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Quand LR se transforme en machine à fabriquer des orphelins politiques
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Erreurs de stratégie

Exclusions à géométrie variable, confusion sur les retraites ou les investitures aux municipales, la nouvelle direction du parti semble accentuer les erreurs de ses prédécesseurs.

Maxime  Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est un haut fonctionnaire français, qui a été conseiller de Nicolas Sarkozy sur les questions relatives à l'immigration, l'intégration des populations d'origine étrangère, ainsi que les sujets relatifs au ministère de l'intérieur.

Il commente l'actualité sur son blog  personnel

 

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : La droite semble plus divisée que jamais alors que 2019 s'achève. Derrière le discours officiel de rassemblement, les luttes politiques en interne et l'absence de discours clair sur les retraites semblent avoir fait du parti, au moins à court terme, une machine à créer des orphelins de la politique.

Atlantico : Les Républicains s'apprêtent à exclure du parti Erik Tegnér, militant défendant l'union des droites, alors que des alliances politiques entre LR et LREM pour les municipales ne reçoivent pas le même traitement. Le rassemblement défendu par la nouvelle direction n'est-il qu'un élément rhétorique ?

Christophe Boutin : Effectivement, après le départ de Laurent Wauquiez, le parti des Républicains semble toujours au milieu du gué, sans ligne clairement déterminée, si ce n'est, comme vous le signalez à juste titre, son refus de toute compromission avec le Rassemblement national. En ce sens, la théorie dite de « l'union des droites », qui verrait s’allier tous ceux qui sont situés à droite, sinon de LREM, au moins de ces centristes qui, sans intégrer le parti du président, se sont ralliés à ses thèse, des Républicains au RN donc en passant par DLF de Dupont-Aignan, le Parti chrétien-démocrate de Jean-Frédéric Poisson ou d'autres, ne peut fonctionner.

Mais pouvait-il en être autrement ? Appelé à renouveler l'équipe des Républicains après l'échec de la liste de François-Xavier Bellamy aux élections européennes et le départ consécutif de Laurent Wauquiez, Christian Jacob, personnage peu conflictuel, est resté en sage chiraquien dans une modération qui fleure bon son radicalisme. Après les départs successifs de Xavier Bertrand et Valérie Pécresse, ce sont donc des personnalités comme Gérard Larcher ou surtout François Baroin qui jouent des rôles importants, personnalités qui resteront fidèles au mot d’ordre jadis fixé par Jacques Chirac selon lequel aucune alliance n'est possible avec le Rassemblement national. Ainsi, lorsque l'on évoque comme vous le faites l’idée d’un « rassemblement » au sein des Républicains, il ne s’agit en fait que de se rassembler à nouveau avec ceux, centristes ou non, qui ont été tentés par un rapprochement avec LREM, et que l’on aimerait voir revenir au bercail.

De quoi s'agit-il dans l'immédiat ? De la préparation des municipales. Or si des alliances peuvent se faire ab initio avec une liste commune, on assistera beaucoup plus vraisemblablement, à des alliances entre les deux tours. Rappelons-le en effet qu’il est possible alors de recomposer entre elles des listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés – nous n'évoquons ici que le mode de scrutin des communes de 1000 habitants et plus, dans lesquelles les élections prennent facilement un tour politique – et il ne s'agit plus, comme l'a fait le Parti socialiste lors des dernières élections régionales, pour faire barrage au Front National de l'époque, de se désister entre les deux tours et de n'avoir aucun élu.

La question est donc de savoir qui soutenir - ou par qui être soutenu -, et il y a tout lieu de penser que le fameux « réflexe républicain » pourra jouer une fois de plus… et qu’il pourrait bien jouer de manière privilégiée en faveur de LR plus que de LREM. En effet, d’une part, même s'il y a une politisation des élections locales que l'on ne peut nier, il n’en reste pas moins que les électeurs tendent à maintenir en place le maire qui n'a pas failli à sa tâche – ce qui, sauf le cas des transfuges passés chez LREM correspond à des LR, puisque LREM n’existait pas lors des précédentes municipales. D’autre part, au vu des tensions sociales actuelles, il n’est pas certain que le label LREM soit vraiment porteur en mars 2020.

Maxime Tandonnet : L’erreur est sans doute de pratiquer le deux poids deux mesures. « Union des droites » ne veut absolument rien dire. Les deux formations, LR et RN n’ont rien de commun, ni par leur histoire, ni par leur identité et leurs valeurs, ni par leurs projets. Un éventuel rapprochement de leurs états-majors en vue d’une alliance électorale serait ressentie par l’opinion comme une magouille politicienne de bas étage. Elle provoquerait la disparition définitive de LR : une partie rejoindrait le centre-gauche macroniste et l’autre serait absorbée par le RN. En revanche, la tolérance envers certaines alliances avec LREM est difficilement compréhensible. Le parti LREM est tout autant l’adversaire de LR : sur les questions de société, les sujets régaliens, la fiscalité, sa pratique politique – culte de la personnalité au détriment de l’intérêt général et de la démocratie – c’est contre LREM autant que contre le RN que LR doit se reconstruire. Par cette différence de traitement, la nouvelle direction de LR ne brille pas par la clarté.

Au niveau des idées, l'épisode de mobilisation sur la réforme des retraites permet-il d'y voir clair dans le positionnement idéologique du parti ?

Voir clair dans le positionnement idéologique oui, mais à quel prix ! Lors des élections européennes de 2019, un quart de l'électorat des Républicains s'est porté sur la liste LREM conduite par de Nathalie Loiseau, en partie au moins parce que leurs cadres se sont montrés incapables de présenter un discours différent et cohérent sur l'Europe. Inaudibles, comme d’ailleurs lors de la crise des Gilets jaunes, ils ont donc vu une partie de leur électorat choisir LREM, à la fois claire dans son tropisme europhile et dans sa capacité à « remettre de l’ordre ».

La même ambiguïté se retrouve avec les retraites. Les cadres des Républicains, comme une partie de leur électorat, ont toujours été favorables à une réforme telle qu’elle est engagé par Emmanuel Macron : favorables à la disparition des privilèges ou supposés tels du secteur public, à une logique de préparation individuelle, dénonçant facilement l'assistanat. On attend donc leur proposition, qui devrait être présentée à l'Assemblée nationale, mais il y a fort à penser qu’elle sera finalement peu différente des grands axes définis par Édouard Philippe : recul de l'âge de départ à la retraite, alignement du public sur le privé… On trouvera seulement sans doute quelques éléments sur les petites retraites des agriculteurs, artisans et petits commerçants, un couplet sur le fameux « gaullisme social » destiné à retenir cet électorat séduit par des discours plus radicaux.

Quant aux arguments sur la méthode employée par Emmanuel Macron - la seule chose qui reste à critiquer puisqu’ils sont en grande partie d’accord sur le fond -, là encore les Républicains ne sont pas devant une tâche facile. Ils savent que les Français souhaitent qu'il y ait des réformes – ce qui ne veut certes pas dire qu'ils souhaitent la réforme que propose Emmanuel Macron ! -, ils savent que l'immobilisme chiraquien n’a pas été pour rien dans la situation actuelle, et ils se souviennent du « meilleur d’entre nous » resté « droit dans ses bottes » en 1995… Avec cela, on comprendra que leurs quelques éléments de langage ne seront sans doute pas suffisants pour permettre aux Républicains de prétendre à un quelconque « renouveau idéologique ».

Pour résumer, avec une part de son électorat et la grande majorité de ses cadres convaincus autant de la nécessité de réformer le régime des retraites que par les modalités proposées par le gouvernement d’Emmanuel Macron, on voit mal comment le parti des Républicains va parvenir à faire entendre sa spécificité. Pris en étau, comme lors des européennes de 2019, entre une majorité dont il épouse les thèses et une opposition à laquelle ils ne peut - ou ne veut - se rallier, il lui reste à attendre des jours meilleurs. Ce seront peut-être ceux des élections municipales, pour les raisons que nous évoquions, à moins bien sûr qu’Emmanuel Macron ne s’effondre dans cette lutte sociale, ne finisse par céder, et que LR puisse se faire le champion de futures réformes allant dans le même sens, ce qui ferait sans doute revenir au bercail une partie de son électorat.

Maxime Tandonnet : Sur cette question des retraites, il me semble que les porte-parole de LR ont tenu un discours dans l’ensemble plutôt cohérent. Rejetant la démagogie, ils confirment qu’une réforme des retraites est nécessaire dans le sens d’un prolongement de la durée du travail, comme toutes les autres nations européennes. A cet égard ils s’opposent radicalement au RN favorable au retour à 60 ans de l’âge du départ à la retraite. Par ailleurs, ils critiquent vivement à la fois la méthode et le fond de la réforme préparée par le pouvoir LREM : son caractère idéologique visant à une transformation globale et soudaine du système, le clivage instauré entre les générations, la méthode qui tient le Parlement à l’écart : d’où un échec programmé. Ce positionnement montre qu’il y a place, entre LREM et RN pour une vision équilibrée qui privilégie le réalisme économique, la fermeté sur le régalien, restauration de la démocratie à la fois parlementaire et référendaire pour combattre la fracture démocratique, entre le peuple et les élites, qui atteint aujourd’hui son paroxysme.

Quel est le risque d'une désaffection de la politique d'un parti de la droite traditionnelle dans ce cadre ? Est-ce que ce manque de clarté peut conduire à créer des orphelins de la politique, au moins à court terme ?

Christophe Boutin : Le manque de clarté que vous évoquez ne conduit pas nécessairement à créer des « orphelins de la politique », car rassurez-vous il y a toujours des familles d’accueil, et la meilleure preuve en est justement l'évolution de l'électorat des Républicains : certains, déçus de voir leur parti refuser de traiter de certaines questions, ou le faire à rebours de leurs attentes, ont évolué vers une droite plus radicale, et votent DLF, PCD ou RN ; d'autres, au contraire, se sont rapprochés de LREM, estimant que la politique notamment économique menée par Emmanuel Macron était finalement celle qu’ils souhaitaient depuis longtemps voir menée par leurs dirigeants. Il semble bien que la nature politique ait horreur du vide idéologique et déteste l’inaction, et que le parti dit Gaulliste ne puisse se contenter d’espérer, en ce début de XXIe siècle, bénéficier encore de l’élan initial donné par le fondateur de la Cinquième république.

Il ne sera sans doute pas facile de faire revenir les électeurs partis à droite : tout le monde n’a pas le talent de Nicolas Sarkozy d’une part, et la pratique de celui-ci au pouvoir, d’autre part, a pu rendre méfiant. Reste donc à attendre le retour des centristes, mais le glissement à droite d’Emmanuel Macron – ou plutôt l’affirmation résolue de son double libéralisme, économique et sociétal, le rend bien délicat.

Pour qu’en 2022 un leader issu des Républicains ait ses chances, cela supposerait deux choses : d’une part, qu’Emmanuel Macron n’ait pas réussi à créer ce grand parti centriste qui maintienne l'opposition aux extrêmes, droite et gauche, empêchant leur alliance et les condamnant à rester dans l'opposition ; d’autre part que sa personne soit devenue à ce point impopulaire que cela rende possible le fait que, comme l'écrit Jérôme Sainte-Marie, Marine Le Pen puisse envisager briser le fameux « plafond de verre » et être majoritaire au second tour de la présidentielle, se profilant alors un « tout sauf Macron ».

Dans ce cas, ceux qui ont contribué à mettre en place Emmanuel Macron seront obligés de changer de tête pour pouvoir continuer à mener leur politique. Comme il sera sans doute délicat de puiser dans les cadres de LREM, ils joueront alors l’alternance - comme celles que l'on a connu dans les années 80 et 90, faisant se succéder au pouvoir des majorités différentes qui menaient peu ou prou la même politique. Ce qui implique pour LR d’avoir des leaders compatibles avec les centristes... pour récupérer les futurs orphelins !

Maxime Tandonnet : Oui, le manque de clarté sur les alliances avec LREM est une maladresse d’autant plus incompréhensible que le pouvoir LREM est en grande difficulté et que l’effondrement de son image risque de rejaillir sur LR en cas de soupçon de complicité ou de complaisance avec lui. Il me semble que les Français sont en attente d’une troisième voie qui leur permette d’échapper au duel narcissique le Pen/Macron. Si LR se montre incapable d’offrir une alternative à ce duel, le risque est en effet de créer des orphelins de la politique, c’est-à-dire une majorité de Français ne se reconnaissant nulle part et qui iront nourrir l’abstentionnisme et le dégoût de la politique. Pour cela, il faut que LR ouvre la voie de la réconciliation entre les Français et la politique en donnant la priorité au débat d’idées et au projet de société sur le grand spectacle narcissique et nihiliste qu’est devenu la scène politique et qui révulse de plus en plus le pays.

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