Pourquoi la génération X est si touchée par la séparation des Daft Punk ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Daft Punk se produisent sur scène pour les 56e Grammy Awards au Staples Center de Los Angeles. Les deux artistes, représentants de la French touch, ont annoncé leur séparation.
Les Daft Punk se produisent sur scène pour les 56e Grammy Awards au Staples Center de Los Angeles. Les deux artistes, représentants de la French touch, ont annoncé leur séparation.
©Frederic J. BROWN / AFP

Tristesse des fans

Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo, les deux membres des Daft Punk, ont révélé qu'ils mettaient fin à leur collaboration artistique. L'annonce de la fin du groupe a touché de nombreux fans de musique. Olivier Amiel analyse l'impact pour la génération X.

Olivier Amiel

Olivier Amiel

Olivier Amiel est avocat, docteur en droit de la faculté d’Aix-en-Provence. Sa thèse « Le financement public du cinéma dans l’Union européenne » est publiée à la LGDJIl a enseigné en France et à l’université internationale Senghor d’Alexandrie. Il est l’auteur de l’essai « Voir le pire. L’altérité dans l’œuvre de Bret Easton Ellis» et du roman « Les petites souris», publiés aux éditions Les Presses Littéraires en 2021.

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Le générique de la série de dessins animés « Il était une fois l’Homme » a longtemps représenté la séquence audiovisuelle la plus cafardeuse et déprimante pour les enfants français issus de la génération X, ceux nés entre le mitan des années 60 et le début des années 80. On y voyait l’évolution de l’humanité depuis les origines de la vie jusqu’à l’explosion de la terre, le tout accompagné par la sinistre Toccata et fugue en ré mineur de Jean-Sébastien Bach. C’est bien simple, si le générique des « Dossiers de l’écran » avec la musique de Morton Gould nous foutait la trouille, celui d’ « Il était une fois l’Homme » avec son allégorie du temps qui passe si vite entre la naissance et la mort, nous plongeait dans un état neurasthénique.
Aujourd’hui nous sommes devenus des grandes personnes, mais voilà qu’une nouvelle séquence vient brutalement rappeler aux membres de notre génération ce moment de soudaine et furtive mélancolie.
La vidéo intitulée « Epilogue » que le groupe Daft Punk a mise en ligne ce 22 février pour annoncer sa séparation semble avoir un effet similaire sur certains d’entre nous.
Il s’agit essentiellement d’un extrait d’« Electrorama » le long métrage sans dialogue, réalisé par les deux membres du groupe en 2006 sur la quête de robots souhaitant devenir humains. La scène est donc muette. On voit les deux musiciens portant leurs casques emblématiques, déambuler dans un désert. Un des deux s’arrête. Il semble (toujours sans un mot) demander, voire implorer quelque chose à l’autre. Il se retourne, laisse son alter ego lancer un compte à rebours sur un écran numérique placé dans son dos. Il s’écarte, les secondes s’égrènent, et à la fin du décompte, il explose. Le très beau morceau « Touch » retentit. On voit les mains robotiques des deux membres formant un triangle lumineux avec la simple mention « 1993 -2021 » soit la période des 28 années actives du groupe. Le ralenti de l’explosion dans le désert et la dernière image du personnage survivant qui s’éloigne dans le soleil couchant font forcément penser à la scène finale de « Zabriskie Point » d’Antonioni.
On peut lire beaucoup de réactions sincèrement émues sur les réseaux sociaux. Mais pourquoi à ce point alors qu’il s’agit de la simple séparation d’un groupe de musique ?
Bien entendu les Daft Punk sont un peu plus que ça. Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo sont devenus des stars internationales assez hors norme jouant le contrepied de la célébrité ostensible en décidant de se masquer. Un geste plein d’ironie – un des marqueurs de la génération X – tout comme le choix de leur nom suite à une critique assassine dans la presse musicale anglaise.
Certes, ils ont popularisé comme personne d’autre la musique électronique au cours des années 90. On se souvient tous du moment de la première écoute de l’album « Homework » en 1997. Pour ma part c’était dans la 205 d’un ami en rentrant d’une soirée, « Da Funk » passait à la radio, nous avions tous compris avec les autres occupants du véhicule que ce son allait marquer son temps, notre temps.
Mais il y a encore autre chose. Le groupe a représenté aussi une réelle fierté nationale. Fer de lance du mouvement qu’on a appelé alors la « French touch » avec d’autres musiciens français comme Air, Cassius, Étienne de Crécy, Dimitri from Paris... Les Daft Punk sont arrivés à devenir des icônes populaires dans un milieu – la musique et d’une manière générale la culture pop – où les Français n’arrivaient jamais à joueur mieux que les seconds rôles depuis des décennies. L’influence du soft power français est d’ailleurs marquée encore aujourd’hui essentiellement par des mythologies plus anciennes telles que Edith Piaf, la Nouvelle Vague, la Citroën DS, le Général De Gaulle... Une France certes belle et qu’on aime voir être admirée dans le monde, mais passée. Ce que Daft Punk a donné aux Français c’est une influence culturelle mondiale « dans son temps ». Ils ont été en tête des classements des ventes de disques pour une musique actuelle, leurs morceaux sont devenus des hymnes, ils ont été représentés dans Les Simpson, et il y a encore quelques jours il n’y avait rien d’incongru à ce que la planète entière imagine qu’ils fassent une apparition au spectacle de la mi-temps du dernier Superbowl. Ils nous montraient qu’on pouvait être français et réussir à imprégner l’imaginaire collectif mondial, sans avoir recours à notre imagerie un peu surannée, c’est-à-dire la France d’Amélie Poulain, de Ratatouille, ou d’Emily in Paris. Ils ont ainsi donné confiance en soi à toute notre génération.
Enfin au-delà de l’importance de leur apport à la musique et à notre chauvinisme, le groupe a toujours été aussi empreint d’une fibre nostalgique et mélancolique qui nous touche, tant dans leurs influences musicales que leurs diverses collaborations prestigieuses. L’exemple le plus marquant est certainement le film d’animation « Interstella 5555 » qui a servi de clip grand format pour le deuxième album du groupe en 2001 « Discovery » comprenant le tube « One more time ». Pour le réaliser ils ont fait appel au japonais Leiji Matsumoto, créateur d’ « Albator » le dessin animé culte que les Français de la génération X regardaient dans l’émission « RécréA2 » le mercredi après-midi… 
Même si leur public est universel et intergénérationnel, ils auront souvent par messages subliminaux et gimmicks confié aux garçons et filles de leur âge, qu’ils offraient la bande-son aux membres de leur génération évoquant la sortie de l‘enfance et les accompagnant jusqu’à la sortie de la jeunesse. Leur séparation marque symboliquement le générique de fin de celle-ci.
Olivier Amiel est docteur en droit. Il est l'auteur du récent ouvrage « Voir le pire. L’altérité dans l’œuvre de Bret Easton Ellis remède à l’épidémie de supériorité morale » (Les Presses Littéraires).

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