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Pourquoi le Grand débat risque de tourner au piège sociologique pour la droite
©PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP

Dépassée sur sa gauche

Le Grand Débat est censé transmettre la parole de tous les Français. Mais sa nature même pose certaines questions.

Bernard Sananès

Bernard Sananès

Bernard Sananès est président d'Elabe. Il est diplômé de l'Institut d'Etudes Politiques d'Aix en Provence, et de l'Institut Pratique de Journalisme.

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Atlantico: Quels sont les biais que l'on peut déceler dans la participation de la population au grand débat ? Quels sont les groupes qui seront surreprésentés, et ceux qui seront sous-représentés ?

Bernard Sananes: Il est encore un peu tôt pour avoir des certitudes. Le débat vient d'être lancé, nous avons pour le moment une photographie de l'intention de participer. Dans la dernière enquête ELABE pour BFMTV, 40% des français disent qu'ils ont cette intention d'une manière ou d'autre, que cela soit physiquement ou par internet, dont 13% disent qu'ils participeront certainement, soit 5 millions de personnes environ. Ce qui serait un chiffre important. On peut également assister, pour la suite, à un effet boule de neige, si les débats se passent bien. Si les gens ont l'impression que l'on peut parler de tout, s'il n'y a pas de diatribes et que les gens parviennent à s'entendre, alors la participation peut augmenter significativement. Les premiers retours médiatiques seront à ce titre très important pour la mobilisation finale.

Ce que l'on observe est que les 16% de la population qui se disent Gilets jaunes sont surreprésentés, parce que 25% d'entre eux (soit deux fois plus que la moyenne de l’échantillon) se déclarent certains de participer. Si l'on prend le taux global de volonté de participation (certainement et probablement), on atteint le chiffre de 62% comparativement aux 40% de l'ensemble.

Puis, sur un plan socio démographique, on constate que les 18-24 ans, tout comme les retraités, sont moins concernés par le débat. Ce sont plutôt les actifs, les hommes, les habitants des petites communes et des villes moyennes, qui déclarent la plus grande certitude de participation.

Enfin, ce sont plutôt chez les électeurs issus de la gauche (Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon) que cette certitude est également la plus élevée tandis que les électeurs de François Fillon déclarent la plus faible intention de participer.

Quels sont les risques pour Emmanuel Macron de voir une sous-représentation de la droite alors même qu'il parvient à redresser sa popularité sur cette même base ?

Les électeurs de droite attendent d'abord de voir si ce débat va se dérouler dans l'ordre. On sait que la petite remontée de popularité d'Emmanuel Macron à droite s'est principalement faite après les interventions de l'exécutif sur la priorité de la restauration de l'ordre public et auprès des retraités, nombreux dans l’électorat de droite, après les annonces du 10 décembre. Cet électorat sera sensible à l'idée que le débat se déroule dans le calme. On le voit bien dans une autre question de l'enquête puisque 7 français sur 10 se déclarent t inquiets des violences qui pourraient entourer le débat, chiffre qui atteint 85 % chez les anciens électeurs Fillon

Effectivement, ce serait un risque pour l’exécutif que l'électorat de droite se tienne à l'écart de ce débat Dans ce cas, le socle réformateur d’Emmanuel Macron serait affaibli. On sait qu'une moitié de l'électorat de droite à un moment ou à un autre de l'année 2018, exprimait sa confiance envers le Président de la République, même si ce taux a baissé au cours de ces derniers mois. Au pic de ce mouvement, printemps 2018, cette moitié de l'électorat de droite avait rejoint Emmanuel Macron sur la volonté de réformer avant toute autre considération.

Si ces électeurs-là ne sont pas représentés dans le débat, ce serait évidemment un affaiblissement pour Emmanuel Macron mais aussi pour la droite. Imaginons que le débat soit un succès en termes de participation. Les contributions vont faire l'objet d'une synthèse générale - qui reflétera logiquement les idées portées par les participants. Dans l’hypothèse où cette synthèse refléterait de manière très majoritaire des prises de position–d’opposants à Emmanuel Macron, la volonté réformatrice du Président aura du mal à s’appuyer sur la légitimité du débat.

Prenons l'exemple de la maîtrise des dépenses publiques qui est une priorité pour l'électorat de droite. Si ceux qui veulent défendre cette priorité (chez les électeurs de droite comme chez les macronistes) sont absents, le débat et la synthèse feront une large place à ceux qui sont favorables notamment à laisser filer le déficit.

Quelles seraient les conditions d'un succès de ce Grand Débat ?

S’agissant du seul débat, les conditions du succès pour Emmanuel Macron sont d’abord qu’il ait lieu dans un climat relativement apaisé, c’est-à-dire qu’il contribue à rassembler autour de ce qui fait «  France » plutôt qu’à cliver. Ensuite que la mobilisation puisse être à un bon niveau sur un plan quantitatif, et qu’il ne rassemble pas que des militants de partis, de syndicats d’associations mais aussi des gens plus éloignés de la politique, par exemple des jeunes ou des abstentionnistes. Il faut donc aussi que ce débat soit vraiment représentatif des opinions des français et pas seulement de celles des Gilets Jaunes. Enfin, si Emmanuel Macron veut disposer d’une majorité politique dans l’opinion pour ouvrir un acte II de son quinquennat, il faut que ceux qui sont ses soutiens se sentent concernés et en phase avec les décisions qui en seront issues. Répondre aux Gilets Jaunes, tout en continuant à attirer l’électorat de droite et sans démobiliser son cœur électoral c’est l’équation politique de ce grand débat pour Emmanuel Macron. Mais après le débat, restera à réussir la sortie de crise, les propositions, les actions de la deuxième moitié du quinquennat. Plus le débat aura été un succès, plus l’attente sur ses conclusions sera forte.

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