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Pourquoi les prévisions économiques de la Commission européenne révèlent l’inquiétude des autorités quant à la probabilité d’une réelle sortie de crise
©Reuters

Tout doucement

Ce 13 février, le commissaire européen Pierre Moscovici dévoilait les dernières prévisions économiques de la zone euro; loin d'anticiper la fin de la crise qui frappe le continent depuis 10 ans, c'est la perspective d'une croissance toujours trop faible qui s'impose.

Frederik Ducrozet

Frederik Ducrozet

Frederik Ducrozet est économiste senior chez Pictet Wealth Management, en charge de l'Europe, depuis septembre 2015. Auparavant, il était économiste chez Credit Agricole CIB entre 2005 et 2015. Spécialiste de l'économie européenne, et de la politique monétaire de la BCE en particulier, ses travaux portent notamment sur le cycle du crédit, les politiques monétaires non-conventionnelles et leurs conséquences pour les marchés financiers.

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Atlantico : Le 13 février, la commission européenne publiait ses dernières prévisions économiques concernant la zone euro. Si la croissance est désormais attendue en hausse pour chaque pays de l'ensemble, les prévisions d'inflation pour l'année 2018 ne sont attendues qu'à 1.4%, c'est à dire à un chiffre bien inférieur au mandat de la BCE (2%). Comment expliquer ce chiffre ? Faut il y voir un signe d'inquiétude, ou un signe avant coureur d'un coup d'arrêt à la politique menée par la BCE depuis janvier 2015?

Frederik DUCROZET :L'analyse de la Commission européenne n’est pas très différente de celle de la BCE, et leurs inquiétudes sont les mêmes. Malgré des perspectives de croissance en nette amélioration presque partout en zone euro, les risques baissiers restent bien présents. Les prévisions d'inflation de la Commission, bien en-dessous de la cible de la BCE en 2018, reflètent effectivement des inquiétudes persistantes sur les pressions à la baisse sur les salaires et les prix à la consommation.

C’est en quelque sorte un héritage du passé, celui de la crise, qui fait craindre à la Commission et à la BCE qu’un désendettement prolongé, un taux de chômage durablement élevé, une croissance de l’investissement productif très insuffisante, empêchent une accélération de l’activité et une remontée plus rapide de l’inflation. Les économistes craignent notamment des phénomènes d’hystérèse, une forme d’habitude des agents économiques qui empêche tout changement de régime économique.

En termes de politique monétaire, les prévisions de la Commission ne font que confirmer la nécessité pour la BCE de maintenir un réglage très accommodant en 2017, puis de faire preuve d’une extrême prudence lorsqu’il s’agira de sortir progressivement des programmes de rachats d’actifs en 2018, puis de remonter les taux d’intérêt.

Quelles seraient les conséquences d'un coup d'arrêt à la politique de la BCE ? Alors que l'Allemagne affiche une inflation proche des 2% (1.9%), la pression venant de Berlin peut elle amener la BCE à revoir sa copie ?

La position officielle de la BCE est connue : elle est indépendante et aucune forme de pression politique ne saurait l’influencer. En interne, au sein du Conseil des Gouverneurs, on sait néanmoins que les débats sont devenus plus animés depuis la fin 2016, et que des voix discordantes se font entendre pour normaliser la politique monétaire et sortir des dispositifs exceptionnels mis en place pendant une décennie de crises. Plus généralement, la pression de Berlin ne peut pas être totalement ignorée par Mario Draghi dans le contexte politique que l’on sait, avant les élections de septembre, même si la Chancelière Angela Merkel et le Président de la Bundesbank Jens Weidmann ont réaffirmé leur attachement au principe d’indépendance de la BCE.

Le programme de rachats d’actifs (QE) continuera jusqu’en décembre 2017 au moins, conformément à l’engagement pris par la BCE en décembre dernier, mais il lui faudra probablement faire des concessions aux « faucons ». J’en vois deux possibles, en particulier : 1) amorcer un débat (qui n’a encore jamais eu lieu, officiellement), sur la stratégie de sortie de la BCE (calendrier et modalités de sortie du QE et des taux négatifs) ; 2) modifier le guidage des anticipations comme l’a récemment suggéré Yves Mersch, membre du directoire, en supprimant la référence à de possibles baisses de taux, voire en précisant le calendrier des futures hausses de taux.

Que traduisent ces prévisions d'une inflation faible en Europe ? Comment départager les éléments "exogènes", comme le prix du pétrole, de la composante relative à l'activité économique du continent ?

A court terme, l'inflation en zone euro va certes se rapprocher de la cible de 2%, mais sous le seul effet des prix de l’énergie, des produits alimentaires, et du taux de change, c’est-à-dire de l’inflation importée. La BCE a indiqué ne pas attacher d’importance à un rebond temporaire de l’inflation totale, tant que celui-ci n’a pas d’effet sur les salaires et les prix domestiques. Au contraire, la tendance de fond de l’inflation, dite sous-jacente, reste encore très (trop) faible, sous le seuil de 1% début 2017. Les chiffres les plus récents ne montrent pas de signes d’accélération, quelle que soit la mesure retenue. Sur ce critère, de loin le plus important, les prévisions de la Commission et de la BCE sont identiques (1.4% en moyenne en 2018). Ce n’est qu’en 2019 que la BCE espère revenir proche de sa cible, une fois les effets du pétrole dissipés et la croissance suffisamment robuste pour revenir à une situation « normale » dans laquelle la baisse du chômage entraîne enfin une remontée durable des salaires et des prix. La Commission note toutefois un début d'amélioration au niveau des anticipations d'inflation, en légère hausse sur la période récente, ce qui devrait réduire les risques d'effets dits de second tour sur les salaires et les prix que la BCE redoute particulièrement.

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