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Pourquoi se sur-tartiner de crème solaire est probablement beaucoup moins bon pour la santé que ce qu’on nous a répété depuis des années
©CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Ecran un peu trop total

Selon un article publié par Outsideonline, recensant de nombreuses études médicales sur le sujet, nos modes de vie - en intérieur et crème solaire à l'extérieur - seraient à l'origine de trop faibles teneurs en vitamine D dans notre sang, engendrant cancers, diabète, ostéoporose ou maladies cardio-vasculaires.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico: Comment faire la part des choses entre les risques encourus par une trop forte exposition solaire, et ceux encourus par une sous exposition ?

Stéphane Gayet : Chacun voit midi à sa porte. Depuis des décennies, le cancer d'une façon générale est le type de maladie qui est le plus redouté, car il est associé à la notion d'une évolution spontanément mortelle. Or, une forte exposition aux rayons solaires favorise les cancers cutanés.

Les phototypes cutanés

Thomas FITZPATRICK est un dermatologue américain qui a défini en 1975 six phototypes cutanés plus un. En fonction de notre phototype, nous sommes plus ou moins prédisposés aux effets du soleil sur notre peau. La mélanine est le pigment cutané qui règle la couleur de la peau. La "bonne" mélanine ou eumélanine joue un rôle protecteur essentiel vis-à-vis des rayons solaires. Ces six phototypes cutanés plus un (sujets albinos) sont très schématiquement en rapport avec la couleur des cheveux : le phototype 0 correspond aux sujets albinos ; le phototype I aux roux ; le phototype II aux blonds ; le III aux sujets châtains ; le IV aux sujets bruns ; le phototype V aux sujets dits méditerranéens ; le phototype VI aux sujets noirs. Plus le numéro du phototype est bas, moins le sujet a d'eumélanine et plus il a tendance aux érythèmes solaires ("coups de soleil") ; au contraire, plus le numéro du phototype est élevé et plus le sujet a tendance à développer un bronzage. Chaque personne doit tenir compte de son phototype afin de moduler son exposition solaire. Le bronzage qui est induit par les rayons ultra-violets de type B (UVB) reproduit la protection naturelle des phototypes V et VI.

Les cancers cutanés

Les cancers cutanés se développent à partir de l'épiderme, le tissu de revêtement de la peau en contact avec l'extérieur.

Les carcinomes cutanés sont les premiers des cancers cutanés par ordre de fréquence.

Les carcinomes basocellulaires (CBC) sont les plus fréquents (150 cas pour 100 000 personnes par an en France) ; ils ont une évolution lente ; leur malignité est essentiellement locale, mais elle peut parfois produire des délabrements ; ils se développent principalement sur le visage et ils épargnent les muqueuses.

Les carcinomes épidermoïdes (CE) sont moins fréquents (30 cas pour 100 000) ; ils peuvent avoir une évolution agressive et ils comportent un risque d’envahissement ganglionnaire régional et un risque de métastases à distance.

Les facteurs de risque des carcinomes cutanés sont en particulier : l’âge avancé ; les phototypes I et II (les peaux claires)  ; les expositions solaires (rayons UV). Les CBC sont plus favorisés par les expositions intenses et intermittentes, que par les expositions chroniques ; alors que les CE sont au contraire surtout favorisés par les expositions chroniques et cumulées.

Le mélanome (malin) est un cancer développé aux dépens des mélanocytes, les cellules qui fabriquent la mélanine ; il est moins fréquent (10 cas pour 100 000 personnes par an en France), mais de pronostic plus sévère que celui des carcinomes cutanés ; c’est l’un des cancers dont l’incidence (nombre annuel de nouveaux cas) a le plus augmenté pendant les quatre dernières décennies (hausse continue) au sein des populations blanches des pays du monde. Ce cancer cutané est très rare chez l’enfant et son pic d’incidence est vers 55 ans. S’il est diagnostiqué précocement, son pronostic est bon ; mais s’il l’est avec des métastases, l’issue est souvent fatale.

Les facteurs de risque du mélanome sont des facteurs génétiques (contexte familial de mélanome dans 10 % des cas ; si on a déjà fait un mélanome, le risque d’en avoir un deuxième est plus élevé) ; les phototypes I et II (peau claire ; roux avec des « taches de son ou de rousseur » ou éphélides ; blond aux yeux bleus) ; un grand nombre de « grains de beauté » ou nævus ; une exposition aux rayons solaires ou aux rayons UV artificiels, et tout particulièrement les expositions intermittentes et intenses (brûlures solaires) dans l’enfance, mais aussi à l’âge adulte.

La vitamine D

Longtemps connue comme la vitamine antirachitique, la vitamine D n’est pas vraiment une vitamine et son rôle est bien loin de se limiter à une action antirachitique.

La vitamine D a un côté vitaminique et un côté hormonal. Son côté vitaminique : comme toute vitamine et par définition, elle est indispensable à l’organisme humain qui la puise dans sa nourriture. Une insuffisance d’apport lors de la grossesse et de la petite enfance provoque une grave maladie du développement du squelette : le rachitisme ; et si cette insuffisance d’apport se produit après la croissance, elle provoque une fragilisation des os, l’ostéomalacie. Mais ce rôle sur le squelette n’est que le plus apparent, car elle a bien d’autres rôles qui portent sur des organes non squelettiques. Son côté hormonal : la vitamine D est synthétisée par la peau et diffuse ensuite par voie sanguine dans tout l’organisme (la peau a donc une fonction de glande endocrine ou hormonale), pour agir de façon indispensable sur plusieurs organes et appareils.

Les unités de mesure de la vitamine D : l’unité internationale (UI) est une unité de mesure fondée sur l’activité biologique mesurée (ou son effet). Une UI de vitamine D correspond à 0,025 μg (microgramme) de vitamine D2 ou D3.

Les sources alimentaires de vitamine D : l’alimentation apporte de la vitamine D2 ou ergocalciférol (d’origine végétale) et de la vitamine D3 ou cholécalciférol (d’origine animale). Les sources de vitamine D2 sont très peu nombreuses et c’est l’un des inconvénients du régime végétarien. Les sources de vitamine D3 sont plus nombreuses : elles sont principalement les poissons gras, les œufs et le fromage ; car la vitamine D est une vitamine liposoluble (soluble dans les graisses) ; elle est donc liée à la teneur en lipides (graisses) des aliments. Elle résiste assez longtemps à la chaleur jusqu’à 180°C.

La source endogène de vitamine D : la peau synthétise de la vitamine D3 sous l’action des rayonnements UVB. C’est en fait la source principale, ce qui fait que la vitamine D est plus une hormone qu’une vitamine. On estime que, pour un adulte en bonne santé, l’exposition au soleil (sans crème solaire) peut procurer de 80 % à 90 % du besoin en vitamine D ; cependant, cette estimation est à revoir à la baisse en France, où la capacité de synthèse est très faible entre novembre et février. Il convient de préciser que la vitamine D est stockée dans le tissu adipeux ou tissu gras pendant plusieurs mois (intérêt de l’augmentation du tissu gras à l’entrée de la saison froide). On estime qu’une simple exposition des mains, des avant-bras et du visage pendant 10 minutes entre 11h et 14h, trois fois par semaine, d’avril à octobre, suffirait à assurer une grande partie des besoins d’un adulte en bonne santé. Mais la capacité de synthétiser de la vitamine D3 est diminuée chez les personnes âgées, celles à peau pigmentée et en cas de pollution atmosphérique ou de couverture nuageuse. De la même façon, le port de vêtements couvrants et les crèmes solaires à index supérieur à 15 empêchent la synthèse de vitamine D.

De plus, la vitamine D (D2 ou D3) doit être transformée deux fois pour être active : déjà par le foie en 25-hydroxyvitamine D ou 25-OHD ou calcidiol, puis par le rein ou de nombreux autres tissus en 1-25-dihydroxyvitamine ou 1-25-OHD ou calcitriol. En fin de compte, la vitamine D apparaît comme une prohormone, c’est-à-dire un précurseur d’hormone, le calcitriol.

Les besoins physiologiques en vitamine D : étant donné que la vitamine D est stockée durablement dans le tissu adipeux, elle peut être apportée ou synthétisée de façon discontinue ; ce qui importe, c’est la concentration du sang en vitamine D (raison supplémentaire pour la considérer comme une hormone). On admet actuellement qu’une concentration favorable de vitamine D dans le sang se situe entre 30 et 60 ng (nanogrammes) de 25-OHD par millilitre de sang. En dessous de 20, on parle d’insuffisance en vitamine D ; en dessous de 10, de carence (c’est critique).

Les effets biologiques de la vitamine D : les travaux sur les effets de la vitamine D se multiplient aujourd’hui. En effet, on n’en finit pas de découvrir les actions de cette prohormone (ou de l’hormone calcitriol) sur de nombreux organes.

La vitamine D est essentielle pour la croissance et la qualité de l’os à tout âge, car elle est active dans la minéralisation du squelette. Elle protège contre la déminéralisation de l’os liée à l’âge. C’est l’activité qui est connue depuis longtemps.

Mais ce n’est pas tout et loin de là. La vitamine D améliore les aptitudes physiques, la vitesse et l’endurance par une action sur les muscles. Elle améliore la force musculaire, en particulier au niveau des membres inférieurs.

La vitamine D a aussi une action antioxydante.

Elle exerce également une action sur le système nerveux : elle stimule la synthèse de neurotrophines (des substances qui stimulent la croissance du tissu nerveux) ainsi que celle de certains récepteurs à ces substances neurotrophiques. Cette action est donc anti-neurodégénérative. Elle protège contre le déclin cognitif lié à l’âge ou aux maladies dégénératives.

La vitamine D a aussi une action immunomodulatrice et immunosuppressive ; cette action s’exercerait notamment sur le système nerveux, fréquemment attaqué. Il s’agirait principalement d’une action anti-inflammatoire qui porterait sur les cellules immunitaires sécrétrices de médiateurs pro-inflammatoires (cytokines). Elle s’opposerait aux phénomènes d’auto-immunité dans le système nerveux, mais aussi au niveau d’autres organes : articulations, peau, intestins…

La vitamine D a également une action cardiovasculaire selon des mécanismes complexes. Elle protègerait le cœur et les artères de la dégénérescence comme des maladies aiguës.

Cette liste n’est pas exhaustive. Elle laisse entrevoir un rôle systémique (sur tout le corps) que l’on ne soupçonnait pas, en particulier une action protectrice vis-à-vis de certains cancers (cancer colorectal, cancer de la  prostate, cancer du poumon…)

L’insuffisance de vitamine D dans l’organisme

La vérité est que l’insuffisance en vitamine D est un trouble très fréquent. En France, l’insuffisance en vitamine D (avec en pratique, une concentration du sang en 25-OHD inférieure à 20 ng par millilitre) atteint 25 % des adolescents, un peu moins de 50 % des adultes considérés pourtant comme « en bonne santé » et presque 80 % des personnes âgées.

La carence en vitamine D (concentration inférieure à 10) concernerait 25 % des adolescents (besoins importants), mais aussi 25 % des personnes âgées.

Étant donné les nombreux effets de la vitamine D, on peut entrevoir les conséquences d’une insuffisance et a fortiori d’une carence. C’est particulièrement dangereux chez la personne âgée dont les risques de chute et de fracture sont augmentés.

L’excès de vitamine D: l’hypervitaminose D

Il ne s’agit pas non plus de se gaver de vitamine D, car son excès est également dangereux. L'excès d'apport de vitamine D (plus de 1500 UI par jour chez l’adulte) peut provoquer des signes de surcharge vitaminique. Il s'agit d'une fatigue (asthénie), d'une perte d'appétit (anorexie), d'un amaigrissement, de troubles digestifs, de signes neurologiques (mal de tête ou céphalées, vomissements et même confusion mentale chez la personne âgée), voire d'une hypertension artérielle, d'une soif anormale, ou encore d'une insuffisance rénale et de calculs rénaux ; on a décrit des calcifications des vaisseaux et du cœur. Les nourrissons sont plus sensibles que les adultes à l’excès de vitamine D. Chez l’enfant, un excès de vitamine D peut se traduire par des lésions cérébrales ou rénales et peut aussi provoquer des anomalies des dents. On a décrit la survenue de convulsions. Des malformations fœtales (rétrécissement de l'aorte) ont également été décrites (excès d’apport pendant la grossesse).

Alors, comment faire la part des choses entre le danger d’une surexposition solaire et celui d’une sous-exposition?

En fin de compte, le « statut vitaminique D » optimal est difficile à atteindre avec notre mode de vie actuel. Nous avons besoin d’une exposition solaire pour plus d’une raison, pas uniquement la vitamine D. Mais le soleil est dangereux et il est capital de s’en protéger selon son phototype. Il est utile d’apprécier son statut vitaminique D à l’aide d’un questionnaire, dont le résultat permettra d’adapter son comportement et éventuellement prendre un complément médicamenteux.

Quelles sont les leçons que l'on peut tirer de cette situation ? Comment agir pour permettre une optimisation de notre vitamine D ? Nous protégeons nous trop du soleil, par exemple avec les crèmes solaires ?

L’être humain ne peut pas se passer de soleil. Nous ne sommes pas faits pour vivre à la lumière artificielle. De surcroît, il faut rappeler que la lumière solaire a un effet stimulant général et antidépresseur, peut-être par l’action de la vitamine D mais aussi par d’autres mécanismes. Il faut impérativement tenir compte de son phototype et surtout éviter à tout prix les «coups de soleil» qui sont de véritables brûlures particulièrement dangereuses, à court et à long terme. Quand on s’expose aux rayons solaires, il faut penser à protéger son visage dont la peau est assez vulnérable. Le bronzage est à la mode : il est considéré comme esthétique et il est apprécié de toutes et de tous. Mais plus on est bronzé et moins la peau produit de vitamine D. De plus, il faut garder à l’esprit le fait que l’exposition aux rayons solaires, indépendamment de la production de vitamine D par la peau, accélère le vieillissement de la peau et la formation de rides.

Il n’est pas nécessaire de doser la vitamine D dans le sang chez tout le monde. En pratique, on évalue la nécessité d’un apport médicamenteux de vitamine D selon le phototype, l’âge et le degré d’exposition aux rayons solaires. Il existe pour cela des questionnaires dont le but est de détecter une insuffisance en vitamine D. Lorsqu’un apport est décidé, on estime aujourd’hui qu’il doit être quotidien de préférence et à raison de 1000 à 1200 UI par jour.

Toujours est-il que cette étude citée en référence nous apprend que les apports médicamenteux sont souvent insuffisants et que l’exposition aux rayons solaires est irremplaçable. La question des crèmes solaires est délicate ; le mieux est sans doute d’éviter les brûlures ou coups de soleil par une exposition bien étudiée, surveillée et dosée, plus que par un usage systématique et copieux de crèmes solaires qui restent des substances chimiques artificielles.

Peut-on parler d'un retournement de situation sur cette question ? Les effets de la protection au soleil ont-ils été sous-estimés ?

Certes, l’incidence du mélanome augmente, c’est indiscutable, mais tout de même, on a trop tendance à être obsédé par les cancers. Comme en toute chose, c’est le juste milieu qui est souhaitable et en même temps difficile à atteindre. Le danger du soleil est devenu presque une hantise. Les dermatologues font leur travail de prévention, et de ce point de vue ils se sont montrés très efficaces. Mais on a exagéré. En fait, on est passé d’une époque (années 1960 et 1970) où l’exposition au soleil et le bronzage qu’elle provoque étaient tellement à la mode que beaucoup se sont exposés sans aucune précaution, avec en conséquence de multiples brûlures solaires (« coups de soleil ») ; d’où une augmentation des cancers cutanés.

Mais l’insuffisance en vitamine D et a fortiori sa carence sont graves. Et qui plus est, un bon statut vitaminique D pourrait protéger de l’ostéoporose, de la sarcopénie (fonte musculaire liée à l’âge), des chutes et fractures, des démences séniles et de la maladie d’Alzheimer, de l’hypertension artérielle, de l’infarctus du myocarde, de la sclérose en plaques, du diabète de type 1, du psoriasis, de la polyarthrite rhumatoïde, du lupus érythémateux, des maladies inflammatoires de l’intestin (liste bien sûr partielle) sans oublier certains cancers, ce qui est considérable : la vitamine D n’est pas une panacée, mais un énormément de personnes souffrent de son manque.

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