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Pourquoi les entreprises ont le moral au point d’augmenter les salaires, mais évitent de le crier sur les toits ?
©©Reuters

Atlantico Business

La question des salaires dans le secteur privé n’est plus taboue. Alors que le débat politique tourne en boucle sur les sujets sociétaux, les affaires continuent et les chefs d’entreprises ont le moral...

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Globalement, les chefs d’entreprises sont des Français comme les autres. Ils se plaignent tout le temps. Ils grognent, eux aussi, contre l’Etat et l’administration (un vrai foutoir), contre le président (qui fait ce qu’il peut mais avec arrogance), contre la gauche qui s’est perdue dans ses lâchetés, contre la droite qui s’est fracturée par hypocrisie, contre les syndicats trop faibles, contre les responsables politiques qui disent n’importe quoi en dépensant l’argent des contribuables, contre leurs salariés qui ne voulaient pas partir en télétravail mais qui aujourd’hui ne veulent pas revenir travailler, contre la Sncf qui fait grève, contre l’Education nationale qui n’éduque plus, contre les hôpitaux qui ne soignent pas...  Bref, on connaît le bréviaire. 

Mais ce qui est surréaliste, dans cette France « sens dessus dessous », pour reprendre le titre du livre de Sophie de Menthon, c’est que les chefs d’entreprises ont beau se plaindre comme tout le monde, dès qu’ils sont « au boulot », ils ont en réalité le moral. Ils ont même un moral d’acier. La situation économique est bonne, elle a même été rarement aussi bonne, à court comme à moyen et long terme. Les indicateurs macro-économiques sont au vert et les perspectives sont très porteuses. Alors, il y a des secteurs en difficulté et des dirigeants perdus certes, mais la plupart des difficultés et des dirigeants en perdition ne l’étaient-ils pas déjà avant ? Ces cas-là relèvent d’un autre dossier. 

Les sondages, les analyses réalisées par les banques et les organisations professionnelles apportent tous les jours des signes de moral bien orienté. D’autant mieux orienté d’ailleurs, que les plus honnêtes reconnaissent s’être trompés au démarrage de la pandémie en pleurant et annonçant une vague de faillites et de licenciement. La catastrophe ne s’est pas produite.

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Ce climat, incompréhensible pour beaucoup, soulève une série de questions. 

La première est de savoir pour quelles raisons les entreprises se portent bien et pourquoi leurs dirigeants ont retrouvé le moral.  

Très simple. Les entreprises ont le moral parce qu’elles travaillent et qu’elles ont des commandes. C’est aussi simple que cela. Une entreprise fonctionne si elle a un marché solvable. Ce qui est le cas actuellement. La pandémie a bloqué le fonctionnement de la production, ralenti la consommation. Mais dès que les risques sanitaires ont reculé, on a assisté à un rattrapage très rapide. On consomme ce qu’on n’a pas consommé et on produit pour répondre à cette demande. D’où les taux de croissance exceptionnels sur l’ensemble des pays développés. C’est d’autant plus fort qu’il y avait de l’argent non dépensé, de l’épargne et de la trésorerie. Y compris dans les entreprises puisqu’elles n’ont pas distribué de dividende et qu‘elles ont tourné au ralenti en étant aidées. 

Les entreprises ont d’autant plus le moral qu’il existe de vraies raisons de penser que le rythme d’activité va durer, parce qu’il y a des réformes structurelles qui s’imposent : la transformation digitale, les changements environnementaux et les mutations dans les habitudes de vie, de consommation et de travail. Autant de changements, autant d’investissements. Pris en compte, assumés et financés par les entreprises.  

Maintenant, est-ce qu’il n’y a pas des facteurs d’incertitudes qui risquent de bloquer le logiciel de croissance ? Sans doute, mais les chefs d’entreprises ont très bien identifié les zones de risque. 

Le premier risque grave est celui de l’emploi. Des secteurs tout entiers sont à l‘arrêt parce qu’ils ne trouvent pas à embaucher des salariés compétents. Dans le bâtiment et la restauration, le digital, la mécanique et le tourisme etc. beaucoup de salariés ont disparu, beaucoup souhaitent changer de jobs etc... Et certains ont perdu le goût du travail. La réduction de cette fracture d’emploi sera longue parce qu’elle passe par la réforme globale de l’appareil éducatif, ce qui ne dépend pas de l’entreprise. 

Le deuxième risque concerne les approvisionnements en matières premières et en composants venant des pays asiatiques. Ces importations-là sont bloquées ou retardées par des difficultés de transport ou par le ralentissement de l’activité économique en Chine, où les entreprises repartent mal et semblent avoir été abimées durablement.

Le troisième risque occupe beaucoup les débats politiques et porte sur l’inflation. La plupart des experts considèrent que l’inflation sera plus un sujet de débat que d’inquiétude. Les chefs d’entreprises européens n’y croient pas tant que la demande sera soutenue, forte et durable et que les moteurs de l’investissement et de la consommation seront allumés. 

Ces risques-là sont sans doute capables de préoccuper les politiques, mais ils ne sont pas en mesure de perturber les chefs d’entreprise ou les investisseurs. La bourse reste bien orientée et les organisations professionnelles, le Medef notamment, ne dit pas un mot. Tout le monde reste discret en reprenant le mot de Letizia Bonaparte, la mère de Napoléon : « pourvu que ça dure ! » 

Si les chefs d’entreprise ne se plaignent pas, ils ne pavoisent pas non plus. Ils se garderont bien d’intervenir publiquement dans la campagne présidentielle. Ils savent trop bien le rôle de coupable expiatoire qu’ils peuvent jouer. D’ailleurs, le président du Medef se tient discrètement à l’abri de tous les débats fiscaux ou sociaux qui peuvent partir comme des fusées de feu d’artifice. Les chefs d’entreprise ont une très bonne image dans l’opinion publique, pas question de gâcher une situation qui paraissait impossible avant le Covid. 

Ils sont tellement discrets que certains d’entre eux reconnaissent, en privé, qu’ils se préparent à augmenter les salaires pour éviter un détournement par la classe politique. 

D’abord, parce que ceux qui en ont les moyens trouveraient légitime de modifier un peu le partage de la valeur en direction des salariés, avant que les syndicats ne s’emparent de ce dossier avec le risque d’enclencher une spirale inflationniste généralisée. 

Ensuite, parce que beaucoup seront de toute façon obligés de le faire pour s’attirer les talents qui leur font cruellement défaut. 

Enfin, parce que si on veut éviter une explosion sociale dans les trois ans qui viennent, il faudra forcément rééquilibrer les rémunérations du capital et du travail. 

Bref, le moral des chefs d’entreprise est bon, au point où la question des salaires n’est plus taboue



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