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Radioscopie de la mortalité 2020 en France : première approche du véritable impact du  Covid-19
©Thomas COEX / AFP

Bilan

Selon les données de l’Insee du premier trimestre 2020 et d'après les courbes de décès établies par l’organisme statistique depuis 2015, les chiffres les plus récents semblent inférieurs aux années précédentes. Le Covid-19 serait-il finalement moins dangereux qu’une grippe pour la population ?

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont est géographe, économiste et démographe, professeur à l'université à Paris IV-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir, auteur notamment de Populations et Territoires de France en 2030 (L’Harmattan), et de Géopolitique de l’Europe (Armand Colin).

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Atlantico.fr : Si l’on compare les données de l’Insee du premier trimestre 2020 aux courbes de décès établies par l’organisme statistique depuis 2015, les courbes les plus récentes semblent inférieures aux années précédentes. Comment expliquer ce phénomène alors que nous sommes en pleine pandémie ?

Gérard-François Dumont : Effectivement, si on se limite au premier trimestre 2020, le nombre de décès en France est à peine supérieur à celui de 2018, mais plus élevé que celui de 2019. La mortalité des douze premières semaines de 2020, précisément jusqu’au 16 mars de l’année 2020, était plutôt faible avec un nombre de décès équivalent à la même période de 2019 et inférieur à celle de 2018. Ce résultat était remarquable pour deux raisons. D’une part, le début l’année 2020 aurait dû, ceteris paribus, compter davantage de décès puisque 2020 est une année bissextile, donc avec un jour de plus en février. D’autre part, l’augmentation du nombre de personnes âgées, la gérontocroissance, aurait dû signifier une hausse des décès. Autrement dit, si cette bonne évolution avait perduré, 2020 se serait caractérisée par une hausse satisfaisante de l’espérance de vie.

Mais, depuis le 17 mars, le nombre de décès cumulé 2020 a dépassé les chiffres de la même période de 2018 et plus encore ceux de 2019. Les écarts de décès cumulés 2020 par rapport aux deux années précédentes se sont ensuite accrus. Entre le 1er mars et le 13 avril, le nombre de décès en France est ainsi supérieur de 25 % à celui enregistré à la même époque en 2019 et de 13 % à 2018.

Sans surprise, entre le 1er mars et le 13 avril 2020, l’Île-de-France est la région qui enregistre la plus forte croissance du nombre de décès totaux par rapport à la même période de 2019 (+ 91 %). C’est logique puisque la diffusion d’une épidémie d’homme à homme est toujours corrélée avec la mobilité humaine. Or, la principale frontière de la France, celle la plus traversée (avant le confinement), n’est ni celle du Luxembourg, de l’Allemagne rhénane ou de la Suisse, mais celle de l’Île-de-France avec ses deux grands aéroports, Roissy et Orly. Or la France, sans doute trop à l’écoute d’une Organisation mondiale de la santé qui adoptait quasiment le discours officiel du gouvernement chinois, n’a jamais voulu opérer de contrôles sanitaires à ses frontières comme l’avait décidé Taïwan dès le 31 décembre 2019. Les frontières françaises n’ont donc jamais été soumises à des restrictions, ces dernières étant venues de nos voisins.

Si l’on se penche sur les données statistiques hebdomadaires publiées par l’INSEE, quelle tendance dégageriez-vous ? Les dernières estimations sont-elles de nature à rassurer les Français ?

Les estimations de décès les plus récentes publiées le 24 avril 2020 par l’Insee ne sont guère rassurantes, même si le nombre de décès journalier dû au covid-19 apparaît en légère diminution. En dépit du confinement, chaque jour depuis mi mars compte un nombre de décès nettement supérieur aux mêmes journées des années précédentes. Cette évolution peut ainsi être illustrée par la seule journée du lundi 13 avril, jour de « l’adresse aux Français » télévisée du président Macron. La France a comptabilisé 2 145 décès ce jour-là, contre 1 555 le 13 avril 2019 et 1 669 le 13 avril 2018, soit 38 % de plus qu’en 2019 et 29 % de plus qu’en 2018.

Mais le contraste est saisissant entre les départements où la surmortalité est considérable et ceux, à l’inverse, où l’épidémie est quasiment absente. Ainsi, entre le 1er mars et le 13 avril 2020, trois départements comptent au moins deux fois plus de décès que sur la même période de 2019 : le Haut-Rhin (+ 144 %), la Seine-Saint-Denis et les Hauts-de-Seine (+ 128 %).

À l’opposé, vingt-trois départements ont moins de décès enregistrés entre le 1er mars et le 13 avril 2020 que sur la même période de 2019. Il s’agit des quatre départements auvergnats et de départements du quart Sud-Ouest de la France. S’ajoutent les Hautes-Alpes, les Alpes de Haute-Provence et le Haute-Corse. Et, outre-mer, la Martinique, la Guyane et La Réunion.

Ces chiffres indiquent qu’il serait urgent que le gouvernement arrête de considérer les territoires français comme si le covid-19 avait eu une diffusion homogène sur l’ensemble des territoires français et finisse par comprendre tout l’intérêt d’appliquer le principe de subsidiarité. Il est vrai que le Conseil d’État ne l’a guère encouragé avec son arrêt du 20 avril 2020 qui condamne Philippe Laurent, le maire de Sceaux, ville pourtant située dans l’un des départements où l’évolution des décès a été la plus dramatique, les Hauts-de-Seine. Ce maire avait signé un arrêté disposant qu’il était interdit « aux personnes de plus de 10 ans » de se déplacer sur l’espace public de la commune sans porter « un dispositif de protection buccal et nasal » – masque alternatif ou, à défaut, écharpe ou foulard.

En annulant cet arrêté municipal, le Conseil d’État semble s’être lui-même déjugé, puisqu’il avait précisé dans un arrêt antérieur du 22 mars 2020, conformément aux règles fixées par le Code général des collectivités territoriales, que : « Les maires, en vertu de leur pouvoir de police générale, ont l’obligation d’adopter, lorsque de telles mesures seraient nécessaires, des interdictions plus sévères lorsque les circonstances locales le justifient. »

À la vue des tendances, le Covid-19 serait-il finalement moins dangereux qu’une grippe pour la population ?

Ceux qui espéraient que le covid-19 soit finalement moins dangereux qu’une grippe pour la population se sont malheureusement trompés. Certes, cela aurait peut-être été possible si la France s’était mieux préparée et avait mieux répondu à la pandémie. Mais ce n’est nullement le cas. Le covid-19 aura sur la mortalité de 2020 des effets largement supérieurs aux années précédentes ayant connu une grippe saisonnière particulièrement mortifère. En outre, les chiffres officiels des décès liés au covid-19 sont probablement sous-évalués devant la difficulté de les prendre en compte de façon parfaitement fiable dans les différents lieux de décès possibles. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les années de grippe intense ont causé par exemple 17 000 morts en France avec la grippe asiatique de 1956, 31 000 avec la grippe de Hong Kong de 1968-1970 (avant la vaccination contre la grippe), tandis que la canicule de 2003 avait causé 15 000 morts supplémentaires mais, là aussi, avec de grandes variations selon les départements[1].

Le nombre de morts dû au covid-19 témoignera de la vulnérabilité élevée de la France. D’une part, notre pays n’a pas su anticiper un risque pourtant présent dans toute analyse prospective[2]. D’autre part, ses dirigeants ont refusé de considérer les éléments protecteurs essentiels, soit les masques et les tests, outre le contrôle sanitaire aux frontières. Ils se sont donc contentés d’une stratégie défensive, celle du confinement strict. Enfermés dans des logiques administratives n’impliquant que les lourdes administrations d’État, ils n’ont pas su mobiliser, voire réquisitionner, toutes les entreprises pouvant adapter leur production pour fournir le matériel indispensable aux médecins de ville, aux soignants des hôpitaux, aux intervenants auprès des personnes âgées… D’où par exemple, sans que l’on dispose des chiffres précis, plusieurs dizaines de décès parmi les professionnels de santé.

Quant à l’interprétation selon laquelle le covid-19 aurait des effets mortifères plus aggravés sur les personnes âgées que sur les personnes plus jeunes, elle demeure discutable, tout simplement parce que, dans toutes ses principales causes, le risque de mortalité augmente avec l’âge.

In fine, les effets démographiques du covid-19 et de la seule réponse véritablement apportée, le confinement, vont être considérables. Ils ne portent pas seulement sur la mortalité et sur l’économie avec la mise au chômage partiel de 10 millions d’actifs. En effet, on oublie d’ajouter toutes les conséquences sur la nuptialité et la natalité qui vont exercer des effets durables. Car la façon dont a été traitée cette pandémie va profondément modifier la pyramide des âges de la France non seulement pour les générations âgées, mais également pour les populations les plus jeunes. En effet, une épidémie qui tue logiquement des personnes âgées empêche aussi des enfants de naître car il ne faut jamais oublier les effets des épidémies sur la natalité, avec des conséquences qui vont s’exercer sur plusieurs décennies.


[1] Dumont Gérard-François, Montenay, Yves, « Le dernier bilan de la canicule : un pic historique et une géographie précise », Population & Avenir, n° 668, mai-juin 2004.

[2] Dumont, Gérard-François, Géographie des populations. Concepts, dynamiques, prospectives, Paris, Armand Colin, 2018.

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