald Trump appelait à un retour de la Russie dans le groupe. La question pour les Européens est : quelle type de relation Donald Trump compte-t-il établir avec Vladimir Poutine ? Et n’y a-t-il pas un risque qu’il prenne des initiatives et fasse des concessions - je pense au cas de l’Ukraine - sans en référer et à ses alliés.

  1. Alors que les tensions entre Europe et Etats-Unis ont pu se renforcer au cours de ces dernières semaines, sur fond de risque de guerre commerciale et de critiques américaines relatives au financement de l'Otan par ses membres, notamment l'Allemagne, quels sont les risques de voir se détériorer les relations entre Paris, Berlin et Washington, au travers de la question russe ? En quoi les positions de Berlin et Paris pourraient diverger ?

Jean-Sylvestre Mongrenier : Il est vrai que la conjoncture n’est pas heureuse. A tout le moins, il faut espérer qu’un tel sommet n’intervienne qu’après celui de l’OTAN, les 11 et12 juillet 2018, et la réception de Donald Trump au Royaume-Uni, le 13 juillet suivant. Si le sommet se tient comme indiqué à Vienne, cela lui donnera une coloration « guerre froide ». Rappelons que la capitale de l’Autriche était à l’époque un des pivots de la diplomatie Est-Ouest. Sur ce plan, elledemeure une importante place (voir le siège de l’OSCE, installé dans la Hofburg) et une capitale de l’espionnage ; Vienne abrite également le siège de l’AIEA et celui de l’OPEP. Par ailleurs, John Bolton, qui passera par Londres et Rome avant de se rendre à Moscou, est un « faucon » formé à l’époque de la Guerre Froide. C’est un nationaliste-unilatéraliste guère porté aux conciliabules entre alliés, mais il n’est pas l’homme d’un quelconque parti pro-russe. Certes, il est au service du Président des Etats-Unis et le déroulement du sommet de Singapour, le 12 juin dernier, n’était pas conforme à ses attentes et espérances politico-stratégiques ; il a avalé des couleuvres (encore que l’on ne sait pas comment l’affaire va tourner).Son concurrent, le secrétaire d’Etat Mike Pompeo, serait en position de force au sein de l’équipe Trump, mais il n’estcertainement pas non plus un « moscoutaire ». D’une manière générale, l’establishment diplomatique et militaire américain est sur une ligne de fermeté à l’encontre de la Russie. Il en est de même du Congrès. N’imaginons pas Donald Trump comme une sorte d’« Idi Amin Dada » imposant sa volonté à l’Amérique entière.

Quant aux différends transatlantiques, la longue histoire des relations interalliées invite à les relativiser, d’autant qu’il ne faut pas mettre sur le même plan des désaccords commerciaux et des questions politico-stratégiques. Quand on se reporte en arrière, les conflits commerciaux entre les deux rives l’Atlantique Nord sont nombreux. Dans les années 1960, les Administrations américaines s’en prenaient à la préférence communautaire de la CEE et instauraient des mesures afin de limiter le déficit de la balance des paiements des Etats-Unis. In fine, ces déficits et la crise du dollar ont conduit au « coup d’Etat monétaire » de Richard Nixon : la suspension de la convertibilité-or du dollar et l’instauration d’une surtaxe de 10 % sur les importations (15 août 1971). Si la surtaxe a été levée, moyennant l’ouverture du Tokyo Round (1973), l’or a été définitivement démonétisé à l’issue d’un G-7 (Accords de Kingston, 1976). Il faut imaginer le tollé que ces décisions ont alors soulevé ainsi que le doute généré dans l’esprit des Européens de l’Ouest. Relisons à ce propos l’ouvrage de Raymond Aron sur la « République impériale » (1973). Il est vrai qu’à cette époque, la menace massive et immédiate contenait les ferments de dispersion : le politico-stratégique primait sur l’économie et le commerce (voir la réponse à la troisième question). 

Dans cette conjoncture difficile, il importe que Paris et Berlin agissent de concert, la stabilité de l’Europe dépendant en grande partie de l’entente entre les deux capitales. Apparemment, la crainte française d’un nouveau « Rapallo » (l’entente germano-russe de 1922) et, symétriquement, la crainte allemande d’une alliance de revers (l’alliance franco-russe de 1893) sont dépassées. Les deux capitales sont conscientes des risques et menaces générés par le révisionnisme géopolitique russe. Au-delà des rapports franco-allemands, le cas britannique est à envisager. Les aspects économiques et industriels du Brexit ne sauraient prévaloir sur l’importance des relations politiques, stratégiques et militaires avec Londres. Le Royaume-Uni demeure une puissance de premier plan et il ne peut se transplanter sur une autre plaque géologique : un axe politico-stratégique solidarisant Paris, Berlin et Londres est nécessaire. Il est également important de « garder » la Pologne. Sous un certain angle, le plus inquiétant réside peut-être dans le « narratif » d’Angela Merkel et d’Emmanuel Macron sur l’« ordre international libéral », censé régner depuis 1945. Ce discours ne correspond pas à la réalité historique. Si les règles de juste conduite, le droit international et les instances multilatérales permettent de civiliser les rapports de force, ils n’ont pas arraché les racines du phénomène politique : les divergences entre les fins poursuivies par les hommes et les collectivités qu’ils forment, l’hostilité qui en résulte, les rapports de puissance. Réifier ainsi l’« ordre international libéral », quitte à rompre en visière avec de proches alliés et partenaires s’ils ne se conforment pas à cette représentation idéalisée du réel, pourrait conduite à de graves déconvenues.

Guillaume Lagane : Il est évident qu’aujourd’hui plusieurs dossiers opposent l’Amérique aux Européens. Il y a évidemment la question de l’excédent commercial des Européens sur les Etats-Unis, qui concerne principalement l’Allemagne, et la question du financement des dépenses militaires et là aussi, c’est l’Allemagne qui est au centre des critiques adressées par Donald Trump, puisqu’elle est encore très loin d’atteindre les 2% du PIB requis pour tous les membres de l’OTAN. L’Allemagne va bien entendu annoncer lors du prochain sommet de l’OTAN qu’elle compte faire des efforts, mais elle ne pourra pas afficher comme certains pays de l’Europe de l’Est des budgets à 2% du PIB. La question est donc de savoir si Donald Trump pourrait continuer ses critiques envers les Européens et entamer une réconciliation avec la Russie. Il faut rappeler que dès son élection, il a affirmé son souhait de voir les relations avec la Russie s’apaiser et continue d’avoir un discours assez ouvert et ambigu. Mais en pratique il a aussi pris des sanctions vis-à-vis de la Russie dans le cadre de l’affaire ukrainienne. Il a expulsé des diplomates russes après l’affaire  Skripal et puis en Syrie a maintenu une position de force puisque tout en annonçant qu’il allait se retirer, il a maintenu des troupes américaines dans le nord du pays et lorsque des escarmouches ont eu lieu entre Russes et Américains, n’a pas hésité à employer la force. Il ne faut pas oublier les deux bombardements, bien entendu, sur les capacités syriennes chimiques que les Américains ont réalisé en 2017 et 2018.

  1. Sur le plus long terme, et alors que la "grande stratégie" de Barack Obama pouvait déjà être perçue comme un début d'un désengagement américain, une promesse également faite par Donald Trump à ses électeurs, comment analyser le futur de la relation entre Européens et Russie dans un tel schéma ? 

Jean-Sylvestre Mongrenier : La question consiste à savoir s’il y a eu effectivement un désengagement américain depuis l’Europe. Le discours de Barack Obama sur le « pivot » vers l’Asie-Pacifique a trop souvent été l’objet d’une interprétation littérale. L’OTAN est en place, les troupes américaines sont toujours en Europe et la défense antimissile, qui assure l’indivisibilité de la sécurité transatlantique, est en cours de déploiement. Conformément au « paradoxe des conséquences », l’action russe menée en Ukraine aura plutôt contrarié la perte d’intérêt des Etats-Unis pour l’Europe. En fait, ce relatif désintérêt s’expliquait surtout par la croyance selon laquelle la situation d’ensemble en Europe était stable. Les vertus de l’UE, censée pouvoir agir comme un acteur géostratégique après le traité de Lisbonne, ont été un bref temps surestimées de l’autre côté de l’Atlantique. Inversement, le révisionnisme géopolitique des dirigeants russes, leur volonté de revanche et leur capacité à exploiter toutes les opportunités ont été sous-estimés. Après le rattachement manu militari de la Crimée et le déclenchement d’une guerre hybride au Donbass, les Etats-Unis ont redéployé des forces sur l’axe Baltique-mer Noire. Présentement, les divisions à l’égard de la Russie ne sont pas flagrantes. Autrement plus inquiétant est le fossé sur la question iranienne et l’évolution du Moyen-Orient. Il doit être comblé.

Il est vrai que les propos récurrents de Donald Trump soulèvent bien des questions. Si, en l’état des choses, les Etats-Unis remplissent leurs engagements politico-militaires, le discernement consiste à voir l’infiniment petit, afin d’anticiper les événements et de prévoir le pire. Un repli pur et simple des Etats-Unis sur leur base nord-américaine reste difficilement concevable, car ce serait une erreur stratégique gravissime, au regard des intérêts de sécurité et de puissance de ce pays. Il est vrai cependant que les perceptions distordues et les fausses représentations du monde appartiennent à l’équation stratégique : elles expliquent les erreurs monumentales qui peuvent être commises (souvenons-nous de la déroute du wilsonisme après la Première Guerre mondiale). Sur ce point, force est de constater que l’imaginaire de Donald Trump est plus proche de l’America First Committee que du White Committee (en faveur de l’aide aux Français et aux Britanniques en 1940). S’agit-il de la part du président américain d’une technique de négociation afin de recomposer l’alliance occidentale sur des bases plus favorables aux Etats-Unis ? Au minimum, le temps des fallacieux « dividendes de la paix » est clos : il faut réarmer. Le « partage du fardeau » et le rééquilibrage des relations politico-stratégiques entre Européens et Américains contribueront à la perpétuation de l’OTAN. Si cela ne suffit pas, au moins disposerons-nous de moyens plus importants pour assurer indépendance politique et autonomie stratégique : « as simple as that ! ».

Dans l’hypothétique perspective d’une dissolution de l’Alliance atlantique, la formation d’un pôle militaire européen serait une tâche immédiate. D’une certaine façon, cela est déjà amorcé, mais reste limité. La Coopération structurée permanente instituée en décembre 2017 constitue une « Europe des capacités » (mutualisation de moyens financiers et de programmes d’équipement afin de générer davantage de capacités militaires en Europe). Le scénario du pire consisterait en la désintégration pure et simple et la fragmentation de l’Europe. Très vite, n’en doutons pas, l’« internationale des nationalistes » que nous font miroiter les démagogues se révèlerait être une illusion. Nous reviendrions à des jeux d’alliances et de contre-alliances entre les différents pays européens, pour le plus grand profit de la Russie qui verrait automatiquement sa puissance relative s’accroître. Dans un tel contexte, Moscou disposerait d’une grande latitude d’action pour conduire son programme géopolitique révisionniste, remettre en cause les frontières et la souveraineté de ses voisins, s’imposer comme puissance dominante et réduire l’Europe proprement dite à une petite péninsule de l’Asie. A un moment ou un autre, nous en arriverions à une grande guerre qui mettrait fin à la « longue paix » qui prévaut depuis 1945. Telle serait la réalité de la « Grande Europe, de Lisbonne à Vladivostok », prônée par Moscou.

Pour conclure, une telle anticipation du futur, si elle excite certains esprits en quête d’émotions fortes, fait ressortir l’importance de l’unité européenne et occidentale. Encore est-il essentiel de ne pas se perdre dans un discours invocatoire au sujet du multilatéralisme et de tenir compte d’un certain nombre de réalités. Sur le plan des budgets militaires ou celui du commerce, toutes les récriminations de Donald Trump ne sont pas irrecevables. Par exemple, l’accumulation des excédents commerciaux, contrepartie des déficits des autres, est un mal dûment identifié au sein des institutions de Bretton-Woods comme de l’UE : il transforme le libre-échange en une forme de néo-mercantilisme. A l’échelon européen, l’élaboration d’un consensus interétatique requiert empathie, souplesse et sens du compromis. Enfin, si toute grande civilisation est ouverte sur l’universel, elle ne se confond pas avec lui ; il est à craindre que le babélisme dans lequel les esprits « open-minded » se complaisent ne produise les mêmes effets que dans le récit de l’Ancien Testament. Ni l’Europe, ni l’Amérique du Nord n’ont vocation à bâtir de nouvelles tours de Babel. Dans un monde où diverses formes d’oppression et de servitude dominent, le sens de la vérité et de la liberté qui caractérise l’esprit général de notre civilisation, ainsi que les conditions sur lesquelles il repose, doivent être préservés. Peut-être faudrait-il parler d’un exceptionnalisme occidental.

Guillaume Lagane : Malgré la différence de leurs personnalités, il y a malgré tout une continuité de leurs administrations qui est sans doute le reflet de l’évolution l’opinion américaine qui considère que pratiquement 40 ans après la fin de la Guerre froide, les Etats-Unis ne devraient plus à avoir à assurer la sécurité de leurs alliés. Cela vaut dans la région du Pacifique, où l’on voit que les Japonais et Sud-Coréens sont assez inquiets de la relation entre la Corée du Nord et les Etats-Unis parce que cela pourrait signifier un désengagement des troupes américaines dans la zone. Même si dans le cas précis de l’Asie, ils pourraient être rassurés par le fait que l’administration Trump est très attentive à la montée en puissance de la Chine. On peut s’imaginer qu’elle pourrait quand même maintenir sa présence, comme l’atteste les patrouilles maritimes menées par l’US Navy dans la zone pour s’opposer à la Chine 

S’agissant de l’Europe, c’est plus ambigu, parce qu’il y avait une volonté d’Obama de se désengager pour aller plus vers l’Asie, sans l’avoir exprimé ouvertement, on sent que Donald Trump est tenté lui aussi par une telle évolution. Cela pourrait vouloir signifier pour les Européens qu’une nouvelle donne verrait le jour. Ils pourraient suivre dès lors ce que la France recommande depuis plusieurs décennies, c’est-à-dire prendre en main leurs dépenses militaires, tout en restant bien entendu allié avec les Etats-Unis, développer une autonomie stratégique qui leur permettrait d’avoir leur indépendance et d’assurer leur sécurité vis-à-vis d’acteurs extérieurs tels que les menaces terroristes au Sud, les Etats proliférateurs ou la Russie. De ce point de vue-là, ce serait certainement un tournant historique pour les Européens. Mais je pense qu’on n’en est pas encore là. Et il existe au sein de l’administration américaine une vraie résistance très forte à un désengagement massif des Etats-Unis. La doxa reste le lien transatlantique et le renforcement des moyens en Europe. Je vous signale d’ailleurs à cet égard qu’un pays comme la Pologne a pour la première fois proposé de co-financer l’installation d’une base américaine sur son territoire, un peu comme le font les Japonais depuis 5 ans. Une initiative qui irait à l’encontre d’un tel désengagement.

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