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Pourquoi la réforme pénale de Christiane Taubira va générer des procédures inéquitables pour les détenus
©REUTERS/Philippe Wojazer

Effets contraires

Le texte de la réforme pénale, qui a été votée le jeudi 5 juin, doit être officiellement adopté ce mardi 10 juin par l'Assemblée nationale.

Martine Herzog-Evans

Martine Herzog-Evans

Martine Herzog-Evans est professeur de droit de l’exécution des peines et de criminologie à l’Université de Reims, présidente de la Confédération francophone de la probation et membre de la Société européenne de criminologie. Elle est l’auteur de plus de vingt ouvrages.

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Atlantico :  Les peines planchers instaurées par Nicolas Sarkozy pour lutter contre la récidive ont été supprimées par le nouveau texte, et la contrainte pénale (peine de probation) a été créée. Quel est votre regard de pénaliste et de criminologue sur ces deux mesures ?

Suppression des peines planchers

Martine Herzog-Evans : La suppression des peines planchers est une excellente décision, car elle ont en partie contribué à la surpopulation carcérale. Ce n’était pas une bonne mesure, car dans certaines situations individuelles des récidivistes sont d’un meilleur pronostic que des criminels primaires. On sait que globalement les récidivistes présentent plus de risques de récidiver, mais il faut aussi s’adapter à chaque cas particulier.

Instauration de la contrainte pénale

Sur le plan juridique la loi est très mal ficelée, et sur l’ensemble elle ressemble comme deux gouttes d’eau à des peines qui existent déjà. C’est d’autant plus inutile que la mesure annoncée est en apparence plus simple, mais en réalité beaucoup plus compliquée sur le plan juridique. Il m’a semblé lors de la commission des lois du Sénat de la semaine dernière que les élus étaient conscients de certaines absurdités, et qu’ils vont essayer de régler au moins cet aspect des choses.

Sur le plan criminologique, cette peine n’apporte rien par rapport à ce qui existe déjà. Madame Taubira a déclaré que le contrôle serait plus strict, et que cette peine était plus répressive que celle qui existe déjà, ce qui n’est pas faux.  Elle joue sur tous les tableaux : d’un côté elle se montre plus restrictive par rapport aux condamnés, et en même temps elle séduit la gauche en mettant en avant le fait qu’il ne s’agit pas d’incarcération.

Dans la pratique, la réalité du suivi est très faible. Le contrôle de consommation de l’alcool est pour ainsi dire inexistant, et  les entretiens avec les agents de probation sont rares. Ces entretiens consistent essentiellement dans de la vérification administrative, mais ne s’attaquent pas aux problèmes de fond que sont l’alcool, la maladie mentale, les problèmes de logement, etc. La faute revient aux manques de moyen, mais également à une absence de culture professionnelle.

C’est pourquoi ma contestation porte surtout sur la surabondance de lois. Nicolas Sarkozy en a fait beaucoup, Christiane Taubira en propose une qui est aussi inutile que les précédentes, et aucun ne règle les vrais problèmes, qui eux ne relèvent pas des lois mais de l’organisation institutionnelle : les services de probation, le recrutement, la formation, leur façon de travailler, la perception de leur travail… C’est un chantier institutionnel de fond qu’il fallait démarrer. A cela, la ministre répond qu’elle a créé des postes. Mais à titre de comparaison, en France nous avons autant d’agents de probation qu’à Londres. Elle répond également qu’elle a mis en place des commissions. Beaucoup de membres de ces dernières ne connaissaient rien au sujet – tactique bien connue –, les réunions ont été très rares et n’ont pas permis de fournir des rapports. Ce grand chantier aurait dû être lancé il y a déjà deux ans, au lieu de produire maintenant une loi qui ne sert à rien.

Cette réforme repose sur notre croyance caractérisée dans les pouvoirs de la loi. Tout le monde croit que, parce qu’on vient de créer une nouvelle peine, les magistrats vont arrêter de prononcer l’emprisonnement. On l’a déjà vu de nombreuses fois, et pas seulement en France, cela n’a aucune influence sur l’emprisonnement, car les magistrats, tous simplement, redistribuent le prononcé des autres peines existantes. La réforme ne changera rien à la réflexion fondamentale de tout magistrat : cela vaut-il emprisonnement ? Et si ce dernier n’est selon lui pas justifié, alors il réfléchit à une peine alternative. C’est ainsi que la justice fonctionne, et pas autrement. Si je prolonge mon raisonnement, cela veut dire que les peines alternatives actuelles seront moins prononcées, puisque la contrainte pénale sera apparue, mais cela ne diminuera pas le nombre d’incarcérations.

L’accélération des procédures de  libération garantit-elle un traitement équitable des personnes ? Pourquoi ?

On le voit dans la contrainte pénale et dans la libération sous contrainte, le débat contradictoire est supprimé à tous les niveaux. Le fait d’obliger un condamné à déposer une requête, de défendre son projet et de lui donner le droit d’être assisté d’un avocat, telle est la base d’une démocratie. Un procès équitable va dans le sens de la personne, mais donne aussi à la justice la chance de prendre une décision réfléchie en prenant en compte tous les paramètres. De nombreuses études criminologiques ont montré que c’est à cette condition que les condamnés, les victimes et la société dans son ensemble considèrent qu’ils ont affaire à une justice légitime. Dès lors qu’on ne donne pas les signes reflétant le caractère équitable des décisions, cela revient à dire à la population que celles-ci ne sont pas prises avec sérieux.

Dans les faits on constate même un rejet de ce sérieux, car le but recherché par la contrainte pénale et d’accélérer la sortie des condamnés en évitant de leur donner une voix. Ne nous trompons pas, je ne suis pas contre les formes de libération anticipée, mais il faut le faire dans des conditions décentes. Il faut s’assurer que la personne a un point de chute, une couverture maladie, un revenu minimum, etc. mais l’accélération empêche de s’en préoccuper. Les procédures actuelles permettent de prononcer entre six et douze décisions par audience, c’est-à-dire sur une demi-journée.  La nouvelle procédure permettra de traiter 80 à 100 dossiers, comme pour les permissions de sortir. Qui connaît le fonctionnement de ces commissions sait que les condamnés peuvent venir, mais ne sont jamais entendus, car on ne peut pas faire venir 80 à 100 détenus, à moins de prendre quatre jours.

Au cours d’une Commission d’application des peines  (CAP), le juge d’application des peines  est instrumentalisé par l’établissement pénitentiaire car il est entouré de personnel, ses informations sont exclusivement de nature pénitentiaire, et à aucun moment il n’aura les informations essentielles sur le projet du détenu, l’état de son addiction… En moins de cinq minutes par dossier, c’est impossible. Comme disent les Américains, c'est de la "Mac Justice" : on sait que ce n’est pas bon, mais c’est rapide.

Les condamnés sortiront dans des conditions indigentes. Les agents de probations prépareront la sortie de prison sur le plan juridique, mais pas matériel : logement, couverture sociale, emploi... Logiquement, ils récidivent, ne se soumettent pas aux obligations qu’on leur impose, et retournent à la case prison. On veut libérer des places de prisons comme on libère des lits d’hôpitaux.

Et qu’en est-il de la prise en compte des victimes ?

A l’heure actuelle elles ne peuvent pas être présentes lors de ces commissions, mais elles peuvent envoyer un avis écrit, et dans certains cas l’avocat peut être présent. Avec la procédure accélérée, ce ne sera plus possible. Lorsque les décisions sont prises en notre absence, on peut clairement parler de justice secrète.

Lorsqu’une nouvelle affaire Pornic se produira, et que l’on s’intéressera à la façon dont les juges ont pris leur décision, qu'on verra qu’ils ont eu à peine cinq minutes pour statuer sur un dossier, comment voulez-vous qu’ils disent à la population qu’ils ont fait de leur mieux ?  Bien au contraire, le législateur aura fait en sorte qu’ils ne puissent pas faire de leur mieux.

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