Présidentielle 2022 : ce vague à l’âme des électeurs de droite qui pourrait bien ne pas se dissiper malgré la clarification des candidatures<!-- --> | Atlantico.fr
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Les candidats à l'investiture LR, Michel Barnier, Xavier Bertrand, Philippe Juvin, Eric Ciotti et Valérie Pécresse, avant un débat dans le cadre du Congrès LR.
Les candidats à l'investiture LR, Michel Barnier, Xavier Bertrand, Philippe Juvin, Eric Ciotti et Valérie Pécresse, avant un débat dans le cadre du Congrès LR.
©bertrand GUAY / POOL / AFP

Avenir de la droite

La candidature d'Eric Zemmour et le vote des adhérents des Républicains vont permettre d'apporter une grande clarification dans l'offre politique à droite pour l'élection présidentielle de 2022. L’absence d’un champion naturel susceptible d’être au second tour et de gagner face à Emmanuel Macron est-elle bien vécue par les électeurs de droite ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Atlantico : Eric Zemmour s’est finalement déclaré candidat à l’élection présidentielle ce mardi. Ce mercredi a commencé le vote interne pour élire le candidat Les Républicains. Cette semaine va-t-elle permettre une grande clarification de l’offre politique à droite ? Est-ce une bonne chose pour la droite et son électorat ?

Christophe Boutin : C'est effectivement une bonne chose, alors que nous sommes déjà au début du mois de décembre, c'est-à-dire à peu près à quatre mois de l'élection présidentielle, que les électeurs de droite aient une idée des principaux candidats qui vont porter leurs couleurs. On sait donc maintenant qu'il y aura Marine Le Pen pour le Rassemblement national, Éric Zemmour pour lui-même - et sans doute demain au nom du parti qu'il devra lancer -, et donc ce futur candidat LR que l'on connaîtra bientôt. En ce sens, la clarification n’est aujourd’hui pas complète au vu de la variété des options proposées par les différents candidats à l'investiture des Républicains : d’Éric Ciotti à Valérie Pécresse, les différences sont en effet importantes. Ce sera fini dimanche. À cela s’ajouteront les soutiens accordés aux uns ou aux autres par des personnalités de droite « hors partis », ou qui préfèrent ne pas se lancer dans la compétition.

Cette clarification va alors certainement se traduire par quelques mouvements dans les sondages. La déclaration de candidature atypique d’Éric Zemmour et son premier meeting vont-ils relancer une campagne qui a connu un petit passage à vide ? L’arrivée du candidat LR, les ralliements de ses anciens rivaux, la mise en ordre de marche d’un appareil partisan rôdé aux joutes électorales vont-ils permettre de rattraper le temps et les points perdus ? Enfin, maintenant que ses adversaires de droite sont connus, Marine Le Pen va-t-elle maintenir son avance ? Les seuls doutes qui persisteront porteront, pour certains de ces candidats, sur leurs chances de pouvoir financer leur campagne présidentielle d'une part, d'obtenir les parrainages d'élus nécessaires au dépôt des candidatures avant la date butoir du 26 février d’autre part.

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Mais la clarification des hommes n’est pas le seul point, il y aura aussi clarification des choix politiques qui vont être proposés aux Français. Elle a déjà commencé pour chacun d'entre eux, quoique de manière différente, plus élaborée peut-être pour Marine Le Pen, petit à petit, au cours des débats entre candidats à la candidature pour les Républicains, et au fil des déclarations publiques de la part d'Éric Zemmour. Tout cela va se décanter, et ce sera une bonne chose pour l'électorat de droite.

Reste que la réponse à la question de savoir si la fin du doute sur les candidatures est une chance, non pour l’électorat de droite, mais pour la droite, peut être plus nuancée, car trois candidats, c’est peut-être beaucoup. Certes, il ne semble pas actuellement, au vu de l’état de la gauche, qu’un de ses candidats soit présent au second tour, malgré cette division de la droite. Mais même si les thèmes classiques de droite, qui sont maintenant développés aussi bien par Marine Le Pen qu'Éric Zemmour ou, de manière plus étonnante pour certains d’entre eux, par les candidats LR, trouvent un fort soutien dans l'opinion, cette division pourrait contribuer à offrir à Emmanuel Macron un second mandat.

Maxime Tandonnet : La formule de « grande clarification de l’offre politique à droite » est excessive. Ce vote interne va certes permettre une clarification sur le plan de la droite LR qui disposera enfin de son candidat aux présidentielles. Pour autant elle ne mettra pas fin à la confusion générale, à droite de l’échiquier politique. En gros, l’électorat de droite se trouvera scindé en quatre catégories : LR, Macron-compatible, Zemmour et le Pen.  Entre ces quatre catégories, aucun compromis n’est possible et le seul rapport existant est de haine ou de rejet. L’électorat Zemmour réunit une sensibilité nationale qui ne se reconnaît pas dans la figure de le Pen. La droite « Macron-compatible » est foncièrement anti Zemmour et anti le Pen. L’électorat LR se constitue enfin par la quête d’une troisième voie en opposition au macronisme tout comme au nationalisme lepénien ou zemmourien.  Dans ce jeu de « billard à quatre bandes », la confusion est bien au contraire à son comble.

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Que ce soit Eric Zemmour, Marine Le Pen ou le candidat LR, ils se tiennent pour l’instant dans un mouchoir de poche dans les sondages. Quel impact cela va-t-il avoir sur la campagne une fois tous les candidats de premier plan connus ?

Christophe Boutin : Une petite réserve si vous le permettez sur des sondages à quatre mois d’une élection, quand on sait qu’une partie des sondés, qui répondent qu’ils ne pensent pas nécessairement aller voter, au fur et à mesure que l'on va se rapprocher de la date de l'élection - du moins peut-on l'espérer -, vont s’intéresser assez à cette présidentielle pour se rendre aux urnes. Même si ce retour aux urnes profite rarement à un seul candidat, il peut y avoir des évolutions, car on sait que certaines catégories socioprofessionnelles votent plus (les CSP+, avec une abstention plus forte chez les CSP-) comme aussi certaines classes d’âge (les retraités votent traditionnellement plus que les jeunes).

Quoi qu’il en soit, il est vrai que cette proximité dans les sondages pose un problème aux candidats de droite : quand l’accès ou non au second tour peut se jouer sur une poignée de voix, la lutte peut les conduire à se déchirer sans pitié. Le premier risque serait alors, se focalisant sur leurs rivaux de droite, de préserver en partie de leurs attaques - car ils devront faire des choix prioritaires en tenant compte de leur temps de parole -, un Emmanuel Macron qui, en tant que président sortant et les précédant actuellement dans les sondages, devrait pourtant être l’objet de toutes leurs attentions.

Le second risque serait qu’après cette lutte fratricide – car, qu’ils le veulent ou non, leurs électorats sont frères sur de nombreux points - la tension soit telle qu’elle empêche le regroupement nécessaire au second tour, quand il s’agira de fédérer les électeurs contre le seul rival encore en lice. C’est ici d’ailleurs que se place toute la question de candidats Républicains ayant d’ores et déjà annoncé que, dans le cas de leur absence au second tour, ils appelleraient à voter pour Emmanuel Macron. Il est permis de croire qu’une part non négligeable de leur électorat ne les suivra pas – à moins que ces électeurs n’aient envie de voter contre une personnalité à leurs yeux plus clivante que le Chef de l’État, car au second tour on vote « contre » au moins autant que « pour » -, mais il risque d’y avoir abstention, et donc défaite de la droite.

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Maxime Tandonnet : C’est difficile à dire aujourd’hui. Nous sommes dans la psychologie de foule médiatisée… Et rien n’est plus insaisissable et incertain que les réactions de la foule. Logiquement, la désignation d’un candidat officiel de la droite LR peut avoir un impact évident. Un candidat sera désigné. Il deviendra le porte-parole de la droite LR devant les médias. En outre, il aura été désigné à l’issue d’une procédure démocratique de vote interne d’un parti, dans un climat d’une parfaite correction. Les cinq candidats sont parvenus à exprimer leur personnalité et leurs idées sans sombrer dans l’invective et la guerre des chefs qui fut à la source de toutes les grandes défaites de la droite depuis quarante ans. En outre, nous savons grâce aux résultats des élections municipales, départementales et régionales depuis deux ans que la droite LR conserve un fort potentiel électoral dans le pays. Dès lors, l’émergence d’un candidat de droite LR pourrait – pourrait – se traduire par une percée dans les sondages qui le qualifierait pour le deuxième tour et rendrait ainsi une victoire possible aux présidentielles.

Du côté de l’électorat de droite, et malgré trois candidatures distinctes, comment est vécue l’absence d’un champion naturel susceptible d’être au second tour et de gagner face à Emmanuel Macron ? Si cet état de fait ne change pas une fois les candidats connus, quels sont les risques ? 

Christophe Boutin : Commençons par noter une chose : dans toutes vos questions, mais elles sont très révélatrices du sentiment actuel, la droite retrouve toute son ampleur, réintégrant les électeurs du Rassemblement national. Avec d’un côté l’apparition de l’ultra-droite et des « accélérationnistes », de l’autre le changement de ton de Marine Le Pen, ce parti semble réintégrer les catégories classiques de la politique, ce qui est logique, les spécialistes du sujet considérant que « l’extrême droite » stricto sensu n’est jamais sortie d’un ghetto électoral de 2 à 3%, très loin des scores du Rassemblement national.

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Ensuite, et curieusement en effet alors que les discours de la droite privilégient souvent l’image du chef, le problème est peut-être ici d'en avoir trop, avec cette lutte et ses effets dont nous avons parlé. Rappelons cependant que ce trop plein est né d’un vide, celui des politiques menées par la « droite républicaine » qui, pendant quarante ans, s’est refusée à prendre sérieusement en compte les questions de l’insécurité, de l’immigration et de l’identité. Comme le relevait Éric Zemmour dans sa déclaration de candidature, c’est ce vide qui a créé un appel d’air, pour donner une voix aux électeurs de droite abandonnés sinon trahis par ceux qui étaient censés les représenter. Cela a été le cas avec le Front National d’abord et, grâce au cordon sanitaire idéologique mis en place par François Mitterrand et accepté par la droite chiraquienne, cela a interdit parfois à la droite de revenir au pouvoir, mais plus souvent encore d’agir, soit en « gelant » une partie non négligeable de ses voix, soit en rendant certains thèmes tabous.

Mais l’appel d’air existait encore. Marine Le Pen, pour casser - en partie - le plafond de verre, a en effet rendu son discours médiatiquement acceptable en l’édulcorant et en en écartant certaines bases historiques – dont la question de l’immigration, centrale chez son père -, tandis que l’appareil de son parti, d’épurations en ostracismes, prenait par trop l’allure d’une structure familiale se satisfaisant finalement assez bien de rester dans l’opposition. D’où l’apparition d’Éric Zemmour, avec son discours de rupture clairement assumé.

Le résultat ce sont donc ces trois champions, ayant chacun leurs soutiens électoraux différents, et dont nous avons dit combien la rivalité pourrait profiter à Emmanuel Macron. Et pourtant, à bien y regarder, il y a un élément commun à bien des électeurs de droite, quand bien même sont-ils partisans de candidats différents, c'est leur conservatisme. Tous s’opposent en effet à la déconstruction de leur monde par un progressisme dont Emmanuel Macron est l'image la plus éclatante. Tous souhaitent que les choses évoluent, mais récusent l’idée de faire table rase des structures qui, jusque-là, ont permis à leur société d’être ce qu’elle est. Et c’est sans doute sur ce thème de la lutte contre le progressisme que ces électorats divers pourraient se réunir au second tour de la présidentielle derrière celui des candidats de droite encore présent – à moins, bien sûr, que leurs divisions ne conduise à ce qu’un candidat de gauche leur passe devant.

En ce sens, Emmanuel Macron joue un jeu dangereux : certes, les divisions entre trois candidats fractionnent l’électorat de droite, et il peut espérer que la lutte sera assez rude entre eux pour empêcher un regroupement de leurs électorats respectifs. Mais, inversement, ces trois candidatures ouvrent le spectre électoral, et entre le fonds commun conservateur et la détestation commune à nombre d’électeurs – mais moins, visiblement, à certains élus -  du progressisme macronien, il y a là des éléments de rassemblement.

Maxime Tandonnet : Le vote interne du parti est supposé permettre l’émergence d’un champion pour la présidentielle. Qu’il ne soit pas « naturel » n’est pas vraiment un problème. La vraie question tient à sa capacité de rassembler au-delà du parti. La clé de cette dynamique tient, me semble-t-il, aux chances du candidat LR de l’emporter au second tour de la présidentielle face aux candidat Macron. Elle tient à une prise de conscience de l’électorat de droite dans son ensemble (en dehors de celui qui est séduit par l’actuel chef de l’Etat).   Si le candidat LR s’impose rapidement comme le seul ayant une chance de l’emporter au second tour, il est tout à fait possible qu’une partie de l’électorat « national », la plus éclairée, se porte vers lui dès le premier tour, de même qu’une partie de l’électorat de gauche. Cette dynamique passe par une prise de conscience de l’électorat de droite, aujourd’hui tenté par le vote Zemmour ou le Pen, qu’aucun des deux – par leur caractère extrêmement clivant, incompatible avec le mode de scrutin – n’a la moindre chance, même la plus infime, de l’emporter au second tour contre Macron. Cette prise de conscience (éventuelle) est la clé d’une dynamique à droite qui peut bouleverser la donne.

Quelles vont être les clarifications dont l’électorat de droite va désormais avoir besoin ?

Christophe Boutin : Contrairement à ce que l’on pense peut-être, il n’est pas évident que l’électorat de droite – ou de gauche – recherche de manière prioritaire un programme multipliant les précisions et les concessions pour plaire à tous les « segments » dans lesquels des « spin doctors » de sous-préfecture découpent les citoyens. Et il est permis de penser que, plus que d’une personne qui a réponse à tout – car qui peut ici concurrencer Emmanuel Macron, son « en même temps », sa fausse empathie et son vrai cynisme, son sens du théâtre et sa vision du politique comme un grand oral qui n’aurait pas de fin ? -, figure dont ils se sont lassés, il souhaitent trouver quelqu’un qui ait en lui-même une boussole pour choisir, trancher, décider, et qui soit fiable.

En ce sens, la première clarification nécessaire portera certainement sur les moyens d’agir. Cocufié, trompé, roulé dans la farine et méprisé dans les années Chirac, une grande partie de l’électorat de droite veut reprendre la main – et c’est d’ailleurs une revendication que l’on retrouve dans l’ensemble de la France périphérique, de droite comme de gauche, même si les moyens demandés ne sont pas forcément les mêmes, du référendum à la démocratie participative. Il semble donc très difficile aux candidats qui voudront ses suffrages de ne pas préciser de la manière la plus claire quand, comment et sur quels sujets ils comptent redonner la parole au peuple. Une fois cela posé restera la question de la crédibilité du candidat à tenir ses engagements.

La seconde clarification est liée à la nécessaire projection dans l’avenir que suppose tout programme électoral, avec la question de la réconciliation des Français dans un nouveau projet commun. Or celle-ci passe nécessairement par la résolution de la question identitaire, car l'insécurité identitaire dans laquelle sont actuellement les Français, quelles que soient d'ailleurs leurs origines, empêche de voir renaître cette confiance entre citoyens indispensable à un sursaut national dont tout le monde a bien conscience qu’il est nécesaire.

Maxime Tandonnet : Pour l’instant, aucune dynamique ne s’impose clairement en vue du scrutin présidentiel. Même le président Macron, dans les derniers sondages, n’obtient que 23% au premier tour. C’est suffisant pour gagner l’élection présidentielle, surtout à la condition de se retrouver au second tour contre Mme le Pen ou M. Zemmour. Mais c’est un niveau médiocre pour un président adulé par 80% des faiseurs d’opinion et qui accapare l’attention médiatique en permanence ; surtout en pleine crise sanitaire où devrait s’exercer un réflexe légitimiste. Dès lors, le jeu reste très ouvert et tout peut basculer. La clarification attendue du futur candidat de la droite LR tient au sens de la politique. Il lui appartiendra de prouver qu’elle peut être autre chose que l’outil d’une exubérance narcissique, un mode d’action au service de la vérité et du bien commun, un engagement au service du pays et du règlement des grands défis de l’époque, la lutte contre la dette publique, le chômage massif et la pauvreté, l’insécurité et le déclin scolaire, le retour des libertés publiques, la maîtrise des frontières et l’intégration.

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