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Pourquoi les euthanasies clandestines sont plus nombreuses dans les pays qui l’ont légalisée que dans les autres
©JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

Rétablissement d’une vérité

Lundi 21 janvier, Jean-Luc Romero-Michel affirmait sur France 24 : « une sédation terminale, on vous endort, vous n’allez jamais vous réveiller : vous nous expliquerez la différence avec l’euthanasie ».

Tanguy Chatel

Tanguy Chatel

Tanguy Châtel est sociologue, membre du bureau de la Société Française d’Accompagnements et de soins Palliatifs (SFAP)

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Atlantico : Cette confusion entre « sédation terminale » et euthanasie modifie constamment les données du débat sur la légalisation du suicide assisté en France : le chiffre de 4000 euthanasies en France, en particulier, revient souvent à l’appui de la légalisation. En 2018, Caroline Fiat tweetait, le 24 janvier : « Il est temps d’encadrer les 4000 « euthanasies » clandestines », et le 28 février une tribune dans le Monde réunissait 156 députés dénonçant les 2000 à 4000 euthanasies en « catimini ». Cette erreur est-elle récurrente ? D’où vient-elle ?

Tanguy Chatel : Ces informations datent de 2010 et sont tirées d’une enquête de l’Institut National des Etudes Démographiques (INED) sur La fin de vie en France. Elles ont été interprétées par des gens qui ne les ont pas bien lues et les ont utilisées à mauvais escient. La société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) a, en de nombreuses occasions, signalé à ces personnes que ces informations étaient fausses et leur a demandé de cesser de les utiliser. En dépit de ces avertissements, ces personnes ont sciemment choisi de continuerà les propager. En 2018, le débat étant devenu très vif lors des Etats Généraux de la bioéthique, la SFAP a décidé, dans un souci de vérité et d’objectivité, de montrer que ces chiffres sont tout simplement faux, ce qu’ont confirmé les auteurs de l’étude eux-mêmes.

En quoi ce chiffre est-il trompeur ?

L’enquête de l’INED n’a jamais établi qu’il y aurait 4000 euthanasies clandestines en France. C’est une extrapolation tendancieuse, effectuée par des gens manquant de sincérité et de compétence scientifique.

L’INED définit l’euthanasie comme « le fait pour un tiers de mettre fin à la vie d’une personne à sa demandepar l’administration d’une substance létale ». Elle établit, à partir de son enquête, que les euthanasies (forcément clandestines dans le contexte juridique français) correspondraient à 0,2% des décisions médicales de fin de vie (INED, Population et société, n°494, nov 2012, encadré 3, p3), soit environ 1000 décès par an. Elle établit que « les demandes et les pratiques restent rares ».

Le chiffre de 4000 euthanasies (0,8% des décès) qui circule correspond à l’ensemble des décisions médicales d’administration d’un produit létal ayant entrainé la mort d’un patient. Il inclutcelles (les trois quarts) qui sont effectués sans le consentement du patientetqui sont purement et simplement des homicides. C’est donc une utilisation abusive des chiffres de l’enquête.

Cela a été confirmé par le Comité Consultatif National d’Éthique en 2012 dans son avis n°121 (p47). Il écrit : « Il est nécessaire, sur un tel sujet, de séparer la rumeur des faits. Cette publication de l’INED montre que les euthanasies sont rares : elles représentent 0,2% des décès si on associe l’intention de donner la mort, la demande du patient et l’injection d’une substance létale par un soignant, soit environ 1 100 des 550 000 décès annuels en France. »

La SFAP est la société savante spécialisée sur les questions de fin de vie. Elle est constituée de professionnels de santé, de psychologues, de chercheurs, etc. et est reconnue d’utilité publique. Nous avons considéré qu’il était, face à des affirmations aussi graves et maintenues, de notre devoir de dénoncer ces contre-vérités et de rétablir la véracité des chiffres et des faits.

Quelle est la différence exacte entre « sédation terminale » et euthanasie ?

D’abord, ce terme de sédation terminale est impropre. Il est souvent utilisé à dessein pour créer la confusion entre sédation profonde et continue d’une part et euthanasie d’autre part.

La loi du 2 février 2016 a créé un droit à « la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès ». Celle-ci consiste à plonger un patient dans un profond état d’inconscience afin de le préserver de souffrances trop fortes et ce jusqu’à la survenue de son décès, soit naturellement du fait des conséquences de la maladie, soit par une décision médicale d’arrêter des traitements qui le maintiennent en vie, justifiée par l’interdiction légale de l’obstination déraisonnable.

Dans son principe, la sédation profonde et continue n’est donc pas une euthanasie. De plus, les produits utilisés pour la sédation ne sont pas des produits létaux mais des sédatifs visant à anesthésier le patient. Par eux-mêmes, ils ne provoquent pas la mort. Dans certaines circonstances, s’ajoutant à un état de fragilité sérieux et préexistant du malade (en particulier en toute fin de vie), ils peuvent cependant contribuer à l’accélérer.

Il y a donc une assimilation non fondée entre les deux, parfois délibérée pour faire croire qu’il y aurait de très nombreuses euthanasies déguisées en France. En réalité, la loi étant très récente, on ne dispose pas encore d’un nombre suffisant d’enquêtes scientifiques sur ces pratiques pour pouvoir déjà les évaluer complètement.

Comment interpréter cette propagation de fausses informations ? S’agit-il d’une erreur ou de désinformation ?

Non, ce n’est pas une erreur, car on a eu l’occasion, à de très nombreuses reprises, de dire poliment et posément aux personnes qui les propageaient qu’ils faisaient une interprétation erronée de l’étude. Les auteurs de l’étude ont aussi publiquement dénoncé l’usage qui était fait de leur travail. Cet usage abusif et répété révèle qu’on n’est pas seulement en présence d’une erreur qui serait excusable mais en présence d’une construction délibérée servant des objectifs idéologiques et politiques. Ce chiffre, au même titre que d’autres informations erronées, est utilisé sciemment pour pousser à la légalisation de l’euthanasie en faisant croire qu’il y aurait en France plus d’euthanasies clandestines que dans d’autres pays où celle-ci a été légalisée. En réalité, c’est exactement l’inverse qui semble se passer.

Qu’en est-il dans les pays où l’euthanasie est légalisée ? Pourquoi l’euthanasie clandestine y reste importante ?

Il y a en fait tout un discours qui consiste à dire qu’à elle seule la légalisation de l’euthanasie est de nature à protéger des dérives : les chiffres dont on dispose désormais montrent l’inverse. Des travaux scientifiques montrent que le nombre d’euthanasie clandestines (rapporté à la population globale et au nombre de décès) serait proportionnellement plus important dans certains pays qui ont légalisé l’euthanasie : elles seraient entre 3 et 9 fois (selon le périmètre retenu) en Belgique qu’en France selon une étude scientifique belge publiée récemment. La légalisation de l’euthanasie ne protègerait donc pas des dérives. Elle pourrait même paradoxalement les favoriser.

Même quand il y a une légalisation, les dérives existent et persistent parce que d’une part la possibilité de l’euthanasie existe culturellement et que d’autre part les contraintes légales peuvent finalement être aisément contournées ou détournées. Il y a une idéologie en faveur d’une fin de vie administrée, d’une fin de vie sous contrôle, assez contemporaine qui veut passer sous silence ces informations.

Un article médical récent que nous relayons sur notre site démontre, faits à l’appui, que la Commission de contrôle en Belgique ne joue pas son rôle. En réalité, elle déclare elle-même n’être en état d’évaluer que les euthanasies qui sont déclarées et reconnaît qu’il y en a beaucoup qui ne le sont pas. De plus, les critères pour apprécier la légalité des euthanasies déclarées sont très peu précis. Et en seize ans d’existence de cette Commission, il n’y a eu qu’un seul cas qui a été déféré à la justice sur 15 000 euthanasies déclarées. Pour autant, la Commission de contrôle n’y trouve rien à y redire, ce qui a récemment provoqué la démission d’un de ses membres. Il faut sans doute souligner qu’elle est présidée et composée en grande partie de membres qui sont favorables à l’euthanasie, qui peuvent donc être juges et parties.

On a également des cas de dérives documentés en Suisse, aux Pays-Bas, aux Etats Unis et même au Canada (l’euthanasie y est légalisée depuis 2015) où des collectifs de médecins canadiens s’alarment déjà de la dégradation extrêmement rapide des pratiques et de l’éthique médicales. Tout ceci est argumenté et publié dans des revues scientifiques.Ce ne sont pas des propos de comptoir...

Globalement, on observe que les dérives s’opèrent le plus fréquemment par l’élargissement graduel des critères initiaux pourtant présentés à l’origine comme particulièrement stricts et protecteurs. Ainsi l’euthanasie a-t-elle été étendue aux mineurs en Belgique en 2014 (alors que dans les travaux initiaux de la loi l’excluaient formellement), et dans les faits (et sans doute bientôt en droit) elle est pratiquée sur des personnes démentes type Alzheimer. Ce qui signifie que l’euthanasie peut être pratiquée sans le consentement éclairé des personnes concernées alors que dans les textes initiaux assuraient que cela serait proscrit. On voit donc qu’il y a des glissements qui se font subrepticement avec le temps et que la loi une fois votée ne permet pas de garantir fermement et durablement les droits et la sécurité des patients.

L’important pourtant, c’est que les droits des personnes les plus vulnérables soient strictement respectés, et que le médecin ne puisse pas agir et décider selon son bon vouloir. C’est exactement ce que dénonçait l’enquête de l’INED et que confirment les observations faites dans les pays où l’euthanasie est légalisée : le nombre particulièrement élevé d’euthanasie sans consentement. C’est cela qui devrait aujourd’hui nous alerter.

La SFAP considère qu’il est de son devoir d’alerter et d’informer objectivement l’opinion publique afin de protéger en toutes circonstances les patients les plus vulnérables des dérives qui peuvent se cacher derrière les discours les plus libéraux et qui s’opèreraient in fine à leur détriment.

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