Pourquoi les régimes et le sport ne suffiront pas à lutter efficacement contre l’obésité<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
La France est de plus en plus touchée par l'obésité.
La France est de plus en plus touchée par l'obésité.
©

Tout est dans la tête

Un sondage réalisé sur 175 000 Américains montre une progression de près de 2.2% du nombre d'obèses et de personnes en surpoids depuis 2008. Les auteurs, qui analysent le niveau de bien-être de la population, déclarent que la problématique de l'obésité se retrouve dans beaucoup de sphères de la vie privée, et que de ce fait les traitements actuels ne sont pas optimums.

Réginald Allouche

Réginald Allouche

Réginald Allouche est médecin et ingénieur. Il assure une consultation principalement axée sur le diabète gestationnel, la nutrition et la prévention du diabète de type II.

Son dernier livre publié aux Editions Odile Jacob porte sur ce théme du prédiabète : Du plaisir du sucre au risque du prédiabète, publié chez Odile Jacob.

Voir la bio »

Atlantico :  Un sondage (voir ici) réalisé sur 175 000 Américains montre une progression de près de 2.2% du nombre d'obèses et de personnes en surpoids depuis 2008. La situation est-elle comparable avec la France ? Comment définir notre approche de la lutte contre l'obésité, en forte progression chaque année ?

Réginald Allouche : Il n'est pas étonnant de constater que malgré les campagnes de prévention et les multiples programmes proposés aux Américains, l'obésité et le surpoids progresse.

Tout d'abord il est important de différencier surpoids et obésité. Prendre du poids lorsque l'on se nourrit trop ou mal tout en négligeant le minimum d'exercice physique est tout à fait normal. L'homme est un être résilient qui préfère stocker que déstocker pour assurer sa survie. Au stade de surpoids il est encore possible de retrouver un poids normal ou à tout le moins harmonieux. Lorsque l'on devient obèse, le métabolisme a changé car l'obésité est une maladie inflammatoire où les tissus et les organes sont agressés par les nutriments au lieu de s'en nourrir. Leur réaction est l'inflammation comme pour toute agression venant de l'extérieur. Les cellules de stockage appelées adipocytes se remplissent au fur et à mesure jusqu'au moment où elles sont si remplies qu'elles ne "respirent" plus et envoient des messages de détresse sous la forme d'hormones très inflammatoires (les cytokines) comme le TNF alpha ou l'inter-leukine 6. Ces hormones inflammatoires vont enflammer tous les tissus et organes et particulièrement le cerveau. L'obésité s'installe alors et il est très difficile de revenir à un poids normal. Les mesures diététiques et la pratique de l'exercice physique vont bien entendu avoir une action bénéfique mais cela ne suffit bien souvent pas.

Cela explique d'ailleurs le succès de la chirurgie bariatrique comme l'intervention appelée "sleeve" qui consiste à diviser l'estomac par 2. Cette intervention permet aux obèses de revenir à un poids harmonieux mais nécessite une prise en charge nutritionnelle régulière sur au moins 5 ans pour assurer le succès total de cette thérapie. Il faut ajouter à cela les problèmes d'isolement de la personne obèse qui parfois se replie sur elle-même. Il faut donc tout tenter pour éviter de passer du surpoids à l'obésité car l'obésité est une maladie très difficile à soigner.

En France, la situation est moins critique qu'aux Etats-Unis : l'incidence du surpoids et de l'obésité est de 45% mais le surpoids représente à lui seul 30% de la population. Néanmoins, la crise est en train de modifier cela. En effet, la qualité des aliments diminue et bien souvent l'apport en vitamines, minéraux, fibres diminue. Une pomme d'aujourd'hui apporte moins de vitamines et de fibres qu'il y a encore 20 ans. Cela est aussi vrai pour les légumes qui sont cultivés hors-sol où sur des terres plus pauvres. La force des Français : ils ont gardé la structure des 3 repas pris encore souvent en famille. Ces repas sont un bon facteur de régulation de la prise alimentaire. Les Américains quant à eux cuisinent de moins en moins et se font livrer des repas préparés industriels ou artisanaux qui pour des raisons de conservation ou de stimulation gustative sont riches en sucres et en graisses saturées sans parler des graisses hydrogénées industrielles qui sont inconnues du métabolisme de notre organisme. 

La grande distribution très présente des 2 côtés de l'Atlantique est aussi un facteur de surconsommation car sous couvert de promotions et de défense du pouvoir d'achat du consommateur, elle les pousse à consommer aidée en cela par des publicités bien ciblées et d'une efficacité redoutable. La publicité alimentaire à la TV est un facteur favorisant l'augmentation régulière de la consommation alimentaire.

Que perdons-nous à ne pas voir l'obésité comme un phénomène pluridimensionnel ?

Nous perdons tout à ne pas considérer l'obésité comme un phénomène pluridimensionnel. Le problème est dans le cas de l'obésité la multitude de causes directes ou indirectes qui conditionnent son augmentation dans la population générale. Il faut lister ici ces facteurs : 

- la baisse du pouvoir d'achat compensé par des achats de produits alimentaires à faible valeur nutritionnelle mais à fort pouvoir gustatif 

- l'ajout systématique de sucres simples dans les préparations industrielles même salées 

- l'utilisation de graisses hydrogénées difficiles à métaboliser pour notre organisme qui n'est pas génétiquement programmé pour les déstocker 

- la baisse significative de l'activité physique après la période scolaire

- le temps passé devant la télévision

- les repas pris devant la télévision, ceci augmente la prise alimentaire d'environ 10 à 15% selon les études

- l'offre pléthorique de produits salées et sucrés pour les enfants soutenus par des campagnes publicitaires ciblées 

- la consommation de boissons sucrés 

- la plus grande part du fructose comme édulcorant. Le fructose est métabolisé par le foie modifiant ses capacités métaboliques 

- l'alimentation du bétail par des céréales riches en oméga 6. Le maïs, le tournesol bases alimentaires des bovins sont riches en oméga 6 pro-inflammatoires 

- l'utilisation dans certains pays d'hormones anabolisantes pour augmenter les rendements de viande du bétail

- l'utilisation de produits chimiques perturbateurs endocriniens qui ne sont pas suffisamment réglementés 

- l'explosion de la cellule familiale qui n'impose plus les repas réguliers pris en famille 

- la volonté systématique de proposer des produits de "fête" au quotidien comme les croissants tous les matins, les viennoiseries et les pâtisseries industrielles

- le grignotage permanent

- les portions et les quantités en constante augmentation favorisées par les promotions et le "couponing" des grandes surfaces 

- des messages de prévention répétitifs qui perdent de leur efficacité avec le temps

- des légumes cultivés hors-sol et sans goût

- des fruits de belle couleur mais ayant perdu leur goût

- des gymnases, des stades et des piscines municipales trop souvent inaccessibles aux horaires des personnes qui travaillent

- une télévision et des écrans envahissants qui 'figent" les individus à leur domicile

- un sentiment d'insécurité véhiculé par certains médias invitant au repli 

- une urbanisation galopante qui ne créé plus facilement du lien et paradoxalement favorise l'isolement 

- la qualité nutritionnelle inégale de l'offre fast food qui est pour certains la seule offre abordable au quotidien en terme de prix - une information nutritionnelle pauvre et peu accessible

- l'absence de prise de position claire des médecins sur les bons régimes

- la diabolisation des régimes jamais compensées par la diabolisation du trop-manger ! 

La liste est incomplète mais elle montre les multiples facteurs qui interviennent et qui concourent à pérenniser et renforcer l'épidémie d'obésité et donc de diabète de type 2. Chacun de ces facteurs concourt à favoriser la prise de poids.

A quoi pourrait ressembler une prise en charge qui intégrerait toutes les dimensions qui font aujourd'hui défaut ? Cela peut-il vraiment être mis en place ?

Bien évidemment, on pourrait s'attaquer à tous les facteurs favorisant l'obésité mais aujourd'hui la technologie nous offre une opportunité historique. En effet, aujourd'hui une politique de prévention sérieuse peut être mise en oeuvre. Chacun dispose aujourd'hui d'un accès au réseau Internet et la plupart des nouveaux téléphones portables sont des smartphones qui peuvent délivrer grâce à leur écran plus large des informations de qualité. Dans peu de temps des programmes de coaching de nouvelle génération utilisables sur smartphones en connexion avec des "devices" du type glucomètre, balance à impédancemétrie, podomètre vont être mis à disposition. 

Ces programmes sont personnalisés grâce au recueil d'informations issus des "devices" au domicile. Les programmes pourront adapter les conseils nutritionnels et les conseils d'activité physique en tenant compte des spécificités de chacun. De plus, la dimension réseaux sociaux permettra aux personnes coachées d'échanger afin d'enrichir leur démarche personnelle. Surtout et par dessus tout, elles pourront faire partie de groupes actifs et conviviaux brisant ainsi l'isolement qui parfois enferment les personnes obèses.

Bien évidemment, la mise à disposition de ces programmes d'un genre nouveau n'empêche pas de tenter de réguler quelque peu l'offre alimentaire et surtout de clarifier les étiquettes des produits alimentaires. L'introduction de nouveaux indicateurs comme les mesures d'index glycémiques, la mesure du pouvoir addictogène, la capacité à rassasier de certains produits pourraient contribuer à aider la personne obèse à faire les bons choix. 

En ce qui concerne n'indispensable approche psychologique, elle n'a pas encore prouvé son efficacité et il est temps d'engager des recherches sérieuses sur ce sujet. Des techniques comme l'hypnose devrait faire l'objet d'études randomisées. L'obésité doit être considérée comme une maladie à part entière et ne plus être abordée sur le plan de la culpabilité. L'affirmation "tu es obèse parce que tu n'as pas de volonté" n'est pas acceptable. Un obèse est un être envahi qui ne parvient plus à contrôler son envahissement. La société toute entière doit se doter des moyens utiles afin d'enrayer cette épidémie qui a pour conséquence de préparer une autre épidémie celle bien plus grave du diabète de type 2. La France est encore bien placée, c'est le pays du bien manger et l'art de vivre, elle doit montrer l'exemple et ne pas se laisser elle-même envahir par des modèles nutritionnels et des produits qui prouvent tous les jours leur dangerosité à l'échelle planétaire.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !