Pourquoi les Corses sont-ils mégalomanes et paranos ? <!-- --> | Atlantico.fr
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"Les continentaux peuvent avoir le sentiment que beaucoup de Corses semblent souffrir de persécution."
"Les continentaux peuvent avoir le sentiment que beaucoup de Corses semblent souffrir de persécution."
©Flickr / Le Jhe

Bonnes feuilles

Paradoxaux, paresseux, hostiles... Si vous comptez partir en vacances en Corse, petit conseil : informez-vous d'abord sur ce peuple pas comme les autres. Extrait de "Ils sont fous ces corses" (1/2).

Robert  Colonna d’Istria

Robert Colonna d’Istria

Robert Colonna d’Istria, Corse, historien et écrivain, a publié de nombreux livres, récits de voyage ou reportages. La Corse à laquelle il a consacré une quinzaine d’ouvrages demeure un de ses sujets de prédilection.

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Un continental peut s’étonner, par exemple, de ce que, à propos de n’importe quel fait de société, ses interlocuteurs insulaires le ramènent inévitablement à la Corse. Qu’il parle de politique, de religion, d’art, de faits divers, d’expéditions lunaires, toute conversation revient toujours à la Corse. Comme à une idée fixe. Comme à une obsession. Invariablement. Pour en dire quoi ? Même pas que la Corse est au centre du monde, mais qu’il n’y a qu’elle. Qu’elle résume le monde, est le monde, et permet d’illustrer à peu près n’importe quel propos… Sans doute la Corse, le thème de la Corse, l’intérêt pour la Corse rassurent-ils ceux qui y vivent. Sans doute, surtout, ont-ils la crainte, s’ils parlaient d’autre chose, s’ils s’intéressaient à autre chose, que cela contamine leur cadre de vie, leur patrie, la terre de leurs ancêtres, leur passion, la Corse, à quoi ils tiennent par- dessus tout.

Le contenu et la présentation des journaux sont éclairants. Si l’on regarde, par exemple, ce que titraient, le 28 février 2013, Var-Matin et Nice-Matin, deux gros titres dominaient la une : le départ du pape Benoît XVI et celui de Stéphane Hessel, mort à quatre-vingt-quinze ans. Le même jour, Corse-Matin – dont les lecteurs ne sont pas moins catholiques ou indignés que les autres – met en avant un éboulement de terrain sur une route de montagne, un gérant de gîtes ruraux blessé par chevrotine (accident ou tentative de meurtre ?), la victoire d’une association locale de défense de l’environnement contre EDF. Rien – sauf le billet de Philippe Bouvard, commun aux trois éditions du titre –, rien en dehors de la Corse. Comme si le reste du monde n’existait pas.

On peut parler de n’importe quoi, il se trouve toujours, quoi qu’il se dise, un interlocuteur pour objecter : – Oui, mais chez nous, en Corse… Et, à propos d’un comportement étrange, bizarre, inquiétant, anormal, il se trouve toujours un interlocuteur pour commenter : – Ce n’est pas normal pour les autres, mais pour nous, oui… Tout cela, cet inépuisable narcissisme, parce que la Corse est une île. Et une montagne. Milieux qui, s’ils ont des mérites sur le plan géographique – paysages admirables qui plaisent aux touristes et aux contemplatifs –, sont néanmoins connus pour générer des sentiments de réclusion. Dans une île ou dans une montagne, on se sent enfermé, on a tendance à se replier, à ignorer le monde, à rester entre soi, à vivre, en définitive, au rythme de ses lubies et de ses obsessions. Folie ? Sentiment d’être assiégé ? Refus de la loi des autres ? Forte indépendance d’esprit ? Chacun appréciera.

Paranoïa ?

Les continentaux peuvent avoir le sentiment que beaucoup de Corses semblent souffrir de persécution. D’une propension à se croire victimes, attaqués, brimés, à se plaindre.

– J’ai parfois du mal, commente une de mes amies, à distinguer dans ces jérémiades ce qui est une demande d’amour de ce qui n’est qu’une marque d’hostilité ou d’agressivité. Les Corses croient peut-être que le reste du monde est un vert paradis, peuplé de personnes et d’institutions bienveillantes, gentilles, aimables, efficaces. On pourrait s’y croire à l’abri, en sécurité– c’est le cas…– mais on se sent aussi facilement délaissé, dans une île, menacé, en péril, et l’État – ou les autres incarnés en cette entité abstraite et commode, l’État – est coupable, forcément, par ses intentions et ses actes, par ses actions ou par son inaction, par sa nature même. Calculateur, pervers, tordu, il est responsable – et coupable, donc – de ce qui vous arrive. Cercle vicieux : persécuté, on a tendance, inquiet, à suspecter l’autre, à craindre qu’il ne vous en veuille. On se persuade que, par rapport au reste du monde – au continent –, on a la plus mauvaise part, etc. Ce n’est évidemment pas très fructueux. C’est ainsi.

Toutes les îles poussent-elles à la paranoïa, ou bien la Corse se distingue-t-elle en la matière ? Mystère.

Mégalomanies des îles

L’indépendance de la Corse, depuis quelques années, est à la mode. Beaucoup en rêvent. Mais quelques-uns s’interrogent sur la capacité d’une île d’un peu plus de trois cent mille habitants, sans industries, à garantir – seule – à sa population un niveau de vie qui, peu ou prou, au cœur de l’Union européenne, est aujourd’hui un des plus élevés du monde. Un bon esprit d’indépendantiste croit avoir trouvé la solution :

– On déclare la guerre aux États-Unis. Comme cela, les Américains débarquent sur l’île, nous mettent la pâtée, détruisent tout. Puis, comme ils font partout dans le monde, ils nous envoient des millions de dollars pour reconstruire le pays. On est sauvés…

– C’est pas mal ta solution, objecte un autre, mais si nous gagnons ?

En Corse, les mégalomanes ne manquent pas. À leur décharge, ils ont un modèle prodigieux, en la personne de Napoléon, devenu, parti de pas grand-chose, empereur des Français, maître d’une bonne partie du continent, fondateur d’une lignée royale… Depuis deux cents ans, ses imitateurs sont nombreux. Et si tous n’ont pas atteint les altitudes impériales, ceux qui ont bien ou très bien réussi dans leur domaine ne manquent pas.

L’excellent Jacques Laurent – qui était Corse par une de ses grands-mères, soeur du vaillant général Grossetti, héros de la Marne et de Verdun – a merveilleusement défini ses compatriotes : « Le Corse cultive, à défaut d’orangers, la fierté d’être pauvre et le souvenir de celui de ses fils qui, ayant daigné lever le petit doigt, a aussitôt conquis l’Europe. Napoléon est un souvenir et un alibi. Aucun Corse ne doute que, s’il voulait s’en donner la peine, il ne l’égalerait. Mais pourquoi ? » Toutes les philosophies du monde, les religions et les insoupçonnables vertus de la contemplation – pour ne pas dire de la paresse – tiennent dans cette interrogation : pourquoi ?

– La mégalomanie est un art.

– Et l’absence de volonté de passer à l’acte une source de « folie » ?

Extrait de "Ils sont fous ces corses", Robert Colonna d’Istria, (Editions du moment), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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