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Une récente étude du King's College de Londres, réalisée sur 7.000 enfants, démontre que d'importants liens existent entre railleries enfantines et problème d'obésité.
Une récente étude du King's College de Londres, réalisée sur 7.000 enfants, démontre que d'importants liens existent entre railleries enfantines et problème d'obésité.
©Paul ELLIS

Tu t'es vu ?

Une récente étude du King's College de Londres, réalisée sur 7000 enfants, démontre que d'importants liens existent entre railleries enfantines et problème d'obésité. Une problématique qui nécessite la vigilance des adultes contre ce harcèlement dévastateur.

Catherine Grangeard

Catherine Grangeard

Catherine Grangeard est psychanalyste. Elle est l'auteur du livre Comprendre l'obésité chez Albin Michel, et de Obésité, le poids des mots, les maux du poids chez Calmann-Lévy.

Elle est membre du Think Tank ObésitéS, premier groupe de réflexion français sur la question du surpoids. 

Co-auteur du livre "La femme qui voit de l'autre côté du miroir" chez Eyrolles. 

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Atlantico : Pourquoi un enfant peut-il souffrir de railleries, et comment ces moqueries l'exposent-il à un risque d'obésité ?

Catherine Grangeard : Dans la cour de récré, "se faire traiter" est une hantise pour les enfants. C’est une source de souffrances réelles. Les moqueries manifestent une agressivité, personne ne s’y trompe.

Beaucoup d’enfants souhaitent se fondre dans la masse afin d’éviter d’être ainsi objet de railleries. Pour asseoir les moqueries, les caractéristiques physiques sont retenues en premier lieu : "le roux", "le frisé" par exemple, "le gros" encore décliné comme "la baleine", "l’hippopotame" … mais aussi "le trop maigre" devenu "l’asperge", "le fil de fer" … Les couleurs de peau n’échappent pas aux commentaires, ainsi "le Noir" lorsque la majorité des élèves sont blancs et l’inverse si ce sont surtout des petits Noirs dans une cour d’école, "Blanche-neige" sera moquée.

Car il faut encore qu’une majorité existe pour que des caractéristiques soient ridiculisées. Les quolibets sont sévères avec les minorités et très vite les enfants savent ce qui est socialement valorisé ou pas.

Lorsque les divorces étaient rares, les enfants de divorcés souffraient des railleries désobligeantes. Il en est de même du statut social, et l’on peut comprendre comment les "marques" se sont imposées comme le nouvel uniforme, pour ces raisons…

Ensuite, se trouver réduit à une seule de ses caractéristiques est difficile à assumer. C’est réducteur à plus d’un titre. C’est ignorer la singularité du sujet derrière les apparences. C’est rapetisser l’être…

En ce qui concerne la corpulence, tout le monde voit dans la rue des affiches montrant les modèles de beauté, des corps minces et musclés, ou encore à la télé, dans  les magazines, etc... Par conséquent, il n’y a pas de hasard dans le fait de choisir comme cible les "trop gros" plutôt que les "trop maigres". Les "trop gros" baignant dans le même environnement culturel, voyant les mêmes affiches et, en plus, les médecins scolaires ou de famille ayant déjà attiré leur attention sur le fait qu’ils doivent "faire attention", ces enfants sont alors en position de faiblesse face à ces railleries.

Ils ont intégrés qu’ils sont en quelque sorte pris en faute. La culpabilité engendrée est une variante de l’angoisse ressentie. Paradoxalement les messages de prévention peuvent devenir des outils de stigmatisation… Il semblerait que le corps médical se fasse un peu peur avec le risque d’épidémie d’obésité à venir. Est-il vraiment supérieur à d’autres risques environnementaux ? Qui saurait le dire ? Définir un indice de masse corporelle (IMC) normal revient aussi à en considérer comme anormaux certains autres, de là à être ou se voir comme une personne anormale, parfois le pas est franchi. D’être perçu comme enclin à se laisser aller, de se voir accolé des défauts comme la gourmandise, la paresse, contribue à une dévalorisation de soi qui aura des conséquences dans les comportements.

Comment la nourriture peut-elle devenir un refuge, une compensation pour ces enfants ?

Logiquement ! Quand on est mal à l’aise avec quelque chose et que l’on est moqué, il faut trouver des parades. Ceux qui rétorquent que puisqu’ils sont plus gros que d’autres, ils sont aussi plus forts et se bagarrent vont moins être l’objet de ces railleries qui peuvent aller jusqu’au harcèlement, vous savez. Mais pour se rebeller, il faut s’en sentir capable moralement, légitimes pourrait-on dire.

D’autres, le plus souvent d’ailleurs, sont tellement mal avec ce qui est déconsidéré socialement, ayant intégré qu’ils ne sont pas "comme il faut" en arrivent à ressentir de la honte et se renferment. Comment être bien dans sa peau lorsqu’une particularité physique est dénoncée comme une disgrâce ? Chercher compensation dans ce qu’on aime et c’est souvent de la nourriture ; après tout s’ils sont en excès de poids, c’est aussi souvent parce qu’ils mangent un peu trop, dit-on… Parce qu’à la différence du roux, du Noir, du Blanc, le trop gros est aussi acteur de ce qui constitue l’objet de la désapprobation et des moqueries. Etre ainsi "mal vu" entraîne la recherche de réconfort… Le cercle devient vite vicieux !

Et, je n’ai encore abordé que les railleries entre enfants. Elles existent malheureusement aussi d’adultes vers des enfants. Cela peut venir des personnes s’en occupant, à la garderie, à l’école… On m’a rapporté des paroles de profs de sport assez désobligeantes. Je vous renvoie à Lucas (dans mon livre Comprendre l’obésité, aux éditions Albin michel). Ce garçon d’une dizaine d’années me racontait que son prof de sport lui faisait sans cesse des remarques sur ses kilos en trop l’empêchant d’être performant en activités physiques. Le prof n’hésitait pas à s’associer aux rires d’autres élèves à l’égard de ce garçon. Un sadisme certain s’autorisait alors ouvertement.

Dans certaines familles, des propos très désobligeants sont aussi adressés à ces enfants qui ne présentent pas bien, qui n’offrent pas un reflet flatteur, ou que sais-je encore… Les enfants sont mortifiés dans de telles situations. La honte ne les aide en rien et bien au contraire les précipite vers les compensations à leur portée. L’éducation ne peut aboutir à ses fins en utilisant la raillerie, si tant est que ce soit à but éducatif que ces mots blessants soient prononcés. Peut-être que les parents ont peur que l’enfant se mette en danger, physique et psychique avec l’excès de poids. "L’humour" peut être vécu comme cruel. Il faut réfléchir à comment un enfant reçoit les paroles pour éviter d’aggraver une situation estimée devant être améliorée. Lorsque le mal est fait, c’est parfois pour longtemps.

Quel rôle peut jouer la publicité dans ce phénomène ? Quelle importance accorder à l'éducation ? Et quels moyens la société peut-elle mettre en oeuvre pour lutter contre un aussi vaste problème de santé publique ?

L’étude récente de l’INPES (que l’on trouve sur le site de cet Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé) est très claire sur les effets négatifs des publicités sur les enfants. Elle préconise de réglementer sévèrement car les publicités ont comme unique but de faire vendre des produits pour lesquels les entreprises dépensent une somme d’argent considérable. Les enfants sont orientés vers ces produits au mépris de leur santé et de leur bien-être. Moins les parents sont éduqués et plus leurs enfants y sont soumis. L’éducation ne peut pas toujours s’opposer aux forces du marketing !

C’est en amont que les limites doivent se poser, tout comme dans d’autres consommations ayant des incidences néfastes sur le consommateur, je pense à l’alcool, au tabac… Les recommandations ne suffisent pas. Il faut interdire les encouragements.

Culpabiliser les personnes qui sont soumises aux tentations est d’une hypocrisie insupportable. Les traiter ensuite de "faibles" est inadmissible. L’étude demande également une restriction du marketing des produits alimentaires peu sains, disant qu’il faut viser à la fois la réduction de l’exposition des enfants et la force des messages. C’est sans appel !

L’impact des messages est très étudié par les publicitaires et la réponse sociale doit être d’une ampleur bien différente que les faibles réponses actuelles. Se pencher sur la question devrait être une priorité pour la Ministre de la santé ! Les leviers du changement sont (aussi) dans les mains des politiques.

A l’heure actuelle, c’est l’ARPP, une autorité d’Autorégulation publicitaire qui est juge et partie puisque lui est confiée la mission d’évaluer les publicités. Je vous laisse deviner l’évaluation ! "Tout va bien … il y a en tous domaines respect du public… que ce soit la personne humaine ou le consommateur. Aucun message n’est à revoir… Circulez, il n’y a rien à voir…" Ce serait risible si ce n’était si grave. Je n’exagère en rien ; le site de l’ARPP est visible sur le net, n’hésitez pas à vérifier mes dires. Voyez les résultats du JDP, jury de déontologie publicitaire. Voyez les modalités pour le saisir…

Le ministère de la Santé a été interpellé sur ces questions, ainsi que celui de la culture qui est le ministère de référence (sic !) pour la publicité.

Rien ne bouge. Pourtant l’obésité est par ailleurs écrite comme problème majeur de société. D’un côté les alertes alarmantes et d’un autre le laxisme… Pourquoi un tel paradoxe ? Que se passe-t-il pour traîner autant ? On n’a pourtant plus le temps de perdre du temps !

L'étude nous apprend qu'une chute de 12% du taux d'obésité serait envisageable si ces railleries enfantines étaient éliminées. Rencontrez-vous ce type d'adultes ? Certains pays sont-ils plus frappés que d'autres ?

Toutes les études montrent que les enfants ont été exposés aux quolibets. Partout… Je ne sais pas si 12 % est un pourcentage justifié. Mais ce que je sais c’est que les mots ont un poids considérable, qu’ils font mal. S’intéresser aux enfants est le meilleur moyen pour en avoir le cœur net ! Pour éviter les conséquences, prévenir vaut mieux que guérir… Toujours ! De très, très nombreux patients adultes se souviennent avoir été ainsi malmenés. Les traces ne disparaissent pas. En thérapie, elles s’atténuent.

Le poids des normes est considérable. Il emprisonne.

On peut, là encore, modifier beaucoup de choses. Et ce serait relativement simple de diversifier le profil des mannequins, qu’il y ait plus de femmes en rondeurs que de maigres. Pas une de temps en temps, non… Une proportion nettement plus importante afin que les jeunes filles puissent s’identifier à des Top Models qui n’exigent pas d’elles le yoyo des régimes menant vers les prises de poids ultérieures.

Il y a quelques années une campagne contre le harcèlement mettait en scène diverses situations dont un garçon assez gros. Voilà une excellente idée de multiplier ces messages. J’ai alors entendu des gens découvrir que c’était aussi du harcèlement que ces remarques désobligeantes, répétées. Il n’y avait plus de quoi sourire.

Lorsque l’on est jeune, il n’y a pas de distance critique avec ce qui est dit. Ce qui est blessant l’est d’autant plus que c’est intégré sans être élaboré, réfléchi, etc…

Se nourrir au mépris donne une image de soi bien triste et fragilise.

Les conséquences de ces introjections sont parfois dramatiques. "On m’a dit que j’étais comme cela, je le suis donc". Cette définition de soi par l’extérieur peut amener à une détestation de soi. Les mots de l’Autre ont un pouvoir dévastateur.

Par rapport à quelle norme un "trop" est-il établi et internalisé ? La construction de la norme est multifactorielle et il est indispensable de précéder par étapes à la déconstruction pour trouver comment agir, individuellement, et socialement… l’un et l’autre !

Individualiser est indispensable car chaque personne reconfigure différemment des données identiques.

L’inconscient existe et agit ! Par ailleurs, en prendre conscience, individuellement, permet d’éviter de telles empreintes, préjudiciables, dans l’éducation. C’est pour cela qu’il faut multiplier les messages. Si les conseillers des ministères ne connaissent rien de ces réalités, que nous soyons consultés sur le terrain ! Il n’est pas certain que tout soit aussi compliqué qu’il y paraisse… peut-être prendre tout autrement les choses sera payant.

Cet article est important puisque des personnes peuvent mettre ainsi des mots sur ce qu’elles ressentent, si elles ont vécu ce genre de choses autrefois. D’autres pourront éviter des remarques à des enfants. D’autres encore saisir l’importance de modifier les messages publicitaires, les normes véhiculées par les médias en général.

Pour terminer, je voudrais citer une phrase de Sénèque que j’aime beaucoup "Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous  n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles".

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