Quand le patronat se noie dans la question de ses rémunérations (qui est loin de se limiter à la question de leurs montants) <!-- --> | Atlantico.fr
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Le parachute doré est toujours à la mode chez les patrons
Le parachute doré est toujours à la mode chez les patrons
©Reuters

Attention à la chute

Marc Lelandais, l'ex-PDG de Vivarte, entreprise qui vient d'annoncer 1600 suppressions de poste, aurait reçu un parachute doré de 3 millions d'euros lors de son départ. Une information que dément l'intéressé. Mais si la somme est symbolique, le problème du patronat français ne se situe pas forcément là.

Hervé  Joly

Hervé Joly

Hervé Joly historien et sociologue, est directeur de recherche au CNRS, laboratoire Triangle, université de Lyon. En 2013, il a publié Diriger une grande entreprise au XXe siècle : l'élite industrielle française (Tours, Presses universitaires François-Rabelais). Son dernier ouvrage : Les Gillet de Lyon. Fortunes d’une grande dynastie industrielle. 1838-2015 (Genève, Droz, 2015)

 
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Atlantico : La problématique des parachutes dorés fait ressortir les critiques habituelles de l'opinion sur la rémunération des dirigeants. Mais, dans la masse des problèmes de leadership dans le patronat français, pourquoi est-ce cette question, somme toute symbolique, qui ressort le plus ? Est-elle vraiment problématique par rapport à l'endogamie latente dans le patronat français ?

Hervé Joly : Marc Lelandais, qui n’est pas issu des filières classiques de l’élite scolaire française et a gravi les échelons en entreprise dans un parcours plutôt tourné vers l’international, est loin d’être une caricature de l’endogamie patronale et de la proximité avec l’Etat, comme ont pu l’être en leurs temps Jean-Yves Haberer ou Jean-Marie Messier. Les entreprises de la distribution autorisent des profils plus divers que les groupes industriels ou les établissements bancaires traditionnels. Là n’est pas nécessairement le problème.

Les échecs de Vivarte sont largement dus à de grossières erreurs de marketing et à une direction stratégique hasardeuse. Comment, malgré cet échec apparent, un dirigeant peut-il négocier pour lui une telle somme ? Pourquoi les contrats des PDG de grosses entreprises ne peuvent pas prévoir de faibles indemnités de départ en cas d'échec ?

Les erreurs apparaissent toujours grossières après coup.Les stratégies hasardeuses ont été élaborées par un comité exécutif et validées par un conseil d’administration. La faillite est collective. Le PDG, comme l’entraîneur d’une équipe sportive, est là pour jouer un rôle de fusible. Ce statut "précaire" se paie. Ce ne sont pas les indemnités de départ qui sont aberrantes. Elles correspondent comme pour un salarié ordinaire, en gros, à un ou deux ans de salaire. Ce sont les rémunérations qui sont astronomiques, à des niveaux de plusieurs dizaines de fois celui d’un cadre supérieur ou d’un haut fonctionnaire. C’est malsain. Cela amène les grands patrons à s’isoler socialement. Comment voulez-vous aller dîner au resto ou partir en week-end avec un vieux copain prof ou ingénieur si vous gagnez en une journée ce qu’il gagne en un mois ? Mais le problème n’est pas que français. Les rémunérations des grands patrons sont souvent plus élevées non seulement dans le monde anglo-saxon, mais aussi, contrairement à ce que dit Thomas Piketty, en Allemagne, malgré la forte représentation des salariés dans les conseils d’administration.

Malgré l'indignation de l'opinion publique, peut-il y avoir un quelconque changement dans les pratiques sans aucune réforme de la manière dont sont constitués les conseils d'administration, avec les participations croisées entre dirigeants ? Se focaliser sur la rémunération n'est-il pas un faux problème, voire un "contre-feu" ?

La composition idéale des conseils d’administration est un serpent de mer. Les codes de "bonne conduite" élaborés ces dernières années par les grandes organisations patronales ont privilégié les administrateurs "indépendants" qui ne représenteraient aucun intérêt financier. En pratique, ce sont souvent des administrateurs faibles, parce qu’ils ne peuvent s’appuyer sur une participation forte au capital et sont plus ou moins cooptés par l’équipe dirigeante en place. Et comme ils sont eux-mêmes d’anciens ou actuels grands patrons, ils vivent dans une même planète dans laquelle les salaires sont hors de toute mesure. Par ailleurs, même un bon conseil d’administration n’est pas à l’abri de valider ce qui s’avérera ensuite une erreur stratégique. C’est la glorieuse incertitude de l’économie de marché.

Le patronat peut-il se "s'auto-réguler" pour régler ses problèmes de leadership, ou faudra-t-il "légiférer", un changement radical ne pouvant venir que de l'extérieur ?

L’État est intervenu dans les entreprises publiques en imposant une limite de 300.000 euros annuels bien plus basse que les rémunérations habituelles du secteur privé. Cela ne semble pas décourager les ambitions dans les grandes entreprises où il y a d’autres enjeux de pouvoir, comme on l’a vu chez EDF, avec les sacrifices consentis par Henri Proglio qui s’est même accroché pour rester, ou comme on le voit chez France-Télévisions, où il y a pléthore de candidats, y compris du secteur privé. Certes, l’exemple du PDG de la RATP parti prendre un poste plus lucratif chez GdF-Suez révèle un risque de fuite vers le privé, mais un autre haut fonctionnaire parachuté se fera un plaisir de le remplacer… L’impact de cette mesure est de toute façon limité car il n’y a plus beaucoup d’entreprises publiques.

L’auto-régulation patronale montrant clairement ses limites dans le secteur, l’Etat serait en droit d’intervenir. Mais il n’est d’abord pas sûr qu’une telle mesure soit acceptée par le Conseil constitutionnel qui pourrait considérer qu’une limitation des prérogatives des actionnaires de fixer les rémunérations de leurs mandataires comme bon leur semble porte atteinte à la propriété privée. Ensuite, on peut se demander si une intervention dans un cadre national a un sens dans une économie ouverte. On risquerait d’assister à une délocalisation massive des sièges sociaux parisiens vers Bruxelles.

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