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Qui a créé le plus de chômeurs ? Voilà à quoi ressemble le résultat du match Hollande Sarkozy une fois pris en compte l’impact du contexte international
©Reuters

Vent de face ou vent de dos

François Hollande s'est laissé aller à une comparaison hasardeuse ce mardi 17 mai sur Europe 1 entre son bilan et celui de Nicolas Sarkozy en matière de chômage. Cette petite sortie médiatique, contestée par une partie de la presse, montre bien les difficultés à comparer deux quinquennats entre eux de manière brute.

Guillaume Sarlat

Guillaume Sarlat

Polytechnicien et Inspecteur des Finances, Guillaume Sarlat, a fondé et dirige à Londres une société de conseil en stratégie aux entreprises.

 

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UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico : Ce mardi, François Hollande a déclaré sur Europe 1 qu'il y avait eu sous son quinquennat 600 000 chômeurs de plus, alors que son prédécesseur Nicolas Sarkozy avait vu, de son côté, le nombre de chômeurs augmenter d'un million lors de son mandat. Une affirmation qui a pu être contestée par de nombreux médias, mettant en avant la liberté prise par François Hollande sur ces chiffres. Cependant, une telle comparaison est-elle pertinente ?

Jean-Paul Betbèze : D’abord, dans une économie mondialisée et soumise à la révolution numérique, la destruction d’emplois est partout présente.Ce n’est pas la responsabilité d’un Président, français ou non, de gauche ou non, qui est seule en cause en matière de chômage. Ce qui dépend en partie de lui, avec les entreprises et les partenaires sociaux, c’est de mener une politique économique qui permette au mieux de rebondir, c’est-à-dire de créer et de faire évoluer plus d’emplois que ceux qui sont détruits. Ensuite, il faut être sûr des chiffres. Les "600 000 nouveaux chômeurs" qui ont coïncidé avec le mandat de François Hollande sont des chômeurs de catégorie A, c’est-à-dire libres immédiatement pour travailler à temps plein. Ce ne sont pas les 1,2 million de chômeurs attribués à Nicolas Sarkozy, qui eux, additionnent les chômeurs des catégories A, B et C, c’est-à-dire ceux qui, en supplément des chômeurs de catégorie A, ne sont pas libres immédiatement, ont pu travailler quelques heures dans le mois précédent et ne cherchent pas un temps plein. Surtout, on peut attribuer à François Hollande des erreurs de politique économique en début de mandat, par exemple la surtaxation des services à la personne ou la politique du logement de Cécile Duflot. Ces erreurs ont toutes deux détruit des emplois et ont dû être ensuite entièrement revues, pour revenir en fait à la situation antérieure. Quant à Nicolas Sarkozy, qui a eu à gérer les effets de la crise mondiale, on peut lui reprocher une insuffisance de réformes.

Guillaume Sarlat : La comparaison n’a effectivement aucun sens.

Politiquement d’abord. En septembre 2012, François Hollande s’est fixé à lui-même comme objectif "l’inversion de la courbe du chômage". C’était sans aucun doute une énorme erreur de communication. Mais désormais, cette promesse existe, elle est là. Et il n’est pas question dans cette promesse de comparaison avec le bilan de Nicolas Sarkozy.

Economiquement également, la comparaison n’a pas de sens.

D’abord parce que l’environnement macro-économique n’est absolument pas le même.

Notamment, le prix du pétrole a chuté, l’euro a baissé et la BCE a fortement amplifié sa politique monétaire accommodante.

L’impact des deux premiers paramètres, le pétrole et l’euro, est difficile à appréhender.

La baisse du prix du pétrole est plutôt positive pour le pouvoir d’achat des ménages et la balance commerciale. Mais en contrepartie, cela a mis en grande difficulté les entreprises du secteur parapétrolier comme CGG et Vallourec, et plus largement tout le secteur de l’énergie, en entrainant à la baisse le prix de l’électricité.

La baisse de l’euro a quant à elle un impact plutôt négatif pour le pouvoir d’achat, surtout pour les moins aisés dont la plupart des achats sont produits hors de la zone euro. L’impact est en revanche positif a priori sur la compétitivité des entreprises hors de la zone euro, à condition toutefois de supposer que le prix est le principal facteur de compétitivité pour l’économie française, ce qui n’a rien d’évident.

En revanche, l’impact de la politique monétaire de la BCE est plus prévisible. Une politique monétaire accommodante, lorsque les fondamentaux sont bons, conduit à plus d’investissements dans les entreprises, et plus de consommation chez les ménages. Mais lorsque l’industrie n’est pas compétitive et les ménages déprimés, une politique monétaire accommodante ne produit rien, si ce n’est des bulles sur les actifs et de l’épargne de précaution.

Et c’est malheureusement ce qui s’est produit en France, avec une croissance atone, un chômage qui a continué à augmenter, et une bulle sur les actifs financiers, notamment obligataires.

Les chiffres du chômage sont donc relatifs à l’environnement. Par ailleurs, ils ne peuvent pas être appréciés isolément sans tenir compte des autres variables économiques. Il faut ainsi prendre également en considération le taux d’activité, la qualité des emplois ou encore le nombre de personnes aux minima sociaux pour apprécier le fonctionnement du marché du travail.

Et là les performances sont très mauvaises depuis 2012. Le nombre de foyers titulaires du RSA socle par exemple a ainsi progressé de 20% depuis 2012 et s’approche des 2 millions.

Dès lors, comment serait-il possible de "comparer" les bilans des deux quinquennats ? Quel serait le résultat d'un tel match ?

Guillaume Sarlat : Pour comparer deux quinquennats, il faudrait d’abord savoir quelle est la stratégie économique à moyen terme, et ensuite se demander si cette stratégie est bien mise en œuvre.

Si la stratégie économique de moyen terme est de placer la France en concurrence frontale avec les pays à bas coûts dans une logique low cost / low innovation, alors Nicolas Sarkozy a été très bon, et François Hollande exceptionnel, puisque sa principale mesure économique a consisté en de nouvelles réductions de charges sociales massives sur les bas salaires, les charges patronales au niveau du SMIC étant même désormais nulles.

En revanche, si la stratégie économique est de positionner la France comme une économie innovante et haut de gamme, Nicolas Sarkozy a été mauvais, et François Hollande exécrable. Le bilan de Sarkozy dans ce domaine est maigre, mais on peut quand même lui attribuer l’élargissement du Crédit impôt recherche. En revanche, depuis 2012, il ne s’est rien passé. Et dans les faits, le départ des diplômés de l’enseignement supérieur s’accélère, les jeunes entreprises innovantes sont de plus en plus rachetées par des groupes étrangers, et la France ne compte toujours pas, près de 20 ans après la création d’Iliad, un nouveau grand groupe technologique.

Ce ne sera sans doute pas plus facile de comparer les bilans lors du prochain quinquennat car personne ne semble vouloir définir explicitement sa stratégie. On ne peut que la deviner au vu des mesures proposées.

Et là, à droite, visiblement tous les candidats à la primaire se placent dans la continuité avec leurs prédécesseurs depuis 25 ans, c’est-à-dire la paupérisation de la France par des politiques récessives et low cost.

A gauche on imagine que François Hollande continuera lui aussi sur cette logique, qui a été la sienne depuis 2012. En revanche, pour ses éventuels concurrents, il n’est pas possible de dire quelle est leur stratégie économique, explicite ou implicite : ni Macron ni Montebourg n’ont articulé pour l’instant de stratégie économique, ni de propositions concrètes.

Jean-Paul Betbèze : Il faut se dire une vérité : comparer des bilans de quinquennats n’a pas grand sens économique, mais est bien sûr politiquement très pratique. Ceci n’a pas de sens économique, parce qu’un Président ne fait pas tout, dans un pays, à partir du jour où commence son mandat jusqu’au jour où il l’achève. L’économie française ne se découpe pas en tranches de 5 ans. Elle hérite du passé, est de plus en plus sensible à ce qu'il se passe ailleurs et, bien sûr, continue. La vraie question d’un quinquennat est plutôt de voir comment il a influé et peut influer sur la tendance dont il hérite.

Mais il y a plus grave : la notion de bilan oublie totalement le "hors bilan". On compare deux photos, sans voir ce qu'il va se passer après. Ainsi, quand un candidat dit vouloir embaucher 60 000 fonctionnaires, pour répondre aux besoins (bien sûr), pour soutenir l’activité (pourquoi pas) et son électorat (allez savoir ?), il ne mentionne pas qu’il ouvre une dépense qui va durer des années. Ce sera celle de toute la durée du travail du fonctionnaire, plus sa retraite. Ainsi, on peut estimer à 1,5 million d’euros, en moyenne, le coût actualisé d’un fonctionnaire. Ainsi, au lieu de dire "Je vais embaucher 60 000 fonctionnaires", on devrait dire techniquement "Je vais augmenter de 90 milliards d’euros la dette actualisée française". Ceci n’aurait pas le même effet ! Il en est de même quand il s’agit de fermer une centrale nucléaire, ou de faire un choix de centrale nucléaire en Angleterre ou d’avoir une politique écologique. De plus en plus, des choix politiques dépassent très largement le quinquennat. Ils ne sont pas réellement mesurés, ni en gains potentiels, ni en dette latente. Autrement dit, on ne raisonne jamais en "hors bilan". Ceci est grave quand il s’agit de réorganisation publique (par exemple la réduction du nombre de provinces) et plus grave encore pour la politique de formation. Il n’y a pas que la finance à être court-termiste !

François Hollande a fait de l'inversion de la courbe du chômage une condition sine qua non de sa candidature pour l'élection présidentielle de 2017. Si jamais cette courbe s'inversait effectivement et durablement, le président de la République pourrait-il vraiment s'en octroyer la responsabilité ?

Guillaume Sarlat : Si les circonstances le lui permettent, sans doute s’attribuera-t-il cette responsabilité, mais ce sera mentir aux Français.

D’abord parce que, comme nous venons de le voir, les chiffres du chômage dépendent beaucoup du contexte macro-économique, et qu’ils ne donnent qu’une vision très partielle de la situation économique du pays.

Ensuite parce que cela l’exonèrera une fois de plus de parler de sa stratégie économique, et de son utilisation des leviers qui dépendent véritablement de son action, qui devraient pourtant être le cœur de sa responsabilité politique.

En particulier, on peut imaginer sans grand risque que François Hollande parlera peu de l’enseignement, alors même que l’enseignement est en France essentiellement public, ce qui lui donne donc toute latitude d’action, et que c’est le principal levier d’action publique, avec la politique migratoire, sur l’économie à moyen terme.

Jean-Paul Betbèze : Un homme politique qui réussit doit, sans aucun doute, avoir du charisme, du courage, des réseaux, de la compétence… mais il n’est pas mauvais non plus qu’il ait de la chance. Après que Nicolas Sarkozy est arrivé au pouvoir, l’économie française est percutée par la crise mondiale, ce qui n’était pas réellement prévu (par personne). Actuellement, la situation économique mondiale est en train de s’améliorer, même lentement, le prix du pétrole a baissé de moitié, les taux d’intérêts à court et long terme sont très bas, la zone euro va enfin mieux. Ceci aide.

Ajoutons que le gouvernement a décidé de baisser les charges des entreprises pour essayer de réduire leur écart de rentabilité par rapport à l’Allemagne – ce qui n’était pas au programme initial. C’est en cours, mais on voit bien à quel point tout ceci est lent. La France aujourd’hui, en termes de PIB par tête, vient à peine de retrouver son niveau d’avant crise, alors que l’Allemagne est 10% au-dessus.

Ce qui manque ici, c’est un véritable débat économique et social dans l’entreprise pour discuter de ses risques et de ses choix à terme, pas des "avantages acquis" dans un monde plus incertain et où de moins en moins est "acquis". Bien sûr, un Président qui dirait qu’il ne peut pas tout faire, les taux d’intérêt et le change dépendant de la zone euro, beaucoup dépendant de l’Europe, de plus en plus des Etats-Unis et de la Chine, sans compter la révolution numérique en cours, ne serait pas nécessairement élu. Et pourtant il dirait vrai et, surtout, nous mettrait devant nos responsabilités. On rêve toujours d’un Président omnipotent, ce qui permet de le critiquer ensuite, sans voir ce qui dépend de lui et donc de nous. Au fond, ce serait bien de s’interroger sur le "quinquennat des Français" !

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