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Pourquoi notre croyance dans un monde infini nous empêche de nous émerveiller du monde dans lequel nous vivons
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Bonnes feuilles

Dans son nouvel ouvrage "Notre vie a un sens" (ed. Albin Michel), Bertrand Vergely s'attaque, dans cette réflexion majeure et originale, au sujet clé qui interroge nos existences : quel est le sens de notre vie ? 1/2

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Aujourd’hui, quelle est notre vision du monde ? Celle que l’on trouve chez Giordano Bruno ainsi que Fontenelle. Nous croyons que l’univers est infini et qu’il y a d’autres univers. La science, par ses observations, le confirme. Non seulement, il n’y a pas que notre système solaire, mais il y a la galaxie qui est composée de plusieurs soleils. Qui plus est, il n’y a pas qu’une galaxie. Il y en a des milliards. En outre, nous croyons dans la science et dans le progrès infini de la science. Associons l’idée d’univers infini avec celle de science infinie. Regardons-les avec les yeux de l’infini. Une chose ressort : on ne voit pas ce que notre univers ni ce que la science que nous connaissons peuvent avoir de spécifique. Puisqu’une infinité d’univers sont possibles, notre univers n’est qu’un univers parmi d’autres. Étant un univers parmi d’autres, il n’a aucune nécessité interne. Il est contingent. C’est un accident. Même chose pour la science, elle non plus n’a aucune nécessité interne. Il y a là une grande liberté, a-t‑on envie de dire. Est-ce si sûr ?

Faisons de notre univers un univers parmi d’autres. Une question se pose : quelle est sa réalité ? A-t‑il même une réalité ? Force est de constater que non. Noyé dans une infinité de mondes, notre univers n’existe pas. Il n’a aucune réalité. Il n’est qu’une fiction. Nous pensons qu’il existe. Nous rêvons. D’où la contradiction de la théorie de l’infinité des mondes. Celle-ci pense ouvrir le monde ainsi que la réalité. Elle les ferme. L’univers infini que l’on pense plus réel que le monde fini dans lequel nous évoluons est un univers fermé. Il n’existe pas. Or, l’univers dans lequel nous vivons existe et nous avons le sentiment d’exister. Comment est-ce possible ?

Pour le comprendre, il importe de faire la différence entre deux niveaux d’expérience, la première étant l’expérience banale de la réalité et la seconde son expérience profonde. Quand on a affaire à la réalité de façon extérieure, que cette réalité soit cosmique, vivante ou humaine, une chose saute aux yeux : la réalité est multiple. Elle n’arrête pas d’être multiple. Relative, changeante, diverse, sa réalité est de ne pas en avoir. De ce point de vue, qu’importe de dire que l’univers n’a aucune réalité. Quand on aborde la réalité de façon intérieure, il en va autrement. L’intériorité consistant à être concentré et être concentré à être un, il n’est possible d’être un que dans un univers qui existe et qui est non seulement un mais unique. À ce stade, pas question d’être dans le multiple, l’infini, l’irréalité.

Nous croyons que l’univers est une chose. Il n’est pas une chose. Il est un état de conscience. Il en va de lui, comme il en va de la réalité que nous côtoyons. En général, celle-ci n’existe pas parce que nous n’existons pas, parce que nous n’avons pas pris la décision d’exister, comme de faire exister ce qui existe. Vivant à court terme, uniquement préoccupés par le matériel, l’égotique et l’immédiat, nous vivons au gré de ce que nous pouvons maîtriser et de ce qui nous arrive. D’où l’impression de vivre dans un univers multiple, infini. Mettons-nous à exister en faisant exister ce qui existe, il en va autrement. Vivant ce qui est présent en étant présent à ce qui est, l’univers nous apparaît. Nous apparaissons en lui. Tout nous apparaît. Tout devient une apparition unique. C’est la raison pour laquelle il n’y a pas plusieurs univers. Il n’y en a qu’un, qui est l’univers au sens propre en tant qu’univers.

Il n’est pas facile d’accepter l’idée qu’il existe deux structures possibles de l’univers : l’univers comme chose en face de nous et l’univers comme apparition. Nous n’avons pas l’habitude de concevoir l’univers comme une expérience.

Habituellement, nous le concevons comme une chose face à nous en oubliant qu’il existe parce que nous le faisons exister. Nous oublions que nous ne sommes pas en face de lui et qu’il n’est pas en face de nous. Nous sommes en lui et il est nous. De sorte que nous sommes l’univers et qu’il est nous. Vivons l’univers ainsi à partir d’une expérience profonde. Nous pouvons redonner un sens à l’infini en faisant de celui-ci, non pas ce dans quoi tout se noie, mais ce qui résulte de la vie vraiment vécue. Quand nous sentons vraiment ce que nous vivons, les choses que nous sentons se mettent à exister. Quand elles se mettent à exister, elles sont toujours une et infinies à la fois. Elles sont une parce qu’elles sont bien ce qu’elles sont en ayant de la chair. Elles sont infinies parce que les vivre, les sentir, c’est ne pas cesser de les vivre et de les sentir.

L’univers comme chose n’existe pas. C’est l’apparition de l’univers qui existe. La vie spirituelle ne voit pas la réalité autrement que comme une apparition. Pour elle, l’univers est toujours neuf. Il est toujours en train d’apparaître. L’infini a du sens quand il est vécu et qu’il provoque un saisissement. Dès lors qu’il n’est plus vécu et qu’il ne provoque plus aucun saisissement, ce n’est plus de l’infini. L’infini ainsi que la pluralité des mondes tels qu’ils sont pensés aujourd’hui sont, comme le dit Bachelard, des obstacles épistémologiques. Être libre, c’est ne pas être limité et ne pas être limité, c’est pouvoir vivre dans un monde infini avec un progrès infini, nous dit la vision contemporaine de la liberté, du progrès et de la science. Cette vision est naïve. Être libre, ce n’est pas être illimité. C’est être illimité et limité.

La liberté est un paradoxe. Quand on est libre, on est libre à l’égard de tout. On est libre à l’égard de la limite, en n’ayant pas peur de l’illimité, comme on est libre à l’égard de l’illimité, en n’ayant pas peur d’être limité. Les Anciens avaient peur de l’illimité. Ils craignaient d’être noyés par lui. Les modernes ont peur de la limite. Ils craignent d’être étouffés par elle. Si bien que les Anciens se sentaient sécurisés par la terre alors que les modernes sont sécurisés par le ciel. La liberté consiste à passer partout.

Il est beau de progresser, d’aller dans l’infini, de découvrir le toujours nouveau. Il est également beau de s’arrêter, de ne pas toujours être dans le nouveau. Quand tout est toujours nouveau, c’est ne pas l’être qui est nouveau. Signe que le nouveau n’est pas ce que l’on croit.

C’est l’imprévisible dans le nouveau et non le nouveau.

Cela vaut pour l’univers. Le véritable univers est imprévisible, et c’est en cela qu’il est unique. Dans les recherches qui se font à son sujet, il faut s’attendre à être surpris et à voir bien des progrès supposés remis en cause. C’est là qu’il va y avoir un réel progrès.

Extrait de "Notre vie a un sens ! : une sagesse contre le pessimisme ambiant" de Bertrand Vergely, publié chez Albin Michel.

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