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Quand Viktor Orban livre SA vision de l’Europe
©FERENC ISZA / AFP

Autre discours

Samedi 16 juin, le Premier ministre hongrois Viktor Orban a prononcé un discours très remarqué lors de l'anniversaire de la mort de Helmut Kohl, en présence d'Angela Merkel. L'hommage qu'il a rendu à l'ancien chancelier allemand était aussi un vrai exposé de sa doctrine sur l'Europe qui contraste avec celle défendue par les principaux protagonistes du sommet de l'Europe qui se tient ce dimanche 24 juin à Bruxelles.

Atlantico : A l'occasion du premier anniversaire de la mort d'Helmut Kohl, le Premier ministre hongrois Viktor Orban a prononcé un long discours qui explique et justifie sa vision de l'Union européenne. À quoi ressemble l'Europe que Viktor Orban appelle de ses veux ?

Jacques Rupnik : Viktor Orban a compris qu'il était en difficulté en Europe sur la question de l'Etat de droit et du libéralisme politique. Il se saisit de l'anniversaire de la mort d'Helmut Kohl pour déplacer ce curseur, et affirmer que la vraie question européenne est celle de la capacité de l'Europe à se défendre face à la question migratoire, sa capacité à défendre ses frontières et son identité liée à ses racines chrétiennes. Il met le doigt sur la question qui agite tous les partis de l'Union européenne et en particulier tous les partis de droite, et ce pour affirmer qu'il est le vrai défenseur de la démocratie chrétienne. Et il le dit à Mme Merkel, qui est la présidente du Parti chrétien-démocrate : il vient donc en quelque sorte expliquer aux chrétiens démocrates ce qu'est la vraie démocratie chrétienne, affirmant que ces premiers ont abandonnés leurs valeurs, les valeurs conservatrices, celle de la famille notamment puisque la CDU a adopté récemment le mariage gay, et bien sûr celle de l'Europe chrétienne laissée à la merci de l'immigration.

Le déplacement du curseur vers ces questions du libéralisme sociétal est en fait un reproche non-déguisé à l'encontre du PPE (parti de droite européen) de s'être trop laisser influencer par le libéralisme sociétal. Il joue avec habileté de la sorte puisqu'il sent que le vent a tourné avec la crise migratoire, et ce notamment dans les partis du PPE. L'année dernière, au congrès du PPE à Madrid, Orban avait d'ailleurs été très applaudi. Il a bien compris alors que son message trouvait une résonnance au sein de ce parti.

Ce qu'est ironique, c'est qu'Orban se fait le défenseur des valeurs chrétiennes mais se met dans le même temps en porte à faux avec ce que prêche le pape sur la question migratoire. On a donc un Orban défenseur des valeurs chrétiennes contre la démocratie chrétienne et contre le pape. Mais c'est politiquement très habile, parce qu'avec ce qui se passe en Allemagne aujourd'hui avec une CSU qui rejoint la ligne Orban sur les questions migratoires (cf. l'ultimatum de Seehofer), avec le renfort de l'Autriche, dont le chancelier est venu porter son soutien lors du dernier sommet du groupe de Visegrad qui reste uni sur son refus des quotas de migrants, et d'assister au sommet sur l'immigration de ce dimanche, Orban se retrouve à la tête d'un continuum. Son discours s'adresse au groupe de Visegrad, à l'Autriche, aux conservateurs allemands au sein de la coalition de Mme Merkel elle-même. Dans son discours, il se propose donc de renouveler le PPE sur ces bases-là, allant jusqu'à sous-entendre que Fidesz (son parti) est la CSU - l'aile droitière de la démocratie - du PPE !

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Il dit refuser la tentation antilibérale qui guette la droite, et propose non pas un parti anti-immigration (qu'il dit refuser de constituer) mais appelle à renouveler la droite tout en luttant contre le populisme. Comment cette volonté se matérialise-t-elle concernant l'immigration ?

Il dit d'une certaine façon aux Français : si vous voulez accueillir des centaines de milliers de migrants, d'Africains, d'Arabes etc., grand bien vous fasse, mais ne nous obligez pas à faire de même : c'est une pique ironique et presque méchante ! Ce discours cependant est destiné à la droite du PPE, en ayant bien conscience que ce groupe d'une certaine façon le protège. Regardez les Polonais : le PiS, parti des frères Kaczynski, avait choisi d'être avec les Conservateurs britanniques, ils sont donc en dehors du PPE. Et se retrouvent sous une procédure après le déclenchement de l'article 7. Même si cette procédure a peu de chance d'aboutir, ils se retrouvent dans une position plus délicate (et ce aussi parce qu'ils se retrouvent sans leurs alliés britanniques) et moins protectrice. Être dans le PPE pour Orban, c'est être à l'abri des injonctions de l'Union européenne et aussi une façon de faire progresser sa stratégie politique. Celle-ci consiste à constater la recomposition qui s'opère entre la droite et la droite dite extrême où il faut aujourd'hui occuper le terrain.

Car au fond, quand il écarte le "parti européen anti-immigration", il sait que cela existe déjà en Allemagne avec l'Alternatif für Deutschland (AfD). Proposer à la CDU-CSU de faire une alliance européenne uniquement sur cette question migratoire le placerait aux côtés de Salvini, d'AfD, du Rassemblement National. Alors certes, il serait fort dans ce groupe, il pourrait en être le leader, mais il se trouverait dans le même coup isolé et devrait en subir les conséquences. À commencer pour les questions budgétaires qui sont en négociation en ce moment. Il le dit d'ailleurs dans discours quand il dit refuser le chantage. Il fait allusion à la tentation de certains pays qui considèrent (par exemple comme la France et l'Espagne) que la solidarité n'est pas que budgétaire mais doit aussi se faire sur les questions d'immigration.

D'où une certaine conformité affichée sur le plan économique vis-à-vis de la Commission ?

Il me semble au contraire qu'il n'a jamais autant attaqué avec virulence la Commission que dans ce discours. Alors oui, il est d'accord sur les questions de rigueur budgétaire, mais il dirige un pays qui reçoit 4% de son PNB en transferts européens. Il sait bien que s'il venait à s'isoler sur une alliance des partis anti-immigration, il serait fini, et ne pèsera rien dans la négociation budgétaire. Il a tout intérêt à se présenter comme une force au sein du PPE avec l'Autrichien Kurz, avec la CSU bavaroise etc., il se retrouverait en une position bien plus avantageuse pour peser dans la négociation budgétaire.

On se retrouve donc avec deux pôles en Europe qui se confronte en cette journée de réunion sur l'immigration à Bruxelles ?

Oui, avec d'un côté un pôle Macron Merkel et Sanchez qui considèrent que la réponse à la crise migratoire doit être européenne que ce soit sur les questions de frontière, de distinction entre migrants et demandeurs d'asile etc., et de l'autre ceux qui comme Orban considèrent que cela relève de la souveraineté de chaque état de décider qui entre ou non sur leur territoire. C'est une divergence de fond. Orban affirme de façon claire qu'il ne permettra à personne de leur imposer quoi que ce soit sur les questions migratoires, tout en appelant à ne pas faire de lien entre cette question et la question du budget.

Le pied de nez annoncé à la réunion organisée aujourd'hui à Bruxelles peut-il fonctionner ? Quel poids peut avoir cette doctrine Orban ?

Ce qui est certain, c'est qu'il sera très difficile de mettre en place une réglementation européenne sans le groupe de Visegrad et donc Orban. Les décisions prises ce dimanche ne pourront être présentées comme une position européenne. On s'oriente vers des réponses émanant des pays directement concernés. Les pays du Sud de l'Europe vont se retrouver avec un problème commun. On peut se demander dès lors quelle mouche a piqué Macron quand il s'est attaqué aux Italiens aussi directement. Une position européenne sans les Européens de l'Est et sans l'Italie qui est la principale porte d'entrée aujourd'hui, je suis dubitatif sur les résultats de ce sommet. On remarquera forcément plus ce qu'il n'a pas réalisé, les pays absents que ses éventuelles résolutions.

Ce qui est intéressant, c'est que les membres du groupe de Visegrad ont demandé pourquoi on organisait ce sommet immigration ce dimanche alors qu'il y a un conseil européen la semaine prochaine. Ils ont deviné qu'il s'agissait de reprendre la question de la répartition des migrants, question sur laquelle ils bloquent bien entendu. Ils y voient une concession, un premier pas vers quelque chose de durable, vers l'instauration d'un flux migratoire régulier qui à terme leur imposerait un modèle culturel qu'ils récusent, et Victor Orban.

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