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L'application TousAntiCovid est un outil développé par l'exécutif pour lutter contre la pandémie de Covid-19.
L'application TousAntiCovid est un outil développé par l'exécutif pour lutter contre la pandémie de Covid-19.
©DAMIEN MEYER / AFP

Outil contre la pandémie

L'application permettant de s'informer sur la pandémie et de présenter son passe sanitaire, TousAntiCovid, accompagne notre quotidien depuis le mois de juin 2020. Son utilisation a été prolongée jusqu'en juillet 2022.

Gaëtan Leurent

Gaëtan Leurent

Gaëtan Leurent est un chercheur en cryptographie de l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria). 

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Atlantico : Elle est devenue l’application star de la pandémie, TousAntiCovid, nommée auparavant StopCovid, accompagne notre quotidien depuis le mois de juin 2020 et son utilisation a été prolongée jusqu'en juillet 2022. Quelles sont les principales failles et les principaux atouts ?

Gaëtan Leurent : Le projet StopCovid (devenu ensuite TousAntiCovid) a été lancé sur de très bonnes bases: une application avec un objectif bien défini: le traçage de contact numérique par Bluetooth, un protocole respectueux de la vie privée conçu par des chercheurs d'Inria, un code source ouvert, des promesses de transparence, et une implication forte de la CNIL pour étudier l'impact sur la vie privée.

Cependant, il y a des risques intrinsèques au traçage de contact numérique et il faut les mettre en balance avec les bénéfices attendus. Il faut aussi éviter le solutionnisme technologique et la fuite en avant avec de nouveaux outils numérique dont on promet à chaque fois qu'ils vont permettre de sortir de la crise. Il est donc nécessaire de faire une évaluation précise de l'efficacité des outils et de leur impact, et de supprimer ceux qui sont inefficaces ou qui ont accompli leur objectif.

La CNIL résume très bien le problème dans son dernier avis: "la Commission a alerté à plusieurs reprises sur le risque d'accoutumance et de banalisation de tels dispositifs attentatoire à la vie privée, craignant le glissement vers une société où de tels contrôles deviendraient la norme et non l'exception. Elle a ainsi rappelé que ces mesures ne peuvent être justifiées que si leur efficacité est prouvée, leur application limitée en termes de durée, de personne ou de lieux où elles s'appliquent, et qu'elles sont assorties de garanties de nature à prévenir efficacement les abus".

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18 mois après le lancement de StopCovid, nous sommes loin des promesses de départ:

- il y a très peu de données publiées pour évaluer l'efficacité, malgré des demandes répétées de la CNIL;

- l'application est devenue un couteau suisse qui mélange différents rôles en espérant attirer plus d'utilisateurs;

- elle ne respecte pas aussi bien la vie privée que promis (notamment depuis l'ajout d'un système de collecte de statistiques).

Les risques pour la vie privée liés au traçage Bluetooth sont relativement faibles, mais il faut néanmoins les justifier par l'efficacité du dispositif. Comparativement, le déploiement du passe sanitaire pose des risques beaucoup plus importants. En particulier, il y a eu des fuites de données liées au passe sanitaire avec TousAntiCovid et TousAntiCovid Verif, mentionnées par la CNIL dans son dernier rapport.

Avons-nous assez de données pour évaluer l'intérêt de l'application ?

Nous sommes aujourd'hui dans une situation paradoxale. Le modèle centralisé utilisé par la France (par opposition au modèle décentralisé des applications de traçage de contact Apple et Google) permet de collecter des informations précises sur l'efficacité du traçage de contact Bluetooth, et l'ajout d'un module statistique en juin dernier donne encore plus de données pour évaluer l'usage de l'application.  Pourtant, le gouvernement refuse de communiquer sur l'efficacité de TousAntiCovid et des autres outils numériques de lutte contre le COVID, malgré les demandes répétées de la CNIL et les promesses de transparence au lancement du projet.

L'application collecte toutes les données utiles pour évaluer son impact épidémiologique: le nombre d'utilisateurs, le nombre d'alertes envoyées, et le nombre d'alertes qui sont suivies d'un test positif.

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Pourtant, seul le nombre d'alertes envoyées est public. Après 18 mois d'utilisation, on ne sait même pas combien il y a d'utilisateurs!

C'est complètement anormal; les autres pays européens sont beaucoup plus transparents et publient beaucoup plus de données.

J'ai fait une demande CADA pour obtenir les informations que le ministère ne publie pas, et j'ai reçu des données partielles. Ces données permettent de mesurer l'efficacité du traçage de contact numérique, mais je suis obligé de faire des hypothèses pour les interpréter.  Il faudrait que le ministère confirme mon analyse car il est possible que j'ai fait une erreur étant donnée que les données m'ont été fournies sans documentation.

1 an et 6 mois après son lancement, l'application est-elle vraiment efficace pour tracer les cas contacts? L'impact épidémiologique du traçage est-il important?

En faisant deux hypothèses différentes pour interpréter les données, je trouve que le traçage numérique aurait permis de détecter 900 ou 1600 cas dans la semaine du 22 au 28 novembre, pour 65000 alertes envoyées.  Pour mettre ce chiffre en perspective, il y a eu au total 210.000 cas détectés pendant cette semaine, dont 35.000 détectés par le traçage de contact manuel. Le traçage numérique aurait donc un impact très faible, avec moins de 1% du total des cas qui est découvert grâce à TousAntiCovid.

De plus, une partie de ces cas ne sont pas vraiment à mettre à l'actif de TousAntiCovid. D'une part, certains cas auraient été détectés même sans l'application, notamment quand le malade et le cas contact se connaissent. D'autre part, le taux d'incidence est actuellement très élevé (0.3% fin novembre), donc une partie des alertes sont suivies d'un test positif même si elles sont mal ciblées.

Le taux de positivité après une alerte de traçage est-il important lorsqu'on le compare aux autres pays ?

Le taux de positivité après une alerte serait de 1.3% ou 2.4% selon l'hypothèse d'interprétation des données. C'est un chiffre plutôt bas par rapport à nos voisins, mais comparable aux résultats publiés par la Suisse, par exemple.

Les critères de temps et de distance de TousAntiCovid ont été modifiés plusieurs fois pour envoyer plus d'alertes (la seule métrique publiée), et cela a forcément eu un impact sur la pertinence des alertes envoyées et donc sur le taux de positivité.

Qu'aurait-il fallu faire pour que l'application soit efficace ?

La promesse de départ était que l'application serait utile dans les transports en commun, ou nous croisons beaucoup d'inconnus. Il y a donc un risque de transmission, mais le traçage de contact manuel est impossible. Cependant, le port du masque est devenu obligatoire avant la sortie de StopCovid, et cela réduit beaucoup les risques de transmission. Ainsi l'application se retrouve sans vrai cas d'usage, car les contacts au travail ou entre amis peuvent facilement être retrouvés par le traçage de contact manuel.

Il y aussi des problèmes techniques, notamment avec le Bluetooth qui n'est pas précis pour mesurer les distances. Enfin, le traçage de contact (manuel ou numérique) ne peut fonctionner que s'il est largement utilisé, et ça n'est pas le cas pour le traçage Bluetooth. 

En effet, pour détecter un contact à risque, il faut que à la fois la personne infectée et la personne en contact utilisent l'application.

Par exemple, si 10% de la population l'utilise, on peut seulement détecter 1% des contacts (10%×10%=1%).

Avec tous ces handicaps, il y avait peu de chance que le traçage de contact Bluetooth ait un impact important, et de nombreux pays ont fait le même constat. Je pense qu'on aurait dû évaluer honnêtement l'impact potentiel dès le départ, et le comparer à d'autres utilisations des moyens humains et financiers (comme le traçage de contact à l'école, ou la promotion des gestes barrière).

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