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Pourquoi les menaces de l’Arabie saoudite pourraient propulser le baril de pétrole à 200 dollars et provoquer une récession mondiale
©FRED TANNEAU / AFP

Effet de levier

Alors que la pression monte sur le Royaume saoudien, suite à la disparition de Jamal Khashoggi - Donald Trump ayant évoqué la possibilité d'une "punition sévère" - une source gouvernementale saoudienne a pu rejeter ces menaces en annonçant que "si le pays faisait l’objet d’une telle action, il réagira par une action plus énergique alors que son économie a un rôle influent et vital dans l’économie mondiale." Or, selon certaines sources, une riposte concernant la production pétrolière pourrait envoyer le prix du baril à des niveaux allant de 100 à 200 $ le baril.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico : En imaginant un tel scénario, quels en seraient les effets sur l'économie mondiale ? 

Jean-Paul Betbeze : « Un problème très sérieux » dit le Président Trump. En effet, notre monde danse sur un volcan, et s’envoie des menaces d’un bord à l’autre du cratère. Et ceci au moment où le FMI vient de recalculer la croissance à la baisse et d’avertir des risques d’une bataille protectionniste. Cette fois, la menace vient de l’Arabie Saoudite, suite à la disparition du journaliste Jamal Khashoggi, en rupture totale avec ce qu’on croyait être la stratégie du pays. 
L’Arabie Saoudite, dans l’esprit des marchés financiers, voulait accompagner la montée graduelle du prix du pétrole. Elle en produisait plus, pour satisfaire une demande croissante. L’idée était d’atteindre ainsi, peu à peu, un prix du baril de brut autour de 100$. Ceci permettait idéalement au Royaume de mettre en bourse 5% d’Aramco (son monopole pétrolier) pour en obtenir au moins 100 milliards $ et financer ainsi son programme Vision 2030. Il était vaste : « Arabie Saoudite : le cœur des mondes arabe et islamiques, la puissance d’investissement et le centre connectant trois continents ». 
Dans cette démarche, une éventuelle rupture aurait pu être économique, les États-Unis souhaitant plus de pétrole pas cher pour alimenter leur croissance non inflationniste, ou bien militaire, avec la montée des tensions avec l’Iran, l’Erythrée ou Qatar. 
Mais il semble qu’elle pourrait être politique, suite à un refroidissement des relations avec les États-Unis, l’allié le plus proche ! Une escalade verbale se met en place. Les États-Unis veulent savoir, comme la Turquie, ce qui s’est passé. Le Royaume-Unis la France et l’Allemagne disent qu’elles vont traiter le cas avec « un extrême sérieux ». Mais le Royaume rejette ces menaces et s’apprêterait à y répondre plus fort, sachant que l’économie du Royaume a « beaucoup d’influence et un rôle vital sur l’économie globale », selon une source gouvernementale anonyme – comme il est de coutume dans ce genre d’escalade.
Dans ce contexte, le prix du pétrole monte à 77$ le baril, faisant penser à 100$ voire à 200$ le baril, mais redescend à 71$ à mi-journée (heure de Paris) le 15 octobre. Tout semble fait pour éviter le pire, mais sans avoir trouvé d’explication pour la disparition du reporter. Les marchés semblent penser que la crainte du pire l’a fait éviter !
De fait, s’ils avaient pensé que le prix du pétrole allait monter, l’Arabie Saoudite freinant « seulement » sa production, le prix du baril s’envolait sur les marchés à terme, donc les taux à dix ans montaient vite, donc les bourses chutaient, tout ceci avant même que les prix n’aient effectivement augmenté ! L’Arabie Saoudite, qui est décisive pour ancrer les anticipations mondiales d’inflation, a ainsi la confirmation de son rôle mondial, plus financier encore qu’économique. En un mot, si l’Arabie Saoudite menace de produire moins, suite à ces accusations qu’elle rejette, elle fait plonger les marchés, puis la croissance mondiale. Jamais son « pouvoir de nuisance », comme disent les juristes, n’a été aussi élevé.

Concernant la France et l'Europe, qui, au contraire des Etats Unis, ne peuvent se reposer sur une production domestique, le risque n'est-il pas encore plus important ? 

La France et l’Europe n’ont pas de vraie stratégie énergétique intégrant des risques de conflit sévère. En matière de pétrole, les pays diversifient les sources, signent des contrats à long terme, stockent… mais les conceptions écologiques qui les animent ne sont pas confrontées à des conflits ou à des embargos stricts et durables. On nous dit plutôt que le diesel pollue, mais on ne peut pas dire que les véhicules à hydrogène soient très soutenus. Quant aux véhicules électriques, que l’on souhaite développer par des avantages fiscaux, dans notre pays en déficit budgétaire, on ne nous dit pas d’où ils tireront leur électricité si on veut, en France, réduire à terme de moitié le parc de centrales nucléaires. Le soleil est sans doute charmant, surtout le jour et en été, mais il donne une électricité chère et variable. Et l’éolien suppose du vent, de plus en plus contradictoire avec le réchauffement en cours. Au total, soleil et vent produisent moins de 10% de notre électricité, le nucléaire n’émettant pas de gaz à effet de serre.
Supposer que le monde est gentil, uniquement soucieux de la planète que nous laisserons à nos petits-enfants est non seulement puéril mais contradictoire. Réduire en effet le pouvoir des états pétroliers suppose de poursuivre ce que font les majors du pétrole ici, mais aussi de travailler sur l’évolution du travail (à domicile), la mobilité (électricité et hydrogène), le nucléaire et l’hydraulique, plus l’efficacité énergétique, en avançant des scénarios de tensions géopolitiques, à côté de prévisions techniques. Le risque, c’est de rêver.

Comment mesurer la probabilité de telles actions de la part de l'Arabie saoudite ? Les risques encourus par une telle action ne sont-ils pas disproportionnés pour le pays ?

Nous sommes dans une situation économique tendue, les États-Unis, avec Donald Trump, forçant leur machine économique au risque de la surchauffe avec une montée de l’inflation. Les derniers chiffres de septembre ont été de 2,25%, pas trop de quoi inquiéter la Fed, mais assez, pour l’heure, pour qu’elle continue à monter ses taux, pesant sur la bourse et énervant Donald Trump. Un prix du baril en hausse rapide, c’est une menace d’inflation, donc de montée des taux courts aux États-Unis et des taux longs partout. On peut imaginer, dans ce contexte, que l’Arabie Saoudite est parfaitement au courant des risques disproportionnés de ses menaces, d’autant qu’elle propose de réagir plus violemment encore en cas d’actions contre elle. 
Nous sommes donc dans une escalade de menaces et de contre-menaces, l’Arabie Saoudite sachant qu’elle met en jeu sa crédibilité et sa nouvelle politique, plus sa croissance. Mais les marchés financiers pensent qu’une solution sera trouvée, pas nécessairement morale, mais qui pourrait affaiblir le Crown Prince, et aider Donald Trump. Ils ont choisi d’attendre. Tout ceci est très risqué : nous venons de rallumer une autre source de tensions mondiales. Comme si cela ne suffisait pas !

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