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Quand François Hollande réduit l’état d’urgence économique à un simple tremplin politique personnel
©Pools News/Reuters

Doctor Normal et Mister Cynique

Les Français comme les analystes politiques attendaient beaucoup de la conférence pour l'emploi de François Hollande hier. Mais déception ! A part quelques mesures déjà annoncées ou floues, le président de la République a surtout marqué son territoire politique en vue de 2017. Ouverture à droite en termes d'idées économiques, absence de Macron ou encore discours sécuritaire en toile de fond, les exemples sont nombreux... Et criants !

Jean-Jérôme Bertolus

Jean-Jérôme Bertolus

Jean-Jérôme Bertolus est un journaliste politique français. Spécialiste des questions de l'Elysée et du Gouvernement pour i-Télé, il a déjà publié divers ouvrages dont Tir à vue: La folle histoire des présidentielles, avec Frédérique Bredin, aux édtions Fayard, 2011 (disponible ici). 

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Jean-Luc Mano

Jean-Luc Mano

Jean-Luc Mano est journaliste et conseiller en communication chez Only Conseil, dont il est le co-fondateur et le directeur associé.

Il anime un blog sur l'actualité des médias et a publié notamment Les Perles des politiques.

 

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Atlantico : Dans son discours, François Hollande a beaucoup parlé d’El Khomri (ministre du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social) et très peu d’Emmanuel Macron, son ministre de l’Economie qui n’était d’ailleurs, de façon assez surprenante, pas présent. Est-ce sur ce point une façon de donner des gages à sa gauche ? Qu'est ce que cela signifie pour Macron ?

Jean-Jérôme Bertolus : Il cite le nom de Macron dans son discours quand même. Il dit d’ailleurs le « Ministre Macron ». Il faut savoir qu’Emmanuel Macron est clairement un agitateur du pays qui peut parfois agacer le Président mais qui a son feu vert pour avancer des idées. Maintenant, il faut le reconnaître que c’est dans le but, de temps en temps, d’irriter Manuel Valls. Mais ce qui est évident, c’est qu’à un an de la présidentiel, on ne peut pas tout se permettre et c’est pour cette raison que la loi Macron 2 va disparaître dans un texte Myriam El Khomri.

Le Président remplace un agitateur d’idées par une technicienne plus rodée politiquement. Celle-ci va ensevelir une réforme qui se voulait novatrice mais sous une autre qui aura néanmoins le mérite de ne pas mettre le feu aux différents corps de métier influents, et ce à quelques mois d’une présidentielle compliquée. Hollande ne tue pas Macron mais il l’utilise pour ce qu’il sait faire, à savoir son franc-parler tout en s’en éloignant pour son côté trop peu politique.

35h, indemnité chômage, etc. Peut-on parler d’un pied de nez politique en direction de la droite la droite, même s’il ne va pas jusqu’au bout de ces idées "empruntées" au final ?

Jean-Luc Mano : Hollande a appris au moins une chose de Sarkozy, c’est l’art de la triangulation, c’est-à-dire d’aller chercher des thèmes chez l’adversaire et les reprendre à son compte. Sarkozy l’a beaucoup fait et Hollande s’y met puisqu’effectivement il brise un certain nombre de tabous de la gauche (droit du travail, indemnisation du chômage, etc.). Mais ce n’est pas du tout nouveau. Le pacte de compétitivité accordé aux entreprises était déjà assez éloigné de la culture de la gauche française.

Il se positionne très clairement sur des thèmes qui sont ceux de la droite depuis 15 ans. Mais il les reprend à sa manière, à savoir en prenant en compte sa gauche. Il fait donc la synthèse entre sa droite et les frondeurs. Conséquence : ses idées sont amoindries. Il ne dit pas qu’il va supprimer les 35 heures par exemple mais il préfère annoncer qu’il va donner plus de libertés dans le dialogue contractuel au sein de chaque entreprise. Il contourne donc la question sans s’attaquer de front à l’icône que représentent les 35 heures pour son camp.

Il faut se mettre à sa place, cette longue phase de conversion est très difficile à tenir pour lui. Il l’a déjà fait sur les questions sécuritaires et il le fait de plus en plus en adoptant aussi une pensée plus libérale sur les questions économiques et sociales. Mais compte tenu de sa situation sur l’échiquier politique, il a besoin de faire des acrobaties avec un peu de souplesse.

Jean-Jérôme Bertolus : Je ne suis pas d’accord avec cette thèse. Je sais qu’elle est répandue chez les éditorialistes qui ont souvent affirmé qu’il ne s’attaquait pas aux vrais tabous. Qu’est-ce, tout d’abord, qu’un « vrai tabou » ? Il faut se méfier des mots. En effet, il ne touche pas au droit du travail tel que le souhaitait le patronat (vers un assouplissement de celui-ci). A première vue, il ne remet pas en question non plus la durée du travail légal, mais il touche à sa durée effective, notamment en ce qui concerne la gestion des heures supplémentaires qui pourraient être négociées à un niveau de branche ou même à l’échelon de l’entreprise. Donc il y a à ce niveau un assouplissement très net perçu comme tel par les syndicats (FO et CGT). Il limite les indemnités prud’homales, ce qui est en quelque sorte une vache sacrée pour la gauche. Et cela va être très dur pour le PS d’encaisser cette mesure. Hollande ne va pas très vite. C’est l’homme qui marche lentement, conformément au roman portugais, mais qui avance quand même. Parce que la polémique avec Macron sur la convention Unedic date de plus d’un an et demi. Et aujourd’hui, Hollande a statué en disant qu’il faut renégocier l’indemnité chômage. Donc sur ces points, il est clair qu’il y a un message fort aux partenaires sociaux. Je ne dirai pas qu’il a fait du pied à la droite sans finalement la rejoindre totalement sur ces questions de l’emploi. Hollande lâche quand même beaucoup de lest.  

En quoi ce discours de Hollande était-il davantage politique qu’économique ?

Jean-Jérôme Bertolus : L’essentiel de la stratégie du quinquennat en matière d’emploi avait été donné par Hollande le 31 décembre dernier. Tous ces derniers jours, on indiquait que le Président retomberait dans l’arène politique en détaillant hier ces mesures concernant l’emploi. Mais, en réalité, il a donné une ou deux précisions, comme la prime aux PME, fait quelques balbutiements mais il n’a annoncé aucune précision sur les autres réformes. Il y a une vision de la société mais, dans le détail, il n’y a pas de mesures.

Alors à partir de là, en quoi est-ce un discours politique ? Ce qu’on a souvent reproché à Hollande c’est un manque de vision et de perspective, il les a données hier, tardivement néanmoins. Mais clairement aujourd’hui, il trace les lignes de force politiques pour 2017 en donnant sa vision d’une société qui doit s’adapter aux évolutions rapides et constantes de son temps.

Jean-Luc Mano : On le savait déjà. L’intention est avant tout politique. François Hollande a lié son éventuelle réélection en 2017 à ses résultats dans le domaine de l’emploi, domaine dans lequel il est par ailleurs dans une situation d’échec. Toute démarche sur la question du chômage est donc d’abord et essentiellement animée d’intentions et d’arrière-pensées politiques. François Hollande n’a pas annoncé de surprises hier matin. Et il y a un décalage évident entre la clarté de ses intentions politiques et le flou de sa volonté en termes d’économie.  

Lorsque vous parlez de clarté des intentions politiques, quelles sont-elles selon vous ?

Jean-Luc Mano : Ce n’est pas seulement dans le discours que l’on peut faire ce constat. François Hollande a réalisé une très longue séquence sur les thèmes de la sécurité et de la bataille contre le terrorisme. Elle continue d’ailleurs à travers le débat sur la déchéance de nationalité, qui est certes devenu plus difficile que le Président ne l’imaginait, en particulier à cause d’une opposition farouche à gauche. Ces difficultés obligent Hollande à tenter de reprendre en main la situation qui pourrait lui échapper.

Les Français sont évidemment préoccupés par les questions de sécurité même s’il y a une forme de fatalisme dans l’idée que l’on vit dans un monde dangereux. A l’inverse, il n’y a pas de fatalisme sur le chômage. Comme cette question touche la plupart des familles françaises dans leur quotidien, on observe cette volonté-là. Donc François Hollande sait qu’il court un risque à se limiter au rôle du chef d’Etat engagé sur le terrorisme ainsi qu’à celui de président du comité des fêtes et des commémorations. Il donne de fait l’impression jusqu’à présent de beaucoup commémorer les événements malheureux comme heureux. Et il y a, par conséquent, la volonté de démontrer qu’il est aussi légitime dans le combat économique et dans la lutte pour l’emploi. C’est ce qu’il veut démontrer aux Français en tentant de reprendre en main ce sujet, qui est en définitive le chemin de croix de son quinquennat.  

Hollande a cette image de "Monsieur Synthèse" depuis qu’il a été Secrétaire national du PS. Mais à force de vouloir contenter tout le monde, ne risque-t-il pas de ne contenter personne ?

Jean-Luc Mano : C’est évidemment un grand risque et je ne suis pas loin de penser que les Français attendent des mesures avec un certain degré de radicalité. Le fait d’être en permanence dans la synthèse exclut toute radicalité dans la décision. Voilà un Président de la Vème République qui gouverne comme un Président du Conseil de la IVème, en tenant compte à chaque instant des équilibres politiques et des problèmes de sa majorité. On a par conséquent des mesures qui sortent abâtardies et affadies.   

Jean-Jérôme Bertolus : Le constat est sans appel : s’il y a bien un sujet sur lequel on ne peut pas faire une synthèse c’est bien sur l’emploi et plus globalement l’économie. Il y a quand même le plus souvent des gagnants et des perdants même si Hollande a parlé hier d’une liberté et d’une sécurité « pour tous », à la fois pour les salariés et les employeurs, cela semble difficile à réaliser. Sur ce sujet, le Président avance clairement depuis plusieurs mois et le Pacte de compétitivité du côté des employeurs. Il se rallie à l’idée, pour le moins de droite et patronale, que c’est l’entreprise, dans ce monde brutal et changeant, qui créé des emplois. On passe donc du socialisme à la social-démocratie avec un François Hollande qui se présente comme un modernisateur.   

Hollande a toujours fait attention aux mots quil utilise. En parlant de "plan d’urgence", on pense à "Etat d’urgence". Par ailleurs, il termine son discours par le mot "guerre" dans l’une des toutes dernières phrases. Ne joue-t-il pas sur les mots pour tirer parti d’une posture sécuritaire et autoritaire renforcée ou acquise à la suite des attentats de 2015 ?

Jean-Luc Mano : Oui, c’est une évidence. Je crois que François Hollande a compris il y a plus d’an, au moment où sa chute dans les sondages avait un caractère très violent et irréversible, qu’il fallait absolument conjurer le syndrome Flamby ou Pépère (expression provenant du Canard Enchaîné). Pour lui, c’était le piège principal de sa présidence. Il ne voulait pas donner l’image d’un chef d’Etat qui ne décide de rien, que ce soit dans sa vie privée et plus généralement dans la vie politique. Il voulait éviter de devenir le président velléitaire et sans détermination.

L’engagement guerrier au Mali a été le premier marqueur de cette évolution. Miracle ou révélation, à ce moment précis il a gagné plus de 10 points dans les sondages. Et puis les évènements s’enchainant, il s’est retrouvé leader de la lutte contre le terrorisme perpétré sur le sol national. Là encore à chaque fois, il y a eu un bénéfice politique, qui a toujours existé pour un chef de l’Etat devant faire face à une telle situation. Le syndrome Flamby ou Pépère aurait été absolument mortel pour Hollande dans une situation acérée de crise aux multiples visages (sur l’emploi, l’identité et la sécurité). Tous ses conseillers lui ont expliqué cela. C’est pour cette raison qu’il utilise en permanence un langage guerrier. Il met dans les mots la détermination qu’il n’a pas dans ses actes.                                       

La gauche de François Hollande et de Manuel Valls a fait le pari de l’unité politique dans le domaine sécuritaire (notamment sur la déchéance de nationalité) mais pas dans le domaine de l’emploi. Pourtant des hommes politiques de droite, comme Jean-Pierre Raffarin, l’avaient proposé. Pourquoi ce décalage dans la stratégie politique ?

Jean-Luc Mano : Ils ont effectivement créé une forme de consensus, malgré toutes les divergences préalables, sur la question de la lutte contre le terrorisme. Mais si on y ajoute une union nationale sur les questions de l’emploi et donc plus globalement sur le domaine économique et social, alors il y a de fait un consensus sur tous les sujets importants. Dans ce cas-là, la question qui sera posée à François Hollande c’est de savoir si le prochain remaniement ira dans le sens d’une grande coalition. Or la logique d’un gouvernement qui prendrait les réformateurs des deux bords en abandonnant les extrêmes de gauche comme de droite n’est pas souhaitée par le Pari socialiste d’aujourd’hui. C’est certes la volonté de Manuel Valls ou d’Emmanuel Macron mais ce n’est pas celle de François Hollande. Le Président est dans un schéma beaucoup plus traditionnel et archaïque.   

Jean-Jérôme Bertolus : Hier, le Président n’a pas véritablement cherché à tendre une main ou à en saisir une à droite. Des propositions ont pourtant été faite dans l’autre camp (LR) au lendemain des régionales, venant de Jean-Pierre Raffarin, de Xavier Bertrand ou encore de Christian Estrosi, le Président du conseil du Grand-Est. On aurait pu penser que Hollande s’en saisirait. Il n’est peut-être pas machiavélien mais il sait y faire sur le plan de la stratégie politique. Il a finalement décidé de ne pas jouer ce jeu mais cela ne veut pas dire qu’il ne le fera pas plus tard.

D’ailleurs s’il ne tend pas la main clairement, les signaux politiques sont présents. Il semble fort probable que Hollande va refaire le coup de Mitterrand en 1988 (NDLR : date de sa réélection présidentielle), à savoir la France pour tous avec un discours qui ratisse très large. Et comme, l’Assemblée nationale risque d’être ingouvernable, il va bien falloir trouver une majorité et dans ce cas un Président qui n’est plus présenté comme socialiste mais modérateur. Et s’il poursuit son discours en faveur de la baisse des charges pour les entreprises, il trouvera bien quelques parlementaires de droite pour le suivre sur ce terrain-là.  

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