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Pourquoi le reste de l’Europe n’a pas à s’inquiéter d’une contagion des performances des droites populistes et extrêmes en Allemagne et en Italie
©TIZIANA FABI / AFP

Elections

Des résultats électoraux en Europe ont été dévoilés en ce début de semaine. La Ligue de Matteo Salvini vient de remporter lundi la Présidence de la région en Ombrie. En Allemagne, l'AfD est deuxième derrière Die Linke dans un scrutin régional en Thuringe.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico.fr : La Ligue (extrême-droite) de Matteo Salvini vient de remporter lundi la Présidence de la région en Ombrie, bastion du Parti Démocrate (gauche), avec 57,5% des voix et l'AfD (extrême-droite) est deuxième derrière Die Linke (gauche) dans un scrutin régional en Thuringe. 

Qu'est-ce qui explique les résultats de ces élections ? Quelle est la part du contexte socio-économique ? De l'histoire ? Du mode de scrutin ? 

Christophe Bouillaud : Bien sûr les développements électoraux dans ces deux régions doivent être mis en regard du contexte dans lesquels ils se déroulent. 

En Ombrie, c’est avant tout la fin d’un long règne localisé, celui du Parti démocrate (PD) et avant lui celui du Parti communiste italien (PCI). Des élections régionales anticipées ont dû être organisées cet automne, car le gouvernement régional dirigé par le PD est tombé à la suite d’affaires de corruption. La droite locale représentait donc en Ombrie pour les électeurs le camp de ceux qui n’y avaient jamais gouverné et qui pouvaient donc incarner à bon droit un renouvellement. Par ailleurs, le leader de la Ligue, Matteo Salvini, a réussi à imposer l’idée que cette élection régionale, dans une région de petite taille par ailleurs, représentait  un test national de popularité pour le nouveau gouvernement de coalition Parti démocrate – Mouvement Cinq Etoiles (M5S). Vu la hausse de la participation (+9,2% par rapport aux régionales précédentes en 2015), il semble bien que cet appel aux urnes contre le gouvernement national a fonctionné à plein. De fait, en  raison d’un mode de scrutin qui donne une majorité et donc le gouvernement de la région à l’alliance de partis ayant soutenu le candidat arrivé en tête,  les dirigeants nationaux du PD et du M5S ont cru bon de forcer à la présentation en Ombrie d’une alliance entre eux. Or le M5S avait été en pointe dans la dénonciation des affaires de corruption du PD local. Au final, cette alliance PD-M5S a sans doute plus mobilisé les électeurs de droite ou les mécontents du gouvernement local que son propre camp. La droite a gagné, et, au sein de la coalition des droites, la Ligue s’impose avec 37% des voix comme le premier parti et le parti post-néo-fasciste, Frères d’Italie (FdI) de Giorgia Meloni, atteint les 10%, laissant loin derrière lui,celui de Silvio Berlusconi. Forza Italia (FI) ne recueille en effet que  5% des suffrages. Donc, en Ombrie, c’est vraiment une victoire nette d’une droite unie de nouveau après l’épisode de l’alliance M5S/Ligue de l’année dernière, mais radicalisée. 

En Thuringe, à l’inverse, certes l’AfD, avec un leader aux propos très radicaux, fait un score historiquement élevé (23,4%), avec près d’un quart des électeurs, et passe devant le parti historique de la droite modérée, la CDU (21,8%), mais l’extrême-droite reste très minoritaire dans l’électorat et n’a toujours pas d’alliés. Elle va certes perturber le jeu parlementaire de la région, parce que le scrutin est proportionnel et que six partis ont passé la barre des 5% des suffrages (die Linke, Afd, Cdu, SPD, Verts, et FDP), mais, sauf rupture du cordon sanitaire à la fois par la CDU et le FDP, l’AfD n’aura guère de poids dans le gouvernement régional. De plus, contrairement à l’Ombrie, le chef du gouvernement régional sortant, Bodo Ramelow, un membre du parti de gauche radicale, die Linke, est conforté par le résultat : il obtient 31% des voix, en hausse de 2,8% par rapport au scrutin précédent. Les deux partis de gouvernement national, la CDU et le SPD, perdent certes des suffrages, mais le parti du président de région, dans l’opposition au niveau national, lui en gagne. 

Par ailleurs, ces deux régions se ressemblent par leur petite taille, par leur statut plutôt marginal dans leur pays respectif en matière économique, par la crainte de l’immigration qui y est bien présente, et par un gouvernement national peu populaire, cela peut contribuer à y expliquer la poussée concomitante de l’extrême droite, mais les électeurs n’y jugent pas de la même manière la performance du pouvoir régional, et surtout ils n’ont pas en face d’eux la même extrême droite. En Italie, depuis 1994, l’extrême droite participe pleinement aux coalitions des droites (1994, 2001-2006, 2008-2011. En Allemagne, l’AfD est très loin de pouvoir participer à quelque coalition que ce soit, surtout avec une direction actuelle de ce parti en voie de radicalisation qui semble de plus en plus s’efforcer de reproduire purement et simplement les discours d’Hitler lui-même. 

Quels types de régions européennes peuvent être concernés par la victoire, à plus ou moins long terme, de ces mouvements populistes ou d'extrême-droite ?

La poussée des partis d’extrême droite ou de droite extrémisée semble en effet avoir une forte composante régionale. On pourrait aussi penser aux récentes élections en Pologne, où le parti Droit et justice (PiS) l’emporte de nouveau nettement à l’est du pays. La percée de Vox en Andalousie pourrait constituer un autre exemple.

Il y a donc sans doute deux dimensions à cette régionalisation du vote extrémiste. D’une part, l’extrême droite n’est souvent que la trace actuelle d’une histoire particulière dans une partie d’un espace national, marquée sur le long terme par un refus des influences extérieures de toute nature ou pour un combat pour l’existence nationale. Plus généralement, pour expliquer telle ou telle zone de force, il faut donc revenir à l’histoire politique du XIXe et du XXe siècle. Comment pourrait-on rendre compte du résultat des élections en Thuringe sans rappeler que ce fut avant d’être un « nouveau Lander » de l’Allemagne réunifiée à compter de 1990 une partie de la République démocratique allemande (RDA) ? Le succès de die Linke d’une part et de l’AfD d’autre part sont des phénomènes qui ne peuvent se comprendre qu’en prenant en compte l’histoire de cette partie de l’Allemagne depuis 1945. De même la victoire de la droite en Ombrie apparaît comme une revanche à la domination de la gauche dans cette région depuis la même époque. Le succès des héritiers du néofascisme en 2019 alors même que les héritiers du communisme orthodoxe se situant à la gauche du PD plongent dans les abîmes de l’insignifiance électorale correspond à un changement de perspective mémorielle sur tout le XXème siècle.

D’autre part, il existe bien sûr un aspect socio économique. L’extrême droite prend bien mieux racine dans les régions en difficultés économiques. Cette concomitance de la victoire des droites en Ombrie et de la percée de l’AfD en Thuringe doit nous rappeler que l’unification de l’espace économique européen depuis 1989 a fait des perdants. Il est bien connu que les habitants de l’ex-RDA, trente ans depuis la chute du Mur, se sentent pour une grande partie d’entre eux comme des citoyens de seconde zone dans la nouvelle Allemagne. Cela correspond de fait à l’écart encore bien réel de développement économique persistant entre ancienne RFA et ancienne RDA. De même, du point de vue de l’histoire économique du continent, avec son appartenance pour le moins ratée jusqu’ici  à la zone Euro au regard des espoirs qu’y avaient mis les élites italiennes, l’Italie toute entière fait partie des perdants des trente dernières années. Dès lors, ce qui est vraiment différent entre la situation allemande et italienne est le fait qu’en Italie la droite avec son virage à l’extrême droite est en train de gagner partout, parce que toute l’Italie souffre de cette situation économique de déclin relatif, alors qu’en Allemagne, certaines régions du pays vont très bien, car elles constituent le cœur industriel ou financier de toute la zone Euro. 

Il faut ajouter qu’on ne peut guère imaginer dans l’Europe contemporaine d’extrême droite qui ne s’empare de l’enjeu migratoire. Dans les cas italien et allemand cités, ce fut évidemment le cas. 

Souscrire à l'idée d'une menace populiste généralisée en Europe, n'est-ce pas exagérer l'impact de ces mouvements sur des régions plus protégées ?

Oui bien sûr, il y a de toute façon une attention disproportionnée dans les médias pour les résultats électoraux des partis dits populistes, en pratique d’extrême droite. Ces partis ne sont pas présents partout dans l’Union européenne comme l’ont montré les élections européennes du printemps dernier. Ils progressent certes, mais leur poids varie beaucoup selon les pays et les régions. Il faut ajouter en plus qu’on peut très bien avoir des partis d’extrême droite forts dans des régions ou des pays en pleine vigueur économique, comme la Suisse alémanique avec l’UDC ou la Flandre belge avec le VB, la Suède avec les SD ou bien le Danemark avec le DFP.  

Par contre, il faut bien admettre que deux pays paraissent très menacés par leur éventuelle domination : l’Italie d’abord. Avec ces élections en Ombrie, Matteo Salvini devient le leader pour longtemps des droites italiennes, comme le fut avant lui Silvio Berlusconi. Or son discours est indéniablement d’extrême droite, en particulier sur les questions migratoires et celles ayant trait à l’évolution en matière de mœurs de la société italienne. Avec l’affaiblissement de Silvio Berlusconi qui a évité d’avoir un successeur de valeur pour prendre la tête de la droite modérée,  l’Italie n’a plus de fait de grand parti de droite classique – sauf à considérer, comme certains, que Matteo Renzi est le futur rassembleur de cette droite modérée avec le centre-gauche qu’il représente. 

En second lieu, il y a  la France : le succès électoral du Rassemblement national y est fortement indexé au statut économique de chaque région, département, commune, quartier. Ce parti mobilise tous ceux qui se situent socialement, économiquement et géographiquement à l’opposé de la « start-up nation » à la Macron, et qui voient l’immigration comme leur préoccupation principale. Le RN est donc particulièrement apprécié partout en France là où cela va mal, de la région des Hauts-de-France à Mayotte, en passant par Béziers, et où des immigrés sont présents. Il suffirait donc que toute la France connaisse dans les années à venir un déclassement semblable à celui de l’Italie pour que le Rassemblement national s’affirme encore plus sur tout le territoire national. Cependant, à ce jour, contrairement à la Ligue, le RN n’a pas d’allié important à sa gauche ou à sa droite. Malgré son changement de nom, il reste, comme l’AfD, un parti condamné à gagner ou à perdre seul. Il va essayer de le faire aux prochaines municipales de 2020, avant de tenter de nouveau de tout gagner ou de tout perdre aux élections présidentielles de 2022. 

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